Alexandre Bissonnette pourra demander d’être libéré après 25 ans de prison

La Cour d’appel a tranché : elle recommande que la peine imposée à l’auteur de la tuerie à la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette, soit ramenée à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

« Il est utile de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une peine de 25 ans d’emprisonnement, mais bien d’un emprisonnement à perpétuité sans possibilité de demander la libération conditionnelle avant 25 ans », soulignent les juges François Doyon, Guy Gagnon et Dominique Bélanger dans leur décision.

Dans ce dossier, la Couronne avait demandé au départ une peine beaucoup plus sévère, en vertu de l’article du Code criminel (745.51) qui permet d’imposer des blocs de 25 ans d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. Les victimes avaient d’ailleurs demandé une peine de 150 ans sans possibilité de sortie pour chacune des vies fauchées par le tueur en janvier 2017 dans une mosquée de Québec.

Coupant la poire en deux, le juge de première instance, François Huot, avait ordonné la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans.

Or, la Cour d’appel estime que le juge a « erré » et qu’il devait « invalider la disposition au lieu de la modifier ».

« Disproportionnée »

« Le présent arrêt ne porte pas sur l’horreur des gestes posés par Alexandre Bissonnette le 27 janvier 2017, écrivent les magistrats.  Mais avant tout sur la constitutionnalité d’une disposition du Code criminel. »

La disposition en question est l’article 745.51 adopté par le gouvernement de Stephen Harper en 2011 afin d’éliminer ce qu’on appelait à l’époque « les peines au rabais ».

Selon la Cour d’appel, cet article est anticonstitutionnel et porte atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

La période de 150 ans qui aurait été imposée selon l’article « s’avère totalement disproportionnée », tranchent-ils, puisqu’elle lui donne accès à la libération conditionnelle « à une époque où il sera évidemment décédé ».

Une telle ordonnance est « absurde », peut-on lire dans l’arrêt de 42 pages. « Un tribunal ne doit pas rendre une ordonnance qui ne peut jamais se réaliser »

Cela contredit aussi, disent-ils, l’article 12 de la Charte qui protège chaque personne contre « tous traitements ou peines cruels et inusités ». « Au Canada, même le pire des criminels ayant commis les pires des crimes a droit en tout temps aux garanties fournies par la Charte »

Vers la Cour suprême ?

Reste maintenant à savoir si cet arrêt sera contesté ou non en Cour suprême. La défense ayant fait des gains avec cet arrêt, on peut présumer qu’elle ne le contestera pas. Quant au directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), il n’était pas prêt à dire jeudi s’il contesterait ou non la décision.

Lors des audiences devant la Cour d’appel, les avocats du gouvernement du Québec avaient avancé que l’article 745.51 était constitutionnel. Mais en point de presse jeudi, le premier ministre du Québec, François Legault, a refusé de faire des commentaires.

Or, certains le pressent déjà d’agir. En entrevue au Devoir, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a enjoint au procureur général du Québec d’interpeller la Cour suprême. « Il faut que le dossier aille le plus haut possible », a dit M. Boisvenu, qui avait milité pour le durcissement du Code criminel en 2011.

« Nous, ce qu’on dit, c’est que, pour quelqu’un qui a tué 12 personnes et qui a une sentence de 25 ans, ce qui est inhumain, ce n’est pas la sentence, c’est d’avoir tué 12 personnes », dit-il.

À Ottawa, l’opposition conservatrice dit s’attendre à ce que le gouvernement Trudeau sollicite le plus haut tribunal au pays. « Nous nous attendons à ce que le gouvernement Trudeau porte cette décision en appel », a écrit le porte-parole conservateur en matière de justice.

« Cette mesure est fréquemment utilisée partout au pays afin d’assurer que certains des contrevenants les plus violents du Canada purgent des peines correspondant à la gravité de leurs crimes. »

Mais le ministre de la Justice fédéral, David Lametti, est resté muet sur ses intentions. « Nous savons que ce jugement soulève d’importantes questions et nous allons prendre le temps de l’examiner en profondeur », a-t-il déclaré par écrit. « Aujourd’hui, nos pensées sont pour les survivants et les proches. »

Déception

 

Ces derniers ne se sont pas manifestés pour l’instant. En point de presse, le porte-parole du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), Boufeldja Benabdallah, a dit ne pas être parvenu à les joindre.

« Nous sommes peinés que cette décision remette sur nous l’odieux de la protestation », a-t-il déclaré, en soulignant qu’il se prononçait seulement au nom du conseil d’administration du CCIQ. La nouvelle sentence n’est pas « assez dissuasive », a-t-il aussi fait valoir.

Quant à un éventuel recours en Cour suprême, M. Benabdallah a dit que, « s’il faut aller jusqu’en haut, il faut aller jusqu’en haut ». D’un autre côté, les familles pourraient être réticentes à entamer des recours judiciaires qui pourraient durer encore des années, a fait remarquer le porte-parole du lieu de culte.

Avec Boris Proulx

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