Québec n’entend pas exempter les itinérants des pénalités liées au couvre-feu

Malgré les appels en ce sens et la remise d’un constat d’environ 1500 $ à un itinérant de Montréal, le gouvernement Legault n’entend pas inscrire les sans-abri dans la liste des personnes exemptées des conséquences du couvre-feu.
En point de presse lundi, le premier ministre François Legault a évité de répondre à une question visant à savoir pourquoi les personnes en situation d’itinérance ne profitaient pas d’une amnistie depuis l’imposition d’un couvre-feu au Québec.
« Ce qu’on me dit, c’est qu’on est intervenus 122 fois auprès d’itinérants et qu’il y en a un seul qui a reçu une contravention. C’était un itinérant connu des policiers », a-t-il plutôt déclaré.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a confirmé avoir remis une contravention d’environ 1500 $ à une personne en situation d’itinérance au deuxième soir du couvre-feu, dans la nuit de dimanche à lundi.
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Le constat a été donné « dans un contexte d’arrestation criminelle en matière de stupéfiants », a précisé le porte-parole Manuel Couture. « La personne a été arrêtée et a reçu un constat d’infraction pour avoir brisé le couvre-feu », a-t-il ajouté.
L’agent Couture n’a pas fourni davantage de détails, étant donné que le dossier sera soumis à la cour. « Évidemment, le mot d’ordre qu’on avait de notre direction, c’était de faire preuve de jugement, d’aider et d’accompagner les personnes en situation d’itinérance et de les diriger vers les ressources appropriées », a-t-il tenu à souligner.
Dès l’annonce du couvre-feu, le SPVM avait manifesté son intention de « privilégier » une « approche préventive et adaptée » auprès des personnes en situation de vulnérabilité, « au regard des limites associées à la judiciarisation dans certaines circonstances ». La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a aussi lancé un appel à la « tolérance » de la part des corps policiers.
Québec a en revanche refusé d’inscrire les personnes en situation d’itinérance à sa liste d’« exceptions permises », qui contient notamment les travailleurs essentiels ou aux gens qui sortent pour que leur chien puisse faire « ses besoins ».
Un « effet incomparable »
Depuis l’annonce du couvre-feu, plusieurs organismes œuvrant auprès des sans-abri ont exprimé des craintes au sujet de la surjudiciarisation que la mesure pourrait entraîner. Dans le contexte, 82 avocats, juristes et étudiants en droit ont demandé à Québec lundi d’exempter les personnes itinérantes des exigences du couvre-feu.
« L’application du couvre-feu et de ses mesures pénales aux personnes en situation d’itinérance reviendrait à créer un effet incomparable dans le reste de la population : elle criminaliserait une personne pour la seule raison qu’elle vit dans la rue », écrivent-ils dans une lettre ouverte.
« Le couvre-feu imposé par le gouvernement du Québec a été pensé pour ceux ayant un domicile. Or, il n’est pas réaliste de demander à toute personne en situation d’itinérance de se trouver dans un refuge entre 20 h et 5 h. Sans parler du risque que les places dans les refuges ne suffisent pas », ajoutent-ils.
La directrice du refuge Resilience, Nakuset, a affirmé dans un communiqué que « des mesures comme le couvre-feu risquent en effet de criminaliser les personnes itinérantes qui craignent d’aller dans les refuges et d’y contracter la COVID-19 ». « Le couvre-feu ne fera qu’exacerber la propagation du virus alors que plus de personnes devront se trouver dans les refuges la nuit. Et les places n’y sont pas illimitées, peu importe ce qu’en pense le premier ministre », a-t-elle affirmé.
Dans une entrevue au Devoir, le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a déclaré qu’il trouvait « difficile » de comprendre pourquoi Québec n’exemptait pas les personnes itinérantes de possibles pénalités. « Je pense que ce serait plus clair comme signal et que ça montrerait plus de sensibilité envers le phénomène de l’itinérance si on augmentait les ressources pour permettre aux organismes communautaires de gérer ça, plutôt que de remettre la situation entre les mains des policiers », a-t-il déclaré, non sans préciser qu’à son avis, les policiers font « le meilleur travail dans les circonstances ».
Le sort réservé aux personnes itinérantes préoccupe les villes depuis l’annonce du couvre-feu. À Québec, le maire Régis Labeaume a expressément demandé aux policiers de ne pas donner de constats d’infraction aux itinérants qui ne respecteraient pas le couvre-feu.
De samedi soir à lundi matin, le Service de police de la Ville de Québec a remis 50 constats d’infraction à des personnes qui ne respectaient pas le couvre-feu. Aucune contravention n’a été donnée à des personnes en situation d’itinérance, a confirmé le porte-parole David Pelletier.
Le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a aussi exprimé des inquiétudes au sujet du sort qui serait réservé aux itinérants une fois le couvre-feu en vigueur. Dans un contexte où Québec ignore le nombre de places qui leur sont réservées dans des refuges, Montréal a en outre rappelé les besoins en itinérance, qui demeurent « grandissants et nécessitent des ressources supplémentaires ».