Le masque superflu, puis essentiel

Le premier ministre François Legault et le directeur national de santé publique, Horacio Arruda
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le premier ministre François Legault et le directeur national de santé publique, Horacio Arruda

L’incohérence du message du gouvernement sur le port du masque pour limiter la propagation de la COVID-19 aurait contribué à alimenter le doute sur cette mesure devenue récemment obligatoire, selon plusieurs experts contactés par Le Devoir. Un doute qui a culminé ce week-end par des manifestations de citoyens prônant la défense des libertés individuelles.

Le ressentiment envers toute mesure de contrôle par l’État est normal, fait remarquer le spécialiste de la communication sur les questions sociales de l’Université Laval Christian Desîlets. « La communication a quand même eu des ratés qui ont favorisé ce ressentiment et cette opposition au port du masque,a-t-il noté. Vous le savez, la position du gouvernement et d’Horacio Arruda au fil des semaines et des mois a évolué par rapport au port du masque, et c’est allé sur tous les spectres. »

Le directeur national de santé publique affirmait le 18 mars que « porter un masque, c’est mettre sa main souvent pour ajuster le masque, et on se contamine. Les masques, c’est pour le système de soins ». Quelques semaines plus tard, le Dr Arruda concédait, sans le recommander formellement, que le masque non médical pouvait être un moyen de protection pour le public, tout en insistant sur l’importance de ne pas abandonner d’autres mesures comme le lavage des mains et la distanciation physique. Un peu plus d’un mois plus tard, le premier ministre, François Legault, recommandait fortement aux Québécois de porter un couvre-visage lorsqu’ils sont dans l’impossibilité de respecter une distance de deux mètres avec une autre personne. À la fin du mois de juin, M. Legault annonçait que le masque serait obligatoire dans les transports en commun à compter du 13 juillet. Il est également devenu obligatoire dans les lieux publics fermés le 18 juillet.

La position du gouvernement et d’Horacio Arruda au fil des semaines et des mois a évolué par rapport au port du masque, et c’est allé sur tous les spectres

« La contradiction est apparente : au début, on a dit le masque, ce n’est pas important”, et, après ça, on a dit “ah non, le masque est essentiel” », a soulevé le directeur général d’Éduc’alcool, Hubert Sacy, qui travaille depuis une trentaine d’années à modifier le comportement des Québécois par rapport à l’alcool. « Or, ce qui est fondamental là-dedans, c’est que, déjà, si vous savez qu’il y a des gens qui ne veulent rien savoir, vous ne vous arrangez pas pour faire en sorte qu’ils puissent vous remettre sous le nez des choses. » Il s’agit du seul bémol, selon lui, dans la communication du gouvernement depuis le début de la pandémie.

« Le fait qu’ils l’ont demandé vraiment tard et non au tout début du processus » a pu avoir une incidence, a reconnu la spécialiste en communication politique de l’Université du Québec à Trois-Rivières Mireille Lalancette. « Par contre, je pense que ça s’inspire peut-être d’autres mouvements plus libertariens comme aux États-Unis. De voir ce qui se passe aux États-Unis inspire certainement les gens à manifester du point de vue des libertés individuelles. »

Contre le masque obligatoire

 

Les manifestations qui ont eu lieu à Montréal samedi et à Québec dimanche ont réuni des centaines de citoyens qui s’opposent au port du masque obligatoire. Deux d’entre eux se sont collés sur une journaliste de TVA, au mépris de la distanciation physique recommandée par la santé publique durant la pandémie. « Personne n’a le droit de mettre en danger la santé des autres et, malheureusement, c’est ce qu’on a pu observer en fin de semaine », a déploré la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, en conférence de presse.

Le médecin Marc Lacroix, qui possède des cliniques privées dans huit régions de la province, n’a pas participé à la manifestation, mais il relaie fréquemment des informations qui mettent en doute cette politique du gouvernement sur son compte Facebook. « Moi, je ne suis pas contre le masque, s’est-il défendu en entrevue, en précisant qu’il était utilisé dans toutes ses cliniques. Je suis contre le masque partout au Québec en milieu fermé, alors que dans plusieurs régions, aujourd’hui, on observe zéro cas de COVID actifs. »

« Pourquoi le masque deviendrait obligatoire au mois de juillet en fin de pandémie, alors qu’au mois de mars au pic de l’épidémie — lorsqu’on avait le plus grand nombre de cas actifs et le plus grand nombre de décès —, le gouvernement disait publiquement que le port du masque était carrément non efficace, ne protégeait pas du virus et, jusqu’à un certain point, pouvait empirer la situation étant donné que les gens pouvaient manipuler le masque et se toucher les yeux, se toucher le visage ? » a-t-il demandé.

L’attaché de presse du premier ministre Legault, Ewan Sauves, a indiqué que le gouvernement « a toujours voulu faire les choses graduellement ». Sans être considéré comme une solution magique, le couvre-visage constitue une « mesure additionnelle » pour limiter la propagation du virus.

« Je trouve ça inquiétant d’entendre que la pandémie est finie et que le virus est derrière nous, que le virus est disparu, a affirmé Mme Guilbault en réaction au discours des manifestants. Quand on regarde ce qui se passe chez des voisins pas si loin, aux États-Unis, ça nous prouve que le virus n’est pas disparu, [que] la pandémie n’est pas derrière nous, puis qu’il ne faut pas baisser la garde. »

Elle a appelé les Québécois « à être solidaires et à se rallier à l’effort collectif », en rappelant qu’une grande majorité respecte les consignes de la Santé publique.

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