La francisation redémarre… mais pas pour tous

Les cours de francisation pour les nouveaux immigrants ont cessé depuis la mi-mars.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Les cours de francisation pour les nouveaux immigrants ont cessé depuis la mi-mars.

Après une pause de plusieurs mois, la francisation pour les élèves à temps partiel reprendra début juillet. Mais les nouveaux arrivants qui ne parlent pas français devront vraisemblablement encore attendre vu qu’aucune directive claire n’a été donnée pour la reprise des cours de débutant.

« Le 13 mars, au début du confinement, tous les cours ont été suspendus. Maintenant, on invite ces gens-là à ralentir leurs ardeurs et à sécher encore un peu. C’est assez scandaleux », a dit Bernard Bohmert, directeur général du Comité d’éducation populaire de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri (CEDA). « Ces gens-là sont déjà pénalisés parce qu’on n’a pas été en mesure d’offrir aux débutants une formule adéquate. »

Depuis trois mois, près de 1500 personnes, dont 750 débutants, sont sur la liste d’attente du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) dans l’espoir de commencer leurs cours. « On est en train de s’ajuster aux règles de la santé publique », a dit Émilie Vézina, porte-parole du MIFI, en ajoutant qu’il n’y a pour l’instant « aucune directive » concernant la réouverture des cours pour les débutants.

Selon M. Bohmert, la francisation est pourtant centrale pour quiconque entreprend des démarches pour immigrer au Québec. « Dans le parcours de ces personnes immigrantes, si la francisation n’est pas faite, c’est fatal. Ces gens-là ne pourront pas aller plus loin », a-t-il poursuivi. Rappelons que le gouvernement de la Coalition avenir Québec exige maintenant d’avoir réussi un examen de français comme préalable à l’obtention du Certificat de sélection du Québec (CSQ).

Le Regroupement des organismes en francisation du Québec (ROFQ) déplore la situation, mais reconnaît qu’il est très difficile de donner des cours à distance à des personnes débutantes, qui n’ont aucune notion de français. « C’est un cours de français langue d’intégration, après tout. Comment on peut intégrer quelqu’un à la société mais à distance ? On est inquiet. Mais on sait que c’est une situation transitoire », a dit Carlos Carmona, le coordonnateur du ROFQ.

Des cours à géométrie variable

Depuis le 13 mars, s’il n’y a plus de cours de francisation à proprement parler, des activités de « continuité pédagogique » en ligne ont néanmoins été offertes pour les personnes qui étaient déjà inscrites. En clair : des ateliers ont été donnés par des enseignants, mais aucune évaluation n’a été effectuée. Très peu d’immigrants ont abandonné le cours — à peine 1,5 % pour les inscrits à temps complet et 4,1 % pour ceux à temps partiel —, selon ce qu’a recensé le MIFI.

Du reste, la situation a beaucoup ressemblé à celle dans les écoles primaires et secondaires publiques : certains enseignants se sont adaptés très facilement et ont continué à enseigner via diverses plateformes numériques tandis que d’autres, pour diverses raisons, dont un manque d’affinité avec les technologies, n’ont pas pu le faire.

À Montréal, pour remédier à l’arrêt soudain des cours, l’organisme Accueil liaison pour arrivants (ALPA) a mis en place des ateliers de conversation numérique une semaine après le début du confinement, avant même que le MIFI ne réagisse. « Au début, il n’y avait pas de profs du MIFI qui donnaient des cours sur Zoom. Ça se comprend. Ce n’est pas rien de basculer d’une classe physique à une classe numérique », explique Alia Hassan-Cournol, directrice de cet organisme d’Hochelaga-Maisonneuve. Des bénévoles ont ainsi donné près de 125 heures d’ateliers de francisation par semaine à des centaines de personnes.

Selon elle, les nouveaux arrivants sont plutôt doués avec la technologie. « Mais là où le bât blesse, c’est qu’ils n’ont pas tous accès à une bande passante de qualité », souligne Mme Hassan-Cournol. « Ce n’est pas une question d’immigration, c’est une question socio-économique. C’est important de tenir compte de la fracture numérique. »

Une reprise à distance

Quoi qu’il en soit, le 6 juillet, la plupart des cours de francisation à temps partiel reprendront à distance. Des questionnaires ont été envoyés pour sonder la capacité des élèves à suivre ce cours, à savoir s’ils ont les outils nécessaires et l’espace et la tranquillité pour le faire. « Est-ce qu’une mère monoparentale qui habite dans un petit appartement avec deux enfants à la maison va pouvoir bien suivre les cours ? » s’interroge M. Carmona.

À l’inverse, la question se pose aussi pour les enseignants. « On s’inquiète de savoir s’il va y avoir assez de profs qui peuvent donner les cours à distance », ajoute-t-il. Une formule hybride, avec quelques élèves présents dans les locaux des organismes, sera également testée.

Selon Bernard Bohmert, du CEDA, les organismes qui fournissent les locaux auront besoin de soutien. Certains d’entre eux craignent de manquer d’espace s’il faut respecter les deux mètres de distance. « Je ne suis pas convaincu que les choses se feront adéquatement dans toutes les organisations », a-t-il dit, indiquant qu’aucune « ressource additionnelle » n’a été offerte aux organismes pour l’instant.

S’il se dit ouvert à la formule hybride, M. Bohmert pense néanmoins que les mêmes problèmes se posent. « Encore là, les plus pauvres, les personnes qui vivent à cinq dans un 3 et demie, qui n’ont pas d’ordi ou de tablettes, seront exclus. »

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