Un autre mouvement pour briser le silence

Comme en écho au chemin ouvert par #MoiAussi en 2017, des centaines de personnes, pour la plupart des jeunes femmes, se sont tournées vers les réseaux sociaux ces derniers jours au Québec pour évoquer des abus, du harcèlement, des agressions psychologiques, physiques et sexuelles, parfois alors qu’elles étaient mineures. Des témoignages qui visent notamment à provoquer une prise de conscience dans l’entourage des personnes ciblées.

« Le mouvement prend des proportions qui sont nécessaires. Un feu ne s’embrase pas pour rien », souligne Chloé Bouchard, qui a lancé le mouvement sur Instagram. « On parle du spectre des abus. Ce sont des choses qui vont avec une gradation. Mais elles sont toutes importantes à dénoncer. Tout est valide », estime cette tatoueuse montréalaise.

Ce qui distingue ce mouvement, c’est que cette fois il est principalement mené par de jeunes femmes, dont certaines étaient mineures au moment des allégations.

« On est en train de se réapproprier notre éducation sexuelle. Il y a trop de lacunes et trop de femmes et d’hommes qui en ont souffert. C’est le temps de parler des choses dont on ne parle pas à l’école », fait valoir la femme de 27 ans.

Le milieu du Web visé

 

Plusieurs personnalités du Web, dont les comportements étaient au cœur de rumeurs dans le milieu depuis des années, ont été pointées dans les derniers jours.

Noémie, qui préfère taire son nom de famille par souci de confidentialité, avait 14 ans lorsque des vedettes du Web alors âgées du double de son âge sont devenues « amis » avec elle sur Facebook. Rapidement, les conversations dévient. « Je me suis fait dire : je te fourrerais bien, mais je ne sais pas comment faire avec une vierge. Je ne savais pas quoi répondre », confie-t-elle au sujet de l’une de ces vedettes.

Une des mêmes vedettes contacte également Charlie Gagné alors qu’elle est seulement âgée de 13 ans. « J’étais vraiment fan de lui. J’avais fait des dessins pour lui et j’étais vraiment énervée quand il m’a ajoutée sur Facebook », raconte-t-elle. Les messages inappropriés, dont elle a gardé certaines captures d’écran, n’ont pas tardé. « Il faisait beaucoup d’allusions à ma puberté », mentionne-t-elle.

On est en train de se réapproprier notre éducation sexuelle. Il y a trop de lacunes et trop de femmes et d’hommes qui en ont souffert. C’est le temps de parler des choses dont on ne parle pas à l’école.

 

Ces témoignages ont rapidement trouvé écho dans plusieurs autres milieux. Ainsi, de nombreux tatoueurs, photographes, musiciens, influenceurs et barmans ont été cités dans les témoignages de victimes présumées.

« Les réseaux sociaux sont utilisés pour leur capacité de viralité », souligne la sociologue Sandrine Ricci, ex-coordonnatrice du Réseau québécois en études féministes.

Ce call-out traduit, selon elle, un ras-le-bol de la part des personnes ciblées par les violences sexuelles. « Au-delà du scandale que suscite le fait de nommer l’agresseur, ça montre un sentiment d’exaspération face à la normalisation, à la banalisation et à la minimisation des comportements des agresseurs », mentionne Mme Ricci.

En témoignant publiquement, ceux qui prennent la parole cherchent aussi à responsabiliser les proches, amis et collaborateurs de leur agresseur présumé. « C’est important de s’intéresser à la dimension collective. Les victimes cherchent à produire un changement de culture et de mentalité pour qu’on arrête d’accepter l’inacceptable. Il y a des gestes qui sont tolérés par des témoins ou qui ne sont pas reconnus comme de la violence sexuelle », souligne-t-elle.

Reconnaître son silence

 

Certains témoignages semblent indiquer un tel changement. Mikael Lebleu, cofondateur du blogue Petit Petit Gamin, a pris la parole mardi sur Facebook. « On savait que plusieurs d’entre [elles] [vedettes du Web] avaient des comportements problématiques, voire violents et abusifs. Qu’ils abusaient de leur célébrité pour coucher avec des jeunes fans influençables. Qu’ils se croyaient tout permis sous prétexte qu’ils étaient #famous. Pis, on n’a rien fait. »

Sa démarche se voulait avant tout introspective, explique-t-il en entrevue. « On a tous eu un rôle à jouer dans ce boys’ club. […] C’était l’effet d’une clique, c’était une culture du bullying. Une partie de leur popularité était basée là-dessus. Ça aurait dû nous indiquer qu’ils allaient plus loin. »

Des commentaires auxquels Jean-Philippe Maxime Tittley, qui évoluait aussi près de ce milieu, a également fait écho sur les réseaux sociaux. L’idée n’est pas de mettre l’accent sur les hommes, précise-t-il en entrevue. « Mais, si moi je suis capable à petite échelle de me regarder et de me demander — avec humilité et sans que ce soit de la signalisation de vertu — si j’ai pu participer à cette culture-là ou l’encourager d’une quelconque manière, peut-être que pour certains hommes, d’entendre ça, ça peut faciliter leur écoute. »

Des risques juridiques

 

Ces démarches ne sont toutefois pas sans risque, surtout lorsqu’un agresseur présumé est identifié.

