Hausse du nombre d’immigrants sans statut au Canada

Les retards dus à la pandémie s’accumulent aussi pour ceux qui demandent un statut de réfugié pour une première fois.
Photo: Paul Chiasson Archives La Presse canadienne Les retards dus à la pandémie s’accumulent aussi pour ceux qui demandent un statut de réfugié pour une première fois.

Au bout du fil, l’angoisse étreint la voix de Mamadou. « L’hiver s’en vient. Il y aura moins d’emplois… Si la pandémie continue à cette allure-là, le problème risque d’atteindre une échelle très critique. »

Le jeune homme, qui se présente sous un faux nom, fait partie des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes sans statut légal au Canada. À cause de leur état même de clandestins, aucune statistique officielle n’existe à leur sujet. « Vous les croisez partout, dans la rue, dans les transports en commun, mais ça ne se lit pas sur les visages », raconte Mamadou.

Depuis le début de la pandémie, leur nombre a bondi. Le gouvernement fédéral indique ne pas pouvoir s’avancer « sur le nombre de demandes retardées en raison de la pandémie » mais, selon la directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench, depuis mars, pas moins de 6000 personnes n’ont pu voir leur statut être régularisé.

« Il y a un grand nombre de personnes qui se retrouvent dans une situation limite, explique Janet Dench. Il y a plein de gens — des travailleurs migrants, des personnes acceptées en principe pour la résidence permanente, des demandeurs d’asile — qui vont pouvoir rester au pays, mais qui n’ont pas eu le renouvellement de leur permis de travail. » Quand vous êtes ainsi « figés dans un point où vous n’avez aucun droit », la précarité guette.

Craignant d’être dénoncé aux autorités, Mamadou confie être toujours sur le qui-vive. « Psychologiquement, c’est vraiment pesant. C’est indescriptible. Je ne peux pas trouver de mot pour décrire la forme de vie des gens sans papiers. »

Les retards dus à la pandémie s’accumulent aussi pour ceux qui demandent un statut de réfugié pour une première fois. Il n’y a pas si longtemps, trois jours maximum suffisaient pour traiter une demande d’asile et régulariser le statut d’une personne. Désormais, les procédures s’éternisent et il devient impossible de demander un permis de travail. Les demandeurs d’asile tombent ainsi dans un « statut implicite », selon la directrice du Service d’aide à l’adaptation des immigrants et immigrantes, Irina Aviles.

« Beaucoup de demandes ont été gelées le temps que les employés puissent retourner dans leurs bureaux », dit-elle.

Pas que des préposés aux bénéficiaires

 

Pour vivre, plusieurs travaillent au noir, à la merci des employeurs. « Parfois, le travail ne paie pas. Parfois, la paie est retardée pendant des mois. Parfois, l’employeur utilise des moyens psychologiques pour intimider. Il prend le téléphone et menace de livrer le travailleur à la police s’il n’accepte pas une tâche », raconte Mamadou.

« Je suis entré dans des entrepôts, et de A à Z c’étaient des sans-papiers, assure-t-il. Il y avait juste le superviseur qui était Québécois. Je vous le jure. Et ce n’est pas arrivé juste une fois. […] Il y a plein d’entreprises, d’usines, d’entrepôts, des compagnies de ce genre-là à Montréal ou aux alentours, surtout aux alentours, qui ne savent même pas le statut de leurs employés, parce que ces gens-là sont engagés à travers des agences de placement. Ils ferment les yeux, car ils arrivent à tirer profit de ces gens-là. »

Ces sans-statut se retrouvent aussi en dehors de Montréal, assure Irina Aviles, qui œuvre dans la capitale nationale. « Peu documentés », ces sans-papiers se montrent parfois « reconnaissants envers ces personnes qui les embauchent », dit-elle. « C’est une chance d’avoir trouvé quelqu’un qui te donne un emploi, même si les conditions d’emploi ne sont pas les meilleures. »

« Les gens pensent qu’on vient ici pour profiter du système, mais en réalité, c’est tout le contraire », raconte Mamadou.

Québec a déjà annoncé un programme pour faciliter l’installation des « anges gardiens » dans la province. Cependant, Mamadou, également porte-parole pour Solidarité sans frontières, qualifie cette proposition de « feu de paille ». Il appelle à la régularisation de tous ceux qui irriguent l’économie québécoise.

Au-delà des programmes spéciaux, Irina Aviles espère surtout que cette pause pandémique saura pousser le gouvernement fédéral à « moderniser les demandes de manière plus efficace », à l’aide des nouvelles technologies. « Je pense que le gouvernement fait de son mieux. »

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