Quand la pandémie se glisse dans la porno

(Toc toc toc)
« — Je suis rentrééééée !
- STOP. N’approche pas d’un pied de plus. N’as-tu pas entendu parler du coronavirus ?
- Tu veux dire le virus qui vient de très loin ? De la Chine ? Pff, c’est juste une petite grippe.
- Ce n’est PAS juste une grippe. Nous devons nous protéger.
- Noooon. Arrêