Le racisme systémique au sein de la police dénoncé dans un rapport

Depuis 2015, quelque 200 dossiers d’enquête criminelle ont été ouverts au Québec à la suite d’allégations formulées par des Autochtones à l’endroit de policiers, a révélé jeudi le deuxième volet de l’enquête de l’experte indépendante Fannie Lafontaine, qui écorche au passage les méthodes « inacceptables » du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).
« Opacité », « manque de représentativité » et méthodes s’apparentant à de l’intimidation de la part de policiers sont détaillés dans le rapport, qui nomme sans détour « la présence de racisme systémique au sein des forces de l’ordre à l’égard des Autochtones ».
Fannie Lafontaine, avocate experte en droit humanitaire, s’est vu confier le rôle d’observatrice civile indépendante en 2015 par le gouvernement Couillard, dans la foulée des dénonciations de femmes autochtones de Val-d’Or à l’endroit de policiers dans un reportage de l’émission Enquête.
Le premier volet de son enquête, dévoilé en 2016, statuait que le travail du Service de police de la Ville de Montréal — qui devait enquêter sur les policiers visés par les plaintes d’Autochtones — avait été fait de « façon intègre et impartiale », mais qu’il demeurait insuffisant.
Le second volet porte sur les plaintes reçues par le SPVM entre avril 2016 et septembre 2018. Il contient 61 dossiers d’enquête et s’intéresse à des plaintes formulées par 32 hommes et 37 femmes, surtout envers des policiers de la Sûreté du Québec et surtout sur la Côte-Nord et dans le Nord-du-Québec.
Ces plaintes ont mené au dépôt d’accusations criminelles contre trois policiers et un ex-policier. Rappelons qu’au terme de la « phase 1 », deux policiers avaient fait l’objet d’accusations.
Opacité au BEI
Le second rapport de Me Lafontaine note les nombreux efforts déployés par le SPVM pour assurer une approche respectueuse des victimes. Il est cependant beaucoup plus critique à l’endroit du BEI, qui s’est vu confier en octobre 2016 les enquêtes sur les allégations sexuelles visant des policiers — y compris celles formulées par des Autochtones.
De l’avis de Me Lafontaine, le BEI fait « figure de cancre au Canada en matière de transparence » : il « est marqué par une opacité et un manque de représentativité inacceptables ».
Si elle juge « tout à fait raisonnables » les délais moyens de 4,6 mois pour achever une enquête au SPVM, elle reproche en revanche au BEI de ne pas tenir de statistiques ni d’« engagement quant aux délais relatifs aux enquêtes criminelles ». Les délais au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (qui décide d’aller de l’avant avec des accusations ou non une fois l’enquête policière terminée) sont tout aussi longs, remarque la juriste. Ils atteignent 9,3 mois — et 41 % des dossiers y nécessitent une analyse de plus d’un an.
Or, pendant ces délais, des victimes sont tenues dans le noir quant au sort de leur dénonciation, observe-t-elle dans son rapport. Une fois la décision prise, elles reçoivent peu ou pas d’explications. Jeudi, la cheffe de Lac-Simon, Adrienne Jérôme, a d’ailleurs demandé « des réponses du DPCP quant aux motifs de ne pas intenter de poursuites dans 55 dossiers sur 61 ».
Racisme systémique
Après cinq années passées à étudier les enquêtes criminelles visant les policiers et « la relation de confiance brisée entre les Autochtones et les services policiers », Fannie Lafontaine nomme aussi « la présence de racisme systémique au sein des forces de l’ordre à l’égard des Autochtones ».
Elle rapporte les propos de femmes autochtones s’étant senties « intimidées ou menacées » après avoir dénoncé des policiers à Enquête. Un détective privé, « un ancien policier de la Gendarmerie royale du Canada », s’est rendu à Val-d’Or à la suite du reportage pour interroger ces femmes « dans le cadre d’une poursuite de policiers de la SQ contre Radio-Canada », écrit Me Lafontaine.
La directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, Édith Cloutier, constate une « rupture de confiance entre les policiers et les femmes autochtones », et celle-ci entraîne la peur. Le rapport de Me Lafontaine « vient ramener ça à l’avant-plan », a-t-elle déclaré au Devoir. « Et il ne faut pas que ça retourne en trame de fond. »
Pour cela, l’avocate formule 25 « propositions » visant à améliorer la sécurisation culturelle des victimes et à augmenter la transparence et la représentativité des Autochtones dans les institutions.