Quand la crise souligne le caractère essentiel d’un service essentiel

Catherine Girouard Collaboration spéciale
La place Émilie-Gamelin, en plein cœur de Montréal, accueille un centre de jour d’urgence pour les personnes en situation d’itinérance.
Photo: Fabrice Gaëtan La place Émilie-Gamelin, en plein cœur de Montréal, accueille un centre de jour d’urgence pour les personnes en situation d’itinérance.

Ce texte fait partie du cahier spécial Services essentiels

Le nombre de services d’urgence qui ont dû être mis en place rapidement pour répondre aux besoins des personnes en situation d’itinérance à Montréal parle de soi : le travail des organismes communautaires est essentiel. Si la pandémie a frappé fort pour les sans-abri, qui ont perdu beaucoup de points de repère et de services, les travailleurs du milieu sont très nombreux à s’être retroussé les manches pour ne pas abandonner leur clientèle pour autant. Au Sac à dos, en plus de continuer à offrir ses services postaux, la petite équipe cogère avec la Ville le centre de jour d’urgence mis en place à la place Émilie-Gamelin.

« Je t’offre un café ? La drogue de l’intervenant ! » me propose en souriant Jean-Denis Mahoney en remplissant sa tasse quand je le rejoins, un vendredi matin, dans le sous-sol où est installé le bureau administratif du Sac à dos.

« Je vais t’avouer que je suis un peu covidé », m’avouera l’adjoint du directeur de cet organisme d’insertion sociale et économique qui a pignon sur rue sur Sainte-Catherine Est. En plus de maintenir son service postal habituel — mais adapté à la nouvelle réalité —, Le Sac à dos a vu son terrain de jeu s’étendre jusqu’à la place Émilie-Gamelin, à quelques coins de rue de ses locaux. Café à la main et masque en poche, Jean-Denis nous y emmène.

« Au début de la crise, j’ai dit à la Ville qu’on était prêts à donner un coup de main en cas de besoin », raconte-t-il en marchant. Sa proposition est loin d’être restée lettre morte. « Le lendemain, on me rappelait et me disant qu’on mettrait en place un centre de jour dans le parc Émilie-Gamelin dès le week-end. Je leur ai dit qu’on serait là avec eux dès le lundi. »

La Ville et la Croix-Rouge ont mis en place les bases de ce centre d’urgence extérieur et établi le protocole de départ. « Ça marchait déjà bien, on s’est intégré et on a vite pris le beat », raconte l’adjoint. Depuis, deux membres de l’équipe de l’organisme assurent une présencecontinue sur place et y distribuent sandwichs, cafés et autant de soutien psychosocial et de chaleur que possible.

« Les gars de la rue, je les trouve bien résilients et compréhensifs, affirme Jean-Denis. Tout leur a été coupé d’un seul coup, incluant le love qui venait avec la prestation de service, et je pense que c’est ce qui a le plus fait mal. »

Photo: Fabrice Gaëtan Jean-Denis Mahoney 

Car ce love est beaucoup plus difficile à donner avec les mesures de distanciation nécessaires. « C’est plus froid et clinique malheureusement, mais on n’a pas le choix », se désole-t-il. Celui-ci confie penser à tout cela constamment et être toujours à la recherche de meilleures solutions. « Il faut vivre avec l’espèce de stress généré par la situation, tout absorber ça personnellement et en tant qu’intervenants, et on se retrouve à la confluence de la colère et de l’incompréhension des usagers », explique-t-il.

De love… et de légumes

« Mais regarde ça, si c’est pas beau ! s’exclame Jean-Denis en arrivant au parc Gamelin. Tout le monde ou presque respecte le deux mètres. »

Assis un peu partout à travers le parc, les nombreuses personnes qui y sont respectent en effet les règles de distanciation. « Les sans-abri ont eux aussi intégré ça très rapidement », affirme Jean-Denis.

Faisant la file entre les lignes dessinées au sol jusqu’à la tente de distribution alimentaire, des dizaines de personnes attendent patiemment leur tour. Au menu exceptionnellement aujourd’hui : des hot dogs. Gracieuseté des bénévoles de la STM.

Jean-Denis travaille fort depuis plusieurs jours pour améliorer l’offre alimentaire du centre d’urgence. « Il faut que les personnes en situation d’itinérance aient de bonnes défenses, fait-il valoir. Ça leur prend plus de légumes… » Actuellement, le menu très redondant se résume à peu près à des petits gâteaux sucrés le matin et des sandwichs sur pain blanc le midi. « Donnez-moi 3000 $ et je réussirai à servir de la bonne soupe préparée par ma cuisinière assez longtemps », rêve-t-il.

Autre point qu’il tient à spécifier : « On s’est engagé là-dedans sans aucune garantie financière, parce qu’il fallait le faire et que c’est notre monde qui était dans la rue. On savait qu’on les retrouverait au parc Gamelin. On a eu une bonne enveloppe de Centraide au départ, mais là, on arrive au terme du financement initial et il faut déposer une nouvelle demande. On vit avec le risque de se faire dire que c’est pas si important que ça, qu’il y ait des intervenants sur le terrain. »

Ce qui est selon lui très important, au contraire. « Même les gens de la Ville aiment avoir des gens qui savent parler aux gens de la rue de façon très libre à leurs côtés, ça change tout. »

L’entraide au rendez-vous

Midi approche et la file s’allonge. Jean-Denis et son équipe s’activent à servir les repas sous la tente, séparés de la clientèle par un plexiglas. « Personne ne rechigne ici, on est là beau temps, mauvais temps », s’enthousiasme pour sa part Michel Calouette en relevant un peu son masque pour nous parler. Cofondateur du Sac à Dos, Michel est à la place Émilie-Gamelin cinq jours sur sept depuis le tout début de la crise.

« On est contents d’être là pour eux, et les gens de la rue travaillent en quelque sorte avec nous, dit-il. On n’a pas de conflits à gérer. Il y a vraiment de l’entraide là-dedans. »

Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes : la clientèle qui utilise ce service d’urgence est très diversifiée. « Quand tu as le nez dedans, tu te rends compte que les gens ne l’ont vraiment pas facile dans la rue, continue Michel Calouette. Je ne pense pas qu’il y ait une seule personne qui mérite ça. Il y en a qui ont des préjugés, mais ça peut arriver à n’importe qui. J’en ai vu un tantôt avec une cravate. Un vrai verbomoteur. Tu te dis “câline, il vient d’où lui ?” Il est dans la rue, c’est une personne qui a fait une grosse dépression. »

« C’est là que tu vois que les ressources sont importantes, ajoute-t-il en remontant son masque sur son nez pour retourner à sa tâche. Aussitôt qu’on ferme les portes des organismes, c’est pêle-mêle. On voit qu’on n’est pas là pour rien, et qu’on y est pour les bonnes raisons. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo