Les piétons appréhendent l’arrivée de l’hiver et la fin des corridors sanitaires

Les corridors sanitaires et autres aménagements déployés pour faciliter les déplacements actifs en temps de pandémie disparaissent de plusieurs villes avec la saison froide qui s’installe. Une erreur, selon des citoyens et des groupes de défense des piétons, puisque le besoin de circuler à pied se fait toujours ressentir en cette deuxième vague de COVID-19 qui pourrait s’éterniser.
« Si on finit par annuler l’Halloween, puis Noël, est-ce qu’on peut annuler l’hiver en même temps ? » lance Manon Rousseau en riant à travers son masque. Cette Montréalaise de 58 ans attend en file pour entrer dans la SAQ de l’avenue du Mont-Royal, se réjouissant d’avoir encore quelques rayons de soleil en cet après-midi d’octobre pour se réchauffer.
À l’approche de l’hiver, elle s’inquiète de devoir rester cloîtrée du matin au soir dans le petit quatre et demie qu’elle partage avec son conjoint. « Ça peut vite devenir déprimant : le froid, la neige, le gel, la noirceur dès quatre heures de l’après-midi. Déjà qu’on est enfermés chez nous en télétravail, si en plus on ne peut pas aller au musée, au théâtre ni voir nos petits-enfants, ça va être long longtemps. »
Bien qu’« optimiste dans la vie », elle est persuadée que les nouvelles restrictions imposées par le gouvernement pour freiner la propagation de la COVID-19 ne se termineront pas le 28 octobre. « C’est certain qu’on en a jusqu’au printemps, estime-t-elle. Au moins, en avril, dans la première vague, on pouvait prendre l’air, se promener, profiter des parcs. On a fait beaucoup plus de place aux piétons cet été, c’était l’idéal pour ne pas rester enfermé. Mais on va faire quoi cet hiver ? » Manon Rousseau dit déjà regretter les rues piétonnes, dont l’avenue du Mont-Royal, qui accueille de nouveau les automobilistes depuis lundi dernier, et se demande si la Ville de Montréal prévoit installer d’autres aménagements pour faciliter la vie des piétons.
Les piétons ne disparaissent pas à l’automne ou à l’hiver !
Mathieu Lemay, croisé quelques pâtés de maisons plus loin, avoue également appréhender l’arrivée des premiers flocons de neige. Vivant seul, l’homme de 33 ans confie avoir préservé sa santé mentale grâce à la course lors du premier confinement, en attendant de pouvoir profiter des parcs avec des amis, à distance. « Je tournais en rond, je virais fou, alors je me suis mis à la course. Je courais tous les deux jours et je sortais marcher les autres jours. Mais avec le froid, la neige et les trottoirs souvent mal déneigés, je vais devoir tirer un trait là-dessus. »
En avril, la Ville de Montréal a déployé des corridors sanitaires pour élargir les trottoirs et permettre aux piétons de circuler en respectant la distanciation. Puis, elle a déployé son réseau de voies actives sécuritaires (VAS) à partir du mois de mai, soit des rues piétonnes, des ruespartagées ou encore des pistes cyclables. Des installations qu’elle s’emploie maintenant à retirer.
« Ces aménagements temporaires n’étant pas conçus pour la saison hivernale, il était prévu depuis le début de l’implantation qu’ils seraient retirés à l’automne », indique-t-on à la Ville par courriel, précisant que toutes les VAS auront disparu mi-novembre. « Des réflexions sont en cours quant aux activités ou aux aménagements extérieurs hivernaux possibles », ajoute-t-on, sans plus de détails.
La marche comme remède
« Les piétons ne disparaissent pas à l’automne ou à l’hiver », remarque de son côté Jeanne Robin, co-porte-parole de l’organisme Piétons Québec. D’autant plus qu’avec la fermeture des activités culturelles et sociales dans les zones rouges, la marche va redevenir, comme ce printemps, une des activités principales des Québécois, selon elle. Pourquoi dès lors démanteler les aménagements qui leur étaient réservés pour marcher, que ce soit à Montréal, à Québec, à Sherbrooke ou encore à Trois-Rivières ?
« L’hiver est trop souvent un prétexte pour ne plus rien faire pour les piétons. On devrait voir ça comme un défi et créer des aménagements adaptés, même avec le froid et la neige », poursuit-elle, se disant consciente des enjeux liés au déneigement.
À (re)lire
Les anciens textes du Devoir de citéRoxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, se dit également « inquiète » pour les mois à venir. Elle trouve essentiel que les citoyens puissent prendre l’air et, surtout, faire une activité physique. « Pour que la santé mentale aille bien, il faut que le physique aille bien. On a besoin de faire un minimum d’exercice. » La professeure presse les municipalités de trouver des solutions pour encourager la population à se promener et à bouger même en hiver.
Quels aménagements ?
Du côté de Québec, l’idée de faire des rues piétonnes même l’hiver est dans les cartons de la Société de développement commercial (SDC) du Vieux-Québec. « L’idée serait de rendre la rue Saint-Jean, entre la rue D’Auteuil et la côte du Palais, piétonne certaines fins de semaine. On peut penser à Noël, à la période de la Saint-Valentin ou du Carnaval de Québec », explique son directeur général, Jacques-AndréPérusse, qui compte en faire la demande officielle à la Ville de Québec prochainement.
Animation ambulante, stand de boissons chaudes, lumières : les idées ne manquent pas pour attirer les citoyens, même durant l’hiver. « Avec le succès de cet été, les marchands sont très motivés. Et avec un peu de chance, les bars et les restaurants pourront rouvrir d’ici là, ce qui donnera encore plus de vie à l’artère », espère M. Pérusse.
À Montréal, l’Association des sociétés de développement commercial réfléchit aussi à des manières de rendre les rues commerçantes plus attrayantes pour les piétons, même l’hiver. Les rues piétonnes ne semblent toutefois pas dans les plans : « De notre point de vue, la priorité en hiver est dedonner l’accessibilité maximale etdonc d’assurer des espaces de stationnement. Par contre, le déneigement des trottoirs va devoir être une priorité, surtout si on est encore pris avec des files d’attente », explique la directrice générale de l’association, Caroline Tessier.
Au moins en avril, dans la première vague, on pouvait prendre l’air, se promener, profiter des parcs. On a fait beaucoup plus de place aux piétons cet été, c’était l’idéal pour ne pas rester enfermé. Mais on va faire quoi cet hiver ?
« On est vraiment en retard. Il y a tellement de choses à coordonner, comme prévoir l’entretien hivernal en fonction des aménagements. Je ne comprends pas qu’on ne se soit pas penché là-dessus avant », déplore de son côté Olivier Legault, cofondateur du Laboratoire de l’hiver, qui regroupe les organismes Vivre en ville, La Pépinière et Rues principales.
Si les activités publiques, même extérieures, sont interdites en zone rouge, il espère que cette directivesera plus souple cet hiver afin de permettre de petits rassemblements autour d’activités de loisirs ou artistiques, sécuritaires et distanciées.
Il imagine des terrasses chauffées, des installations lumineuses, de la musique d’ambiance, des pentes à glisser, des jeux pour enfants ou encore des marchés extérieurs, que ce soit dans les parcs, les ruelles, ou même des tronçons de rues piétonnes.
« On peut aussi vivre dehors l’hiver. Il y a eu un élan d’audace avec la pandémie ce printemps, on a testé de nouveaux aménagements qui ont été un succès. Pourquoi ne pas continuer sur cet élan même en hiver ? C’est le temps ! » souligne Olivier Legault.