La pandémie comme une porte de sortie de la prostitution

De nombreuses embûches se dressent devant les femmes qui tentent de sortir de l’industrie du sexe et de repartir sur de nouvelles bases, soutient Rose Sullivan.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir De nombreuses embûches se dressent devant les femmes qui tentent de sortir de l’industrie du sexe et de repartir sur de nouvelles bases, soutient Rose Sullivan.

Alors que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles pour les femmes dans l’industrie du sexe en raison du confinement des derniers mois, certaines ont vu malgré tout la perche qui leur était tendue pour sortir de la prostitution.

« La pandémie a accéléré le processus pour certaines femmes qui n’avaient même pas l’intention de quitter l’industrie du sexe ou qui y pensaient, mais comme un vague projet à long terme », affirme Rose Sullivan, cofondatrice du Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES), qui s’identifie comme une « survivante de l’industrie du sexe ».

« La majorité de celles qui s’en sont sorties depuis la pandémie me disait que ce n’était pas dans leurs plans parce qu’elles n’avaient pas d’autre solution, mais elles avaient un emploi en parallèle et grâce à la PCU ou à des allocations supplémentaires, une solution est apparue et elles n’ont plus eu envie de retourner à la prostitution. »

Pour celles qui avaient déjà un plan de sortie, la pandémie a également été un élément déclencheur, observe-t-elle. « Celles qui avaient l’intention de s’en sortir se sont ruées sur les emplois nouvellement offerts et sur les formations rapides. »

Violence et détresse

 

D’autres ont quitté en raison de la violence qui a augmenté dans la rue, surtout pour les femmes qui travaillent comme indépendantes, constate Rose Sullivan. « Les indépendantes se sont vite senties plus en danger, car les pimps de toutes sortes leur couraient après en leur faisant carrément des menaces [pour qu’elles travaillent pour eux]. »

À la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), on constate aussi une augmentation de la violence envers les femmes. Selon les témoignages recueillis par l’organisme, certaines ont vu dans l’accalmie du début de la pandémie une occasion de sortir de cette industrie, mais se sont retrouvées sous pression de la part des proxénètes et des clients eux-mêmes pour continuer à vendre leur corps. « Les femmes disent qu’il y a une violence accrue de la part des proxénètes, elles se sentent en danger, car ils sont plus insistants, plus agressifs et elles n’ont plus de marge de manœuvre pour refuser un client », explique Jennie-Laure Sully, qui demande davantage de services d’aide pour les femmes qui tentent de sortir de la prostitution.

Sur les chantiers

 

Les revenus ont fondu comme neige au soleil pour la grande majorité des travailleuses du sexe depuis le début de la pandémie, mais encore plus pour celles qui travaillaient dans les bars de danseuses et les salons de massagesérotiques, qui n’ont rouvert que partiellement. Contrairement à la majorité des travailleurs québécois, celles qui ont perdu leur gagne-pain dans l’industrie du sexe n’ont pas le droit à la prestation canadienne d’urgence (PCU).

Mais les travailleuses du sexe sont « résilientes », affirme Sandra Wesley, directrice générale de l’organisme Stella. Pour survivre, plusieurs se sont tournées vers d’autres sphères de l’industrie, comme le travail en ligne ou la pornographie. D’autres ont carrément changé de domaine. « Il y a beaucoup de travailleuses du sexe qui sont allées travailler dans d’autres industries, notamment dans le domaine de la santé, où il y a beaucoup d’emplois offerts comme préposés aux bénéficiaires ou dans l’entretien ménager », explique Mme Wesley.

Plusieurs se retrouvent également sur les chantiers de construction. « Souvent, les travailleuses du sexe n’ont pas d’autres expériences de travail formel, elles n’ont pas nécessairement de diplôme, donc on va trouver des travailleuses du sexe dans tous les emplois qui sont accessibles sans une longue formation. La signalisation routière, c’est une avenue vers laquelle se tournent beaucoup de travailleuses du sexe. »

Selon la directrice générale, les travailleuses du sexe — et les danseuses en particulier, qui ont beaucoup de contact avec le public — se sentent très à l’aise sur les chantiers majoritairement masculins. « En plus, être danseuse, c’est très physique, il faut s’entraîner, passer de longues heures debout ; elles sont donc capables de faire n’importe quel travail physique. »

Mais ce n’est pas parce qu’elles ont trouvé un emploi que la vie devient plus facile du jour au lendemain. Rose Sullivan le sait, elle qui a mis des années à se sortir de cette industrie et à s’en remettre. « La sortie n’est facile pour personne, ça ne se fait pas en deux jours. Présentement, ce que je vois, c’est que celles qui ont réussi à sortir au début de la pandémie commencent à trouver ça difficile. Elles commencent à voir les répercussions et à ressentir des symptômes de choc post-traumatique.

Mme Sullivan évoque également les nombreuses embûches qui se dressent devant celles qui tentent de repartir sur de nouvelles bases, citant enexemple une femme qui est devenue agente de sécurité dans un magasin et qui commence à voir que le fait de travailler en public dans sa propre ville n’est pas facile, car elle croise plusieurs de ses clients, en plus de devoir repousser les proxénètes de son ancienne vie qui lui tournent encore autour.

Celles qui ont pu bénéficier d’un petit coup de pouce de la PCU craignent de voir cesser les prestations et s’inquiètent des montants qu’elles devraient éventuellement rembourser.

Il y a aussi le stress d’être découverte par leur employeur, ajoute Sandra Wesley, de l’organisme Stella. « Il y a des travailleuses du sexe dans toutes les sphères de la société qui travaillent avec la crainte d’être découvertes, c’est pourquoi elles vont souvent se tourner vers des emplois qui leur apparaissent moins risqués, comme ceux qui acceptent les gens avec un casier criminel, même si elles n’en ont pas elles-mêmes. »

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