La vie continue

Ce texte fait partie du cahier spécial Services essentiels
Entre anecdotes et désinfectants
Chez Isabelle Thuot et Benoît Richer, tous deux chauffeurs d’autobus à la STM, l’humeur est positive. « Je suis très heureuse de continuer à travailler, car ce serait vraiment long de rester confinés à la maison », confie Isabelle, ravie de se promener en autobus en écoutant de la musique et de voir du monde.
Chaque soir, le couple se raconte les anecdotes de la journée. « Cela nous rapproche, car nous vivons la même réalité, déclare la chauffeuse. J’ai des collègues dont les épouses ont peur et qui leur demandent de se changer et se laver les mains dans le garage avant de rentrer ». Armés de désinfectants, de lingettes et de gants au travail, les deux employés de la STM — qui font entrer les passagers de leur autobus par l’arrière — s’y sentent davantage en sécurité que leurs enfants de 19 et 16 ans, qui travaillent dans de petits commerces.

« Notre fille a un plexiglas devant elle à l’épicerie, mais les clients peuvent passer près de notre fils, commis chez un marchand de fruits et légumes », raconte le couple. Le soir, chacun enlève ses bottes et se lave les mains avant que la vie familiale reprenne son cours. Un rythme presque normal qui rassure. « Nous sommes chanceux, car notre quotidien n’a pas trop changé, analyse Isabelle Thuot. Les enfants ne vont plus à l’école, mais nous ne sommes pas confinés tous les quatre à la maison. Nous nous sentons moins dans la panique, car notre vie continue. »
Une chose a changé pour le couple néanmoins, et pour le mieux. « Les gens sont reconnaissants, et je trouvecela beau. Avant, certains nous coupaient le passage pour tourner. Maintenant, même dans la rue, les gens nous font de beaux sourires ! » se réjouit la chauffeuse d’autobus, qui a été applaudie par une famille de piétons et s’est vu offrir des baklavas cuisinés en remerciement par un passager. Des gestes inattendus, qui touchent au cœur ces travailleurs essentiels. Ils ne sont pas les seuls à être reconnaissants de ces manifestations de gentillesse, tellement précieuses en temps de pandémie.
La solitude de leur fille unique
Martin Falardeau et Dina Daghertravaillent tous les jours à la Meunerie Urbaine, la boulangerie qu’ils ont fondée dans le quartier de Monkland. Mais ils s’occupent également de leur fille de 9 ans depuis que son école a fermé. « Ce qui nous asauvé la vie, c’est que nous avons une équipe extraordinaire ! » lancent les membres du couple qui se relaient entre le travail et la maison.
À la boulangerie, l’équipe d’une vingtaine d’employés a été réduite pour préserver les plus fragiles, mais les jeunes ont répondu présent. Quant aux clients, ils se montrent très coopératifs. « Nous apprécions la patience avec laquelle ils attendent en ligne, car nous n’acceptons que quatre personnes en boutique. Lors de leur passage en caisse, ils nous remercient de rester ouverts, et cela nous touche beaucoup », confie le couple heureux de continuer à nourrir le quartier.

Pour les deux commerçants, ce n’est pas tant la crainte de ramener un virus à la maison qui est pesante, que la solitude de leur fille unique. « C’est notre plus grand défi. Elle reçoit du travail tous les jours de l’école, qui offre un très bon suivi. Mais elle s’ennuie beaucoup de ses amis, car à son âge, elle ne communique pas encore avec les réseaux sociaux. C’est d’autant plus difficile que notre fille était gardée auparavant par sa grand-mère, et elle ne peut plus la voir », déplore Dina Dagher.
Les époux profitent de leur temps libre pour réfléchir à la suite de l’entreprise, notamment la gestion des flux. Mais c’est le contact humain quotidien avec la clientèle qui leur manque le plus. « Nous nous sommes fait plaisir avec notre commerce, qui a toujours été un point de rencontre dans le quartier. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous attarder avec les clients, et cette transformation est une source de questionnement pour nous », explique le couple,qui mesure néanmoins sa chance d’avoir un commerce qui tourne.
Un bébé pour septembre
Ce privilège de ne pas avoir de soucis financiers, Habib Haddad le mesure dans sa pharmacie. « Beaucoup de nos patients sont dans des situations difficiles. Avec toutes les petites affaires qui nous dérangent, nous sommes chanceux », déclare le pharmacien, peiné que certains clients aient du mal à acheter leurs médicaments.
Sa conjointe, Jessica Matar, est directrice adjointe et éducatrice dans une garderie privée. En plus de s’occuper de leurs deux fils de 6 et 3 ans, elle est investie d’une autre mission ô combien essentielle, car elle attend un bébé pour septembre. En retrait préventif de son emploi depuis janvier, elle a travaillé deuxsemaines à la fin mars pour rouvrir la garderie et accueillir ainsi les enfants des travailleurs essentiels.

L’école et la garderie des garçonsayant fermé, c’est Jessica Matar qui les garde pendant que son conjoint va travailler. « La première semaine, Jessica ne m’a presque pas vu », se souvient le pharmacien. La nouvelle routine familiale n’allait pas de soi. « C’est difficile, car le petit veut jouer, donc le grand a du mal à se concentrer pour étudier », explique la jeune femme.
Depuis l’éclosion de la pandémie, Habib Haddad fait les courses àl’épicerie, pour éviter à sa femme enceinte de s’exposer. « Il m’appelle dix fois pour savoir où trouver les aliments ! » raconte sa conjointe en riant. Lorsque le pharmacien rentre à la maison, il passe par « une station de désinfection », en retirant souliers et vêtements. « J’ai le stress de la journée dans le corps et Jessica aussi. » Face à la déception de ne pas pouvoir aller ensemble à l’échographie du cinquième mois et à l’impression d’une « perte de contrôle » sur leur vie, le couple reste soudé. « Il n’y a pas de tension, car nous ne sommes pas face à face 24 h sur 24, confie Jessica Matar. Nous avons le temps de nous manquer l’un à l’autre. »
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