Taxe carbone: une pilule difficile, mais nécessaire à avaler en Alberta?

L’augmentation de la taxe carbone, annoncée il y a quelques jours par Justin Trudeau, a entraîné des réactions hostiles, notamment de la part du premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney. Cette taxe est-elle vraiment inabordable ?
C’est une réaction quasi épidermique qu’a eue M. Kenney le 11 décembre. « Les coûts d’une taxe carbone de 170 $/tonne sont exorbitants et pèseront sur les ménages canadiens. C’est exactement la raison pour laquelle nous contestons cette taxe destructrice devant la Cour suprême du Canada, après notre victoire devant la Cour d’appel de l’Alberta en février », a-t-il décrit sur sa page Facebook.
Présentée sous cet angle, cette annonce fait paraître la taxe carbone comme un véritable fardeau aux yeux du grand public. Certains médias induisent l’idée qu’un prélèvement obligatoire réduirait le pouvoir d’achat des ménages. « La taxe sur le carbone est en hausse. Voici ce que vous pourriez payer en plus à la pompe », peut-on parfois lire. Certains éditorialistes de grands journaux l’affirment carrément, « la taxe carbone est inabordable ».
Taxe carbone et perception
Or, pour Marc Lacrampe, consultant en ingénierie et en gestion des affaires à Calgary, cette présentation est partielle, voire déformée.
« Il ne s’agit pas d’une taxe. C’est une redistribution économique complète pour répartir plus équitablement les profits du secteur énergétique et les coûts sociaux des changements climatiques : pollueur égale payeur », résume-t-il.
Or, changer les mentalités et faire accepter aux pollueurs de payer pour quelque chose qui avait toujours été gratuit ne se fait pas du jour au lendemain.
Avant l’instauration de la taxe carbone en 2018, les profits étaient essentiellement réservés aux pollueurs, tandis que les coûts sociaux des émissions de gaz à effet de serre retombaient sur les épaules des contribuables.
Un problème comparable à un autre bien connu de l’Alberta : la remise en état des puits de pétrole et de gaz en fin de vie, laissés à l’abandon par les compagnies privées d’exploitation. Ce sont les finances publiques qui avaient dû alors payer les pots cassés de cet impact environnemental et sanitaire.
Aujourd’hui, la taxe carbone fait débat, mais elle demeure mal comprise par manque d’information de la part du gouvernement et par une volonté affichée, de la part de certains professionnels des énergies fossiles, de déformer les faits, d’après Marc Lacrampe.
Le crédit d’impôt fédéral
Or, la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre du gouvernement fédéral, entrée en vigueur fin 2018, prévoit que « les contribuables canadiens des provinces sans plan de réduction des gaz à effet de serre à la hauteur de l’objectif fédéral touchent un crédit d’impôt rétroactif sur leur calcul d’impôt de 2019 », souligne le consultant.
Un bénéfice financier dont le premier ministre Jason Kenney ne fait jamais mention. En effet, « toutes les provinces ne sont pas conformes à l’application du retour de ce crédit d’impôt », étaye M. Lacrampe.
Et si les provinces chargées, en principe, de le reverser ne le font pas par manque de conformité, c’est Ottawa qui redistribuera le crédit d’impôt dit fédéral.
Dans le but d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, la pression risque de se resserrer sur certaines provinces, notamment l’Alberta. Dans le cadre du nouveau plan climatique dévoilé le 11 décembre par Justin Trudeau, la taxe carbone continuera d’augmenter après 2022, pour atteindre un total de 170 $/tonne en 2030. Une situation qui ne fera que creuser l’écart entre le gouvernement fédéral et les provinces refusant son application.
Mieux sensibiliser
Brandir la menace d’une hausse des prix à la consommation reste l’argument phare du chef du Parti conservateur UCP, Jason Kenney, récalcitrant aux énergies à faible empreinte carbone. Et il n’est pas le seul.
« Il y a des dangers certains à résumer les efforts de plusieurs dizaines d’années dans les domaines économiques, politiques et scientifiques, au niveau national et international, en un tweet ou un raccourci lors d’une entrevue », prévient le consultant en ingénierie Marc Lacrampe.
Éviter le piège de la simplicité dans les discours, voilà le défi. Aujourd’hui, la psychologie du message autour de la taxe carbone représente un vrai enjeu politique, mais aussi un jeu d’influence basé sur la méconnaissance du public.
Un groupe de chercheurs de l’Institut de recherche Grantham sur les changements climatiques et l’environnement travaille déjà sur cette problématique : « Comment établir des taxes sur le carbone plus acceptable ? »
Aujourd’hui, le volet politique de la taxe carbone devient tout aussi important que son aspect économique. « La pilule de la taxe carbone a du mal à passer, mais elle est nécessaire », conclut M. Lacrampe.