7000 repas par semaine livrés à des familles vulnérables

Il y a de ces moments dansla vie où il faut réagir dans la précipitation et la hâte. Surtout lorsque tout s’effondre et que l’on se demande de quoi notre lendemain sera fait. Lorsque la crise du coronavirus a frappé, la Cuisine collective Hochelaga-Maisonneuve (CCHM) a dû arrêter abruptement ses activités. Les rassemblementsdans le vaste espace de la rue Adam — servant à se retrouver autour de quelques casseroles pour cuisiner ensemble, puis repartir chacun avec ses plats — devenaient soudainement un geste hautement préjudiciable. Et surtout interdit.

Et pourtant, les besoins étaient encore là. Même qu’ils étaient encore plus criants qu’avant. Que faire, et surtout quoi faire ? « Comme on ne pouvait plus accueillir nos 43 groupes de cuisine collective dans nos locaux, on a décidé de redéployer nos services en sens inverse », explique Benoist De Peyrelongue, directeur général de la CCHM. « On cuisine maintenant pour eux et on leur livre ensuite la nourriture », lance-t-il avec enthousiasme.

Le tout s’est organisé très rapidement — en l’espace de quelques jours — grâce à un vaste réseau de solidarité qui était déjà présent, mais qui s’est retissé avec des mailles encore plus serrées.

« On avait tous envie de se mettre en action. Et le fait qu’on avait déjà des liens avec plein d’organismes communautaires qui venaient déjà à la CCHM, ça a créé un écosystème naturel », rend compte Benoist De Peyrelongue.

Un écosystème qui n’a pas tardé à prendre sa vitesse de croisière. À sa première semaine d’activité, la « nouvelle » CCHM a réussi à livrer 800 repas. À la deuxième, 2000. Et depuis sa troisième semaine à titre de fournisseur d’aide alimentaire, la CCHM livre 7000 repas toutes les semaines à 2500 familles des quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Mercier, Centre-Sud et Rosemont.

Dire que les besoins sont là, particulièrement en ces temps incertains, relève donc de l’euphémisme. Rapidement s’est donc posée la question de la confection des repas en quantité massive. Dès les premiers jours, le personnel administratif et les intervenants sociaux de la CCHM ont été sollicités pour mettre la main à la pâte — c’est bien le cas de le dire — en travaillant directement à la cuisine.

Mais malgré cela, « on a rapidement eu un enjeu de production », relève le directeur général de la CCHM. La Tablée des chefs a donc été appelée en renfort et fournit désormais la moitié des repas livrés. Et les dons de nourriture de Moisson Montréal ont été multipliés par 10. Un coup de pouce essentiel puisque la CCHM a dû se réinventer au moment où ses revenus périclitaient de manière vertigineuse en raison, notamment, de l’arrêt de son service de traiteur commercial.

Cyclistes solidaires

En ce vendredi frisquet du mois de mai, une trentaine de cyclistes se massent — à deux mètres de distance bien sûr — près du parvis de l’église du Très-Saint-Rédempteur, qui jouxte la CCHM. Sous une fine neige qui embrume le ciel commence alors l’installation de remorques — prêtées par le collectif Solon et l’entreprise de déménagement à vélo Myette — sur certaines bicyclettes. D’autres cyclistes, bien emmitouflés, ont apporté leur propre remorque ou encore leur sac à dos. L’essentiel de la livraison de l’aide alimentaire se fera, ce matin encore, par le biais de bénévoles du réseau Cyclistes solidaires, mis sur pied dans la foulée de la crise du coronavirus.

Pascale Monier, Virginie Baudrimont et Émilie Lemarteleur font partie du réseau de livreurs à deux roues qui a tout de suite répondu présent lorsque l’appel a été lancé pour le projet de livraison de repas de la CCHM.

« On dit que le confinement, c’est un moment de réflexion et de retour sur soi, mais pour nous, venir ici, c’est participer à un changement plus large, c’est participer à un effort collectif contre la pandémie », expliquent-elles à l’unisson.

Quelques mètres plus loin, les vélos se font tour à tour charger de boîtes remplies de barquettes de poulets aux herbes, de frittatas de légumes et de caris de courges et légumes. S’amasse également sur les montures une kyrielle de denrées non périssables : céréales, pâtes alimentaires, confitures, barres tendres, et de victuailles en tout genre. Car en plus des repas déjà cuisinés, la CCHM fournit également des paniers d’aide alimentaire aux familles desservies. Une dose de solidarité qui suit, elle aussi, une courbe exponentielle.

Dans ce brouhaha de chaleur humaine se met alors en branle un joyeux cortège de cyclistes qui se disperse en étoile en direction de 16 organismes communautaires, 10 HLM et 4 coopératives d’habitation, les ports d’attache pour rejoindre les familles ayant besoin d’un soutien alimentaire.

À quelques centaines de mètres de là, une équipée de cyclistes fait escale au Centre communautaire Hochelaga (CCH). Pour cet organisme communautaire spécialisé en loisirs, la crise du coronavirus a également été synonyme de fermeture. Mais ici aussi, il n’aura fallu que quelques jours pour que l’organisme rouvre ses portes avec une mission renouvelée — fournir une aide alimentaire à quelque 150 familles du quartier que le CCH connaissait déjà puisqu’il les desservait en loisirs.

« C’est exceptionnel ce qu’on a réussi à mettre en place si rapidement. C’est du jamais-vu », s’enthousiasme Roland Barbier, directeur général du CCH, pendant que les cargaisons se font décharger.

En plus des paniers alimentaires, le CCH bonifie le soutien aux familles en leur offrant des cartes-cadeaux pour des achats en épicerie. C’est dire combien la transmission communautaire est devenue active ici aussi.

Un peu plus loin, au pied d’un HLM situé au sud de la rue Sainte-Catherine, Isabelle Dauplaise, directrice générale de GCC La violence, un organisme voué à prévenir la violence et la criminalité, est interrompue dans le déchargement des boîtes d’aide alimentaire par la sonnerie de son téléphone. «

 On vient d’apprendre qu’une maman de quatre enfants qui vit dans un HLM a la COVID-19. Elle ne peut plus aller faire l’épicerie et elle n’a pas de carte de crédit pour faire des livraisons à domicile. » La dame, sans réseau d’entraide et qui était inconnue jusque-là de l’organisme communautaire, sera ajoutée chaque semaine au service de dépannage alimentaire.

« On n’avait jamais fait de dépannage alimentaire avant, mais c’est sûr que ça va rester dans nos activités même après la COVID-19. Le besoin est là », fait valoir Isabelle Dauplaise.

Et c’est sans compter que l’aide alimentaire livrée à domicile en ces temps où l’isolement est devenu une vertu devient une porte d’entrée inestimable pour briser l’isolement et tendre la main aux personnes les plus vulnérables — le tout, à distance bien évidemment sécuritaire. « Il va falloir qu’on rende cette aventure pérenne », souffle Benoist De Peyrelongue.
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait que la CCHM livre 7000 repas toutes les semaines à 600 familles des quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Mercier, Centre-Sud et Rosemont, a été modifiée.

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