Drame de Saint-Apollinaire: la douleur en partage

Ces derniers jours, l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) a reçu de nombreux appels de parents en détresse.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Ces derniers jours, l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) a reçu de nombreux appels de parents en détresse.

La mort tragique de Norah et de Romy Carpentier et leur forte médiatisation ont ravivé la douleur d’autres parents, dont les enfants ont été assassinés.

« Il y en a pour qui ç’a été extrêmement pénible », raconte la directrice de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD), Nancy Roy. « Quand ils voyaient la mère à la télévision avoir de la difficulté à respirer et faire sa déclaration, ils revivaient chaque moment. »

Ces derniers jours, l’Association fondée par Pierre-Hugues Boisvenu a reçu de nombreux appels de parents en détresse. « Souvent, je leur conseillais de rappeler leur psychologue. C’est ce qu’ils ont fait et ça les aide », dit la directrice de l’organisme.

Nancy Roy a rencontré la semaine dernière la mère de Norah et Romy, Amélie Lemieux, en compagnie de parents ayant vécu un malheur semblable au sien « pour lui donner surtout de l’espoir ». « Parce qu’ils n’en ont pas d’espoir. Du jour au lendemain, tu te réveilles et tu n’es plus une maman. C’est épouvantable. »

Nathalie Beaulieu, mère de Clémence Beaulieu-Patry, qui a été assassinée dans un supermarché Maxi à Montréal en 2016, en sait quelque chose.

Contrairement à d’autres, elle n’a pas revécu sa douleur de l’époque à travers celle d’Amélie Lemieux au fil des derniers jours. Mais, elle comprend sa « souffrance » : « C’est épuisant. Tu as des moments où tu te sens un peu mieux et quinze minutes après, la tristesse t’envahit, la peine, la colère. »

Avec son conjoint, elle a suivi de près l’évolution du drame survenu dans Chaudière-Appalaches. « Toutes les histoires de femmes tuées, d’enfants tués, ça nous touche beaucoup. On le suit non pas par curiosité malsaine, mais parce qu’on sait à quel point les gens vont souffrir. »

Quatre ans après la mort de Clémence, sa fille est toujours la première personne à laquelle elle pense en se levant.

Père de Julie Boisvenu, assassinée en 2002, Pierre-Hugues Boisvenu dit avoir été très ému lorsqu’il a rencontré la maman des deux fillettes lundi au salon funéraire. « Ç’a été très difficile, je ne vous le cacherai pas. J’ai beaucoup de peine à voir ces mères-là complètement défaites. […] Je l’ai prise dans mes bras et je lui ai dit que je comprenais parce que j’étais passé par là. Je pense que c’est ce qu’elle voulait entendre. »

Des réponses

 

À ses yeux, Mme Lemieux « a une double douleur » parce que c’est son ex-conjoint qui aurait assassiné ses enfants. « Le « pourquoi » est encore « pire » dans son cas à elle.

La coordonnatrice du réseau des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), Marie-Christine Michaud, souligne qu’« une des choses les plus importantes pour les personnes victimes quand elles ont subi un acte criminel, c’est de comprendre ce qui s’est passé. Le pourquoi ». « C’est un peu comme un casse-tête. Ici, il y aura peut-être des choses plus difficiles à comprendre, des questions sans réponses », indique-t-elle.

Je l’ai prise dans mes bras et je lui ai dit que je comprenais parce que j’étais passé par là. Je pense que c’est ce qu’elle voulait entendre.

 

La Sûreté du Québec (SQ) qui doit s’adresser aux médias ce mercredi à Montréal, peut certes divulguer certains éléments d’information à la famille.

Mais, en l’absence d’un procès, la famille n’est-elle pas condamnée à faire le deuil d’informations-clés sur la disparition de ses proches assassinées ? Les réponses des experts consultés par Le Devoir divergent.

« C’est un grand sentiment d’injustice qui peut habiter des personnes quand il n’y a pas de procès », dit Mme Michaud. En plus d’« aller chercher des réponses », un procès donne l’occasion aux proches d’« exprimer les conséquences qu’[ils ont] vécues ». « Il n’y en aura pas ici. »

L’avocat criminaliste Walid Hijazi note pour sa part qu’un procès est l’occasion pour le public de prendre connaissance de « la preuve qui est pertinente à l’accusation », mais « pas nécessairement tous les fruits de l’enquête ». Par ailleurs, rien n’empêche un corps de police de divulguer de l’information de « courtoisie » amassée durant une enquête à des proches de personnes assassinées.

L’ancien policier — et membre de l’Assemblée nationale — Robert Poëti est persuadé que la SQ répondra à bon nombre des questions de Mme Lemieux. « Ils vont donner de l’information sur les résultats des autopsies, ça c’est clair. Je pense que c’est important pour la famille de savoir, si [les deux filles] sont mortes des blessures de l’accident ou d’une autre façon. Ça ne va pas aider à leur peine… C’est déjà très difficile… Mais, elle va avoir cette information-là. L’information concernant [le] décès [de Martin Carpentier] va sûrement être donnée aussi. ».

Les policiers amasseront tous les éléments de preuve, même s’ils ne remettront jamais leur dossier à un procureur aux poursuites criminelles et pénales, ajoute M. Poëti. « Ils vont tout vérifier comme s’il était vivant. Ça ira dans le dossier. Mais, le dossier ne pourra pas être déposé au procureur. Ce sera le bout du chemin », affirme le retraité de la SQ.

Par ailleurs, un procès pour meurtres constitue toute une épreuve pour les proches des personnes assassinées dans la mesure où ils n’ont pas le « contrôle » sur « l’issue du procès », précise aussi Mme Michaud. Parlez-en à Isabelle Gaston qui a vu son ex-conjoint Guy Turcotte être reconnu non criminellement responsable de la mort de leurs deux enfants pour cause de troubles mentaux en 2011.

« Au-delà de l’acte comme tel, ce dont les personnes victimes ont le plus besoin, c’est qu’on reconnaisse les conséquences qu’elles vont vivre, procès pas procès. Déjà, ça va être un gros pas pour que la personne puisse tranquillement aller mieux », conclut la coordonnatrice du réseau des CAVAC.

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