Un salon funéraire organise des visites en voiture

Monsieur M. avait la quarantaine. Il est mort à l’hôpital après une opération, en pleine pandémie. Sa grande famille éprouvée chérit encore le dernier hommage communautaire aux disparus. Seulement que faire dans un temps de distanciation sociale, quand il faut fuir les autres comme des pestiférés ?
Les services funéraires traditionnels comptent aussi au nombre des victimes du vilain virus. La pandémie bouleverse la vie comme la mort. Les résidents des CHSLD crèvent seuls, sans leurs proches. Les services religieux se font à huis clos. Les thanatologues n’embaument pas les personnes emportées par la COVID, qui ne peuvent pas non plus être exposées. Les salons funéraires ne reçoivent pas plus de cinq visiteurs à la fois.
La solution a passé par l’auto pour la dépouille de Monsieur M. Son corps a été exposé mercredi soir en vitrine, près de la porte d’entrée du complexe funéraire Aeterna de Montréal. Les proches, amis et membres de sa grande famille ont défilé dans leur voiture pendant plusieurs heures dans un ballet quasi ininterrompu.
Chacun, alerté par les réseaux sociaux, avait droit à quelques secondes à l’arrêt devant le cercueil entouré de fleurs et d’une photo du défunt. Beaucoup pleuraient. Quelques-uns quittaient leur véhicule pour s’approcher de la dépouille sous verre. L’expression rite de passage n’a probablement jamais été autant justifiée.
« On ne peut pas entrer dans le salon en groupe, alors c’est la solution la plus logique et la plus pratique », a résumé Monsieur F., beau-frère du défunt, qui dirigeait la circulation lente balisée par quelques cônes orange. Lui-même portait un gilet de haute visibilité de la même couleur.
Condoléances à l’auto
La directrice générale Lucie Marsolais faisait le va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur du salon. C’est elle qui a eu l’idée de ce drive-in funéraire, sauf erreur première du genre au pays.
« Je suis arrivée dans mon équipe de directeurs avec cette idée la semaine passée, en disant que si on peut aller visiter nos parents ou nos grands-parents à travers une fenêtre, pourquoi ne pas voir aussi nos défunts à travers une vitre », a-t-elle expliqué en entrevue dans le bureau de son complexe aux allures d’hôtel moderne. L’idée a été bien reçue. Un de ses conseillers a suggéré d’attendre une famille prête à la recevoir. « Quand on l’a proposée, les proches ont été en pleurs immédiatement parce que cette solution permettait d’offrir une alternative acceptable pour recevoir des dizaines et des dizaines de visiteurs. »
Les services funéraires n’ont pas cessé avec le confinement. « Notre personnel parle couramment quinze langues, dit fièrement Mme Marsolais. On sert une clientèle très montréalaise, très multiculturelle. Présentement, on touche encore toutes les communautés et on s’adapte. Nos activités n’ont pas diminué. Au contraire, il y a eu une augmentation des services dans toutes les maisons funéraires de Montréal. »

La directrice générale cherche encore une appellation contrôlée pour sa nouvelle offre de service peu orthodoxe. Elle propose « condoléances à l’auto » ou « dernier au revoir à l’auto » et explique que c’est sous cette forme qu’elle présente sa solution aux clients, maintenant que le premier essai s’avère concluant.
L’emplacement et la configuration d’Aeterna permettent cette solution originale. Le complexe est entouré d’un spaghetti d’autoroutes aux croisements de la 40 et de la 15 au centre de l’île de Montréal. Un grand stationnement encercle l’immeuble avec entrée et sortie indépendantes pour faciliter la circulation et la pause consolatrice.
Des amis et des membres de la famille recevaient les visiteurs à l’entrée du stationnement mercredi. Quelques proches interrogés brièvement ont tous repris le jugement des condoléances à l’auto comme une solution convenable.
« On fait ce qu’on peut », a résumé laconiquement un ami du défunt.
Trois coups de klaxon
Les funérailles posent de sérieux casse-têtes partout dans le monde alors que la pandémie a déjà fait au moins 230 000 victimes sur la planète. L’Italie a enterré dans des fosses communes des centaines de corps non réclamés. À New York, les obsèques mardi soir d’un rabbin orthodoxe ont réuni des centaines de personnes au mépris des règles de distanciation. Le maire, Bill de Blasio, a dénoncé le rassemblement.
D’autres directeurs de salons ont eu la même idée que Mme Marsolais. La Mission Park Funeral Chapels and Cemeteries de San Antonio au Texas offre aussi un service à l’auto depuis le milieu du mois. La mécanique expose le corps du défunt à travers une vitre et les visiteurs peuvent enregistrer un message de condoléances sans quitter leur voiture. Ils sont invités à klaxonner trois fois en guise de dernier adieu. La cérémonie est aussi diffusée en streaming et accompagnée d’un livre de condoléances en ligne.
Aeterna travaille à des innovations semblables. Des caméras seront installées dans les prochaines semaines pour permettre des captations en direct des cérémonies dans les chapelles. Il suffira d’un mot de passe pour accéder aux diffusions. Cette autre innovation va en plus permettre de rejoindre les amis et les membres des familles éparpillés partout dans le monde. La route, c’est bien. Le routeur, c’est mieux.
Cette idée sera déclinée dans d’autres complexes funéraires. Par contre, Mme Marsolais ne craint pas de se faire chiper ici son idée des visites motorisées. Elle a vérifié avec des images satellites et selon elle aucun autre salon de Montréal n’a une configuration semblable au sien, avec vitrine donnant sur un stationnement, pour faciliter les condoléances à l’auto.
« ll faut être innovateur en ce moment. Et cette solution pourrait rester, pourquoi pas ? »