« À partir du moment où on nomme quelqu’un, ça peut avoir des répercussions », note Rachel Chagnon, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). La juriste souligne également que les témoignages publics mettent sur un pied d’égalité les comportements et gestes reprochés. « Les commentaires grivois ou incivils qu’on a pu recevoir dans sa vie n’équivalent pas [dans le Code criminel] à se faire toucher les fesses ou à un viol », rappelle-t-elle.

Depuis lundi, l’organisme Juripop est submergé d’appels et de messages sur Instagram. « Les questions qui nous sont le plus posées, c’est vraiment par rapport à la diffamation. Il y a plusieurs personnes qui ont des craintes de faire une atteinte à la réputation et il y en a d’autres qui ont carrément déjà reçu une mise en demeure de l’agresseur qu’elles ont nommé », mentionne Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop.

La clinique juridique a lancé le mois dernier un programme de soutien aux victimes de violence sexuelle qui permet de rencontrer gratuitement un avocat.

 

« L’objectif, c’est d’éviter que leurs dénonciations se retournent contre elles avec une mise en demeure pour diffamation. On veut les soutenir pour qu’elles puissent dénoncer en connaissance de ce que ça implique de nommer quelqu’un publiquement », note Me Gagnon.

Sans commenter ce nouveau mouvement, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a réitéré sur Twitter son soutien aux « victimes qui souhaitent dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies ». « Le DPCP a mis en place une ligne téléphonique destinée à renseigner les personnes victimes de violence sexuelles qui envisagent de déposer une plainte auprès des policiers », rappelle le porte-parole Jean-Pascal Boucher.

La ministre responsable de la Condition féminine s’est aussi tournée vers les réseaux sociaux pour réagir à cette nouvelle vague, refusant la demande d’entrevue du Devoir. « Je crois sincèrement que personne ne devrait subir de tels gestes et qu’à force d’éducation et d’empathie envers les victimes, on peut enrayer ce fléau », a-t-elle écrit sur sa page Facebook.

Dans une réponse écrite transmise au Devoir, l’attachée de presse du ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, Élisabeth Gosselin, souligne le courage dont font preuve les victimes en dénonçant. « Il s’agit d’une étape importante et d’un grand pas de franchi. »

Elle ajoute que le ministre reconnaît l’importance d’accroître la confiance du public envers les mécanismes en place. « M. Simon Jolin-Barrette se fait un devoir d’améliorer l’accès à la justice ainsi que la confiance des citoyens envers le système de justice. Il s’engage à y travailler tout au long de son mandat. »

Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à appeler un centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) au 1 866 532-2822 ou la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010.

Maripier Morin s’excuse auprès de Safia Nolin

Dénoncée par la chanteuse Safia Nolin, l’animatrice Maripier Morin a admis mercredi avoir eu un comportement répréhensible lors d’une soirée festive de mai 2018 et lui a présenté publiquement ses excuses.

Safia Nolin a raconté mardi soir dans une série de « story » Instagram, largement partagée, avoir été la cible de harcèlement sexuel. Elle y partage aussi trois photos d’une morsure à la cuisse, que lui aurait faite l’animatrice, et qui lui a provoqué un bleu. Les événements remontent à mai 2018 dans un bar montréalais où Mariepier Morin aurait aussi tenu des propos racistes à l’égard du personnel de l’établissement. « J’ai peur de dire c’est qui, mais voilà un indice : c’est Maripier Morin », a écrit l’autrice-compositrice-interprète.

En fin d’après-midi mercredi, Maripier Morin a aussi utilisé une série de « story » Instagram pour réagir. Elle a confirmé se rappeler cette soirée et a souligné avoir été invitée au bar par la chanteuse. « On était entre amies, on faisait la fête, on lâchait notre fou », écrit-elle. Le lendemain, Safia Nolin lui aurait fait parvenir la photo du bleu avec la mention « lol », soutient l’animatrice. Quelques jours plus tard, elle lui envoie une nouvelle photo et c’est à ce moment-là que Maripier Morin aurait réalisé avoir eu un « comportement répréhensible » qui a provoqué une situation « d’abus et d’excès ». « Je m’en suis immédiatement excusée », dit-elle.

L’animatrice dit avoir tenté de joindre Safia Nolin afin de discuter de l’événement. « Elle n’était pas à l’aise de le faire et je respecte son choix », a-t-elle indiqué.

 



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