La vague de manifestations contre le racisme gagne le Québec

De Sherbrooke à Québec en passant par Trois-Rivières et Montréal, des milliers de personnes ont rejoint dimanche la déferlante des manifestations contre le racisme et la brutalité policière. Le mouvement mondial a été déclenché par la mort de l’Afro-Américain George Floyd lors de son interpellation policière le 25 mai à Minneapolis.

Les marches québécoises de fin de matinée se sont toutes déroulées dans le calme. Les foules ont rassemblé beaucoup de jeunes adultes souvent venus à vélo des quatre coins des
villes. Le mot d’ordre des organisateurs de porter un couvre-visage et des t-shirts blancs a été assez largement suivi partout.

Toutefois, la foule très compacte pourrait avoir facilité la propagation du coronavirus, comme le craignent des autorités sanitaires.

 

Les participants ont partout observé 8 minutes 46 secondes de silence, agenouillés, en mémoire de M. Floyd, qui a agonisé tout ce temps sous les genoux d’un policier, maintenant accusé de meurtre. Beaucoup de pancartes et de t-shirts reprenaient ses derniers mots : « I can’t breathe » («Je ne peux pas respirer»). Le slogan américain «Black Lives Matter» était aussi omniprésent.

À Montréal, la nouvelle manifestation appelée par La Ligue des Noirs Nouvelle Génération et d’autres organismes communautaires a réuni beaucoup plus de gens que la première manifestation du week-end précédent. La foule, qui débordait de la place Émilie-Gamelin, s’est mise en branle vers 11 h pour rejoindre le square Dorchester. La procession a fait de nombreux arrêts pour inviter les participants à mettre un genou à terre tout en brandissant un poing en l’air.

Les discours entendus appelaient à la transformation des mentalités. « Les choses doivent changer, a dit à la foule le pasteur Wilner Cayo. Chez vous, c’est chez nous. […] Nous ne pouvons pas respirer. Enlevez votre genou de notre nuque. » Le créateur de la Fondation Busta John a résumé en créole son message en disant que le peuple noir a « bezwen respè ».

Sinon, les discours à la tribune étaient en français et les pancartes tenues par la foule, presque toutes en anglais. Karina Chery en proposait une rare bilingue sur laquelle elle avait recopié et traduit une citation d’Angela Davis disant : « Dans une société raciale, il ne suffit pas d’être non raciste, nous devons être antiracistes. »

Mme Chery est venue en groupe de Montréal-Nord avec ses deux enfants, son conjoint, sa belle-fille et d’autres parents. « Assez, c’est assez, et c’est pour ça que je suis ici aujourd’hui, pour faire entendre ma voix », dit l’auxiliaire familiale. Elle ajoute ne pas sentir de discrimination à son travail, mais avoir vécu des remarques racistes dans la vie courante.

Son fils le plus âgé a 13 ans. Elle a déjà eu une conversation avec lui pour lui expliquer le profilage racial et, en conséquence, comment se comporter si jamais il se fait arrêter ou contrôler par la police. Les Noirs et les Autochtones sont respectivement quatre et cinq fois plus susceptibles d’être interpellés que les Blancs par les policiers montréalais. « Je lui répète de faire attention. Je lui dis que, si la police l’arrête, il doit parler respectueusement. Le petit de 5 ans n’est pas encore assez vieux, mais on va se parler de ça aussi plus tard. »

Ici comme ailleurs

 

La Ligue des Noirs Nouvelle Génération avait finalement retiré l’invitation à participer à la marche faite la semaine dernière à Sylvain Caron, directeur du Service de police de la Ville de Montréal.

Les manifestations avaient pour but de dénoncer la brutalité policière et de rappeler que le racisme existe également au Québec et au Canada tout en exprimant de la solidarité avec la protestation étasunienne, la plus importante depuis des décennies par son ampleur et sa persistance.

 

Le Québec n’a pas été seul à se joindre au mouvement. Des rassemblements ont encore eu lieu dimanche dans plusieurs villes canadiennes, dont Toronto (avec deux manifestations distinctes), et européennes, notamment à Madrid, à Rome, à Bristol et à Budapest.

À Sherbrooke, le rassemblement est parti à 11 h du marché de la Gare et s’est dirigé vers l’université de la ville, tout en s’arrêtant devant le poste de police. Le site était barricadé, et ses occupants se faisaient discrets. Des manifestants ont tenté, en vain, de faire poser un genou à terre à des policiers en service. Au moins un essai semblable a aussi échoué à Montréal.

À Québec, le rendez-vous était fixé devant l’Assemblée nationale. Le rappeur Webster a pris la parole pour expliquer que le racisme et le profilage racial existent au Québec.

Il a aussi regretté que le premier ministre François Legault, tout en reconnaissant la réalité de la discrimination, refuse de la qualifier de systémique. « François Legault devrait peut-être changer son nom pour Mamadou Legault et aller porter son CV pour voir quel effet ça fait, a dit Webster. Je trouve ça insultant. Plusieurs études prouvent qu’il y a du racisme systémique et, encore une fois, ce n’est pas parce qu’il y a du racisme systémique que l’ensemble de notre société est raciste. »

Plusieurs élus québécois ont participé aux manifestations. Le maire de Sherbrooke, Steve Lussier, y était. La porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, et d’autres députés de la formation ont marché à Québec, tout comme le candidat à la direction du Parti québécois, le député de Jonquière Sylvain Gaudreault.

François Legault devrait peut-être changer son nom pour Mamadou Legault et aller porter son CV pour voir quel effet ça fait

 

Dominique Anglade, première femme à diriger le Parti libéral et première femme afro-québécoise à diriger une formation politique au Québec, était de la marche montréalaise. Elle participait en fait à son premier rassemblement public depuis le début de la crise pandémique et sa nomination comme leader libérale.

« C’est important qu’on montre notre solidarité avec ce qui se passe aux États-Unis, a dit Mme Anglade en entrevue. Pour moi, c’est important d’envoyer le message qu’on est solidaires. Cet enjeu est important. Il faut trouver des mesures concrètes pour faire avancer la cause. L’important, c’est que chaque enfant, peu importe la couleur de sa peau, atteigne son plein potentiel. On veut aspirer à ça comme société. »

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