Les inégalités et la confusion règnent dans l'enseignement à distance
L’enseignement à distance en temps de pandémie, c’est comme une loterie. Parfois on gagne, parfois on perd. Une famille du quartier Hochelaga ayant deux enfants dans la même école primaire a pigé un billet gagnant et un billet perdant.
Le plus jeune de la famille, en première année, a un suivi hebdomadaire avec son professeur, des conférences par Zoom et un plan de cours avec des activités bonifiées. Sa grande sœur, en troisième année, n’a eu aucun contact direct avec son enseignante depuis la mi-mars. Celle-ci a communiqué avec les parents au tout début du confinement. Depuis, les contacts se limitent à environ un courriel par mois.
« Elle nous réfère à la trousse pédagogique du ministère de l’Éducation et ne fait aucun suivi direct », déplore la mère de famille, Karine Verville. Les deux enfants fréquentent l’école publique Notre-Dame-des-Victoires.
Son conjoint, Louis-Frédéric Fortin, se demande pourquoi les consignes sont si confuses. « Est-ce qu’on peut nous dire clairement si les enfants sont encore sous la charge des profs ou pas ? J’ai l’impression que, même pour les professeurs, ce n’est pas clair. »
Lorsqu’il était question d’ouvrir les écoles, l’enseignante de première année a envoyé des photos de l’école, de la classe, du pupitre du garçon de la famille pour qu’il se sente le bienvenu et à l’aise. Sa grande sœur a été laissée dans le noir. « Elle ne comprend pas pourquoi son frère a un suivi avec son prof et pas elle. Elle essaye même de se joindre aux meetings Zoom de son petit frère. »
Ces parents d’Hochelaga affirment se sentir « abandonnés » par le gouvernement. « On remercie les profs qui prennent des initiatives personnelles, mais au niveau de l’État, c’est un flop total. Il y a de sérieuses questions à poser. »
Cette famille n’est pas la seule à constater un suivi qui varie beaucoup d’un élève à l’autre.
La députée Christine Labrie, de Québec solidaire, a rappelé mercredi que des milliers d’élèves sont toujours privés de matériel informatique malgré les 15 000 tablettes promises par le gouvernement. Elle a raconté une histoire d’élèves délaissés, qui reçoivent par exemple « un courriel par semaine avec un plan de travail, pas de séance en ligne, aucun suivi ».
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge a décrit cette situation comme « totalement inacceptable ». « Est-ce que c'est suffisant de recevoir un plan de travail et pas de suivi dans la semaine ? Absolument pas, et c'est contraire aux directives qui ont été envoyées, [qui prévoient] la pleine prestation de travail de tous les enseignants au Québec en ce moment », a-t-il affirmé.
Après deux mois de flottement, où le suivi offert aux élèves a varié considérablement, les écoles ont augmenté la cadence cette semaine. Le mot d’ordre du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) est de délivrer un enseignement pour tous jusqu’à la fin de l’année scolaire, rappelle Jean-François Roberge. Les cours sont désormais obligatoires pour les enseignants et pour les élèves. Fini les « vacances » du début du confinement, ainsi que les exercices facultatifs.
Dans certaines écoles, la directive du ministère a été si bien suivie que des parents n’arrivent plus à suivre le rythme. « C'était déjà difficilement gérable avant cette semaine entre le télétravail, les enfants, la maison et quelques petits devoirs. Mais aujourd'hui, c'est rendu ingérable. Nous sommes à bout », déplore Christelle Galtié, mère de deux enfants à l’école primaire Fernand-Seguin de Montréal.
Elle et son conjoint font du télétravail à temps complet. Ils n’ont pas le temps de superviser les leçons de leur fille de sixième année et leur garçon de deuxième année. La liste des exercices de la semaine donne le vertige: 17 pages de français, 16 pages de mathématiques, écrire une histoire de 30 mots incluant trois mots avec le son « ier », trois avec le son « ien », trois avec le son « ion » (« cela a pris une heure avec l'aide de mon conjoint », dit Mme Galtié), écrire une histoire de 30 mots avec cinq phrases dont chacune comporte au moins deux adjectifs et tous les adjectifs doivent être différents, revoir 50 mots de vocabulaire, en apprendre 20 nouveaux, ainsi qu'un nouveau verbe, et ainsi de suite.
« On n’est pas obligés de donner huit heures de travail par jour à des élèves du primaire. Trois heures par jour de devoirs à la maison, c’est très bien », nuance Hélène Bourdages, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES).
Un système à plusieurs vitesses
Elle reconnaît sans détour que le suivi pédagogique offert par les enseignants varie énormément d’une école et même d’une classe à l’autre. « Les vitesses sont très très variables. On est au mois de mai, c’est encore difficile. Je constate que beaucoup de profs sont en appropriation du matériel informatique. Il faut s’approprier les bonnes façons de faire pour que ça reparte en août », dit-elle.
« Les profs ont l’autonomie professionnelle pour développer leur projet éducatif, mais on doit travailler en collégialité pour que le programme du ministère soit vu », dit-elle.
Catherine Beauvais-Saint-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, affirme que les consignes du MEES et de la Commission scolaire de Montréal étaient floues jusqu’à cette semaine. Elle rappelle que les directions d’école ont le pouvoir d’exiger une prestation de travail aux enseignants, en cas de problème.
« La directive du ministère était au départ d’offrir un suivi aux élèves sur une base libre et volontaire, dans la mesure du possible. On n’a jamais découragé aucun prof d’en faire plus. On a rencontré la commission scolaire, on aura des directives plus claires et on s’attend à des améliorations [dans les suivis aux élèves] », dit-elle. A la CSDM, on rappelle que les préparatifs pour le retour en classe, qui était prévu en mai, ont pris beaucoup d’énergie, mais que depuis, les enseignants intensifient le soutien à distance. « Tous les élèves doivent être en contact avec un enseignant plusieurs fois par semaine », écrit Alain Perron, du bureau des communications.