Dénonciations anonymes: une membre de la page «Dis son nom» dévoile son identité

Une administratrice de la page controversée « Dis son nom » sort de l’ombre. L’ancienne illustratrice judiciaire Delphine Bergeron révèle publiquement être au cœur de ce groupe ayant publié cet été une liste de présumés agresseurs et visé depuis jeudi par une poursuite.
« Je trouve que c’est un combat qui en vaut la peine. Je ne suis plus anonyme », explique en entrevue avec Le Devoir la femme de 37 ans. Celle qui a illustré pendant plus de dix ans des procès pour plusieurs médias a décidé de briser le silence sur son identité après le dépôt, jeudi, d’une poursuite civile qui la vise notamment.
« On a pris connaissance de la requête et elle sera analysée », s’est limitée à commenter Mme Bergeron, qui a aussi été journaliste chez TC média jusqu’en août 2019. Elle a plus récemment tenu une chronique dans les pages du Journal de Montréal alors qu’elle a prêté main-forte durant la pandémie de COVID-19 dans un CHSLD.
Dans les dernières années, Mme Bergeron a témoigné des réalités des victimes d’agressions et de violences sexuelles dans les médias. Elle s’est confiée sur ses propres agressions subies par son frère, puis par son cousin alors qu’elle était enfant.
Joint par Le Devoir, l’avocate qui représente Mme Bergeron, Virginie Dufresne-Lemire, préfère ne pas commenter le dossier pour le moment. Elle se garde de préciser si sa cliente est l’unique administratrice de « Dis son nom » ou si le groupe réunit plusieurs personnes.
Liste
Créée le 12 juillet dernier à la suite de la vague de dénonciation qui a déferlé sur les réseaux sociaux, la page « Dis son nom » a dressé une liste « d’abuseurs présumés » à partir de témoignages d’inconduites, pour la plupart sexuelles.
C’est Jean-François Marquis, un Montréalais dont le nom s’est retrouvé sur ce document toujours accessible en ligne, qui est à l’origine de cette poursuite. L’homme déplore que des noms et des témoignages soient publiés sans mécanisme de vérification connu.
« “Dis son nom” avait des intentions louables, mais a diffusé des informations erronées que des personnes avec de mauvaises intentions leur ont fait parvenir », plaide-t-il en entretien téléphonique.
« Il y a préjudice irréparable du fait que la réputation de [Jean-François] Marquis est en jeu et que l’absence d’identification des administrateurs […] l’empêche de faire valoir ses droits devant les tribunaux », peut-on lire dans la requête.
« Les personnes qui gèrent ces pages n’ont aucun droit à rester dans l’anonymat considérant que la liste qui est publiée identifie clairement de nombreuses personnes », est-il également souligné dans les documents de cour.
Dans le cas de M. Marquis, son nom est apparu dans une nouvelle mouture de la liste publiée le 7 août. Or, dit-il, « rien n’explique son inclusion dans cette liste où on l’associe à des gens que “Dis son nom” caractérise comme des personnes qui auraient commis des inconduites sexuelles aussi graves que le viol ». Sur la liste, le Montréalais est seulement identifié comme un ancien administrateur de la page satirique Le Revoir.
« Tribunal populaire »
« Dresser une liste d’abuseurs potentiels sans savoir de quoi on les accuse vraiment, c’est problématique » soutient Me Pierre-Hugues Miller, qui représente M. Marquis. « Des canaux officiels existent pour que les personnes puissent dénoncer. Lorsqu’on utilise une espèce de tribunal populaire, ça devient problématique », ajoute-t-il.
Pour faire valoir ses droits, M. Marquis soutient qu’il est primordial de savoir qui est derrière ce compte. « Dès qu’il sera possible [d’identifier les administrateurs de “Dis son nom”], il entend leur réclamer 50 000 $ à titre de dommages moraux et punitifs pour atteinte intentionnelle à ses droits », peut-on lire dans la requête. M. Marquis veut également que son nom soit retiré de la liste.
Tout le monde est d’accord avec les dénonciations. Elles doivent aller de l’avant, mais il y a des vérifications qui doivent se faire. Une personne peut prétendre être victime dans le but de nuire à quelqu’un, dans un esprit de vengeance, et c’est ça qu’il faut éviter parce que les conséquences sont graves.
L’homme assure ne pas vouloir faire taire les victimes d’abus ou encore voir la page complètement disparaître.
« Tout le monde est d’accord avec les dénonciations. Elles doivent aller de l’avant, mais il y a des vérifications qui doivent se faire. Une personne peut prétendre être victime dans le but de nuire à quelqu’un, dans un esprit de vengeance, et c’est ça qu’il faut éviter parce que les conséquences sont graves. J’ai perdu des contrats et j’ai des amis qui ne me parlent plus », mentionne-t-il.
Ce n’est pas la première fois qu’une poursuite civile est déposée dans le but de connaître l’identité des personnes derrière certaines pages qui ont publié des témoignages anonymes.
En juillet, un Québécois a déposé une demande d’autorisation d’action collective contre Facebook, qu’il accuse de permettre la diffusion de témoignages anonymes diffamatoires dans la foulée du mouvement de dénonciation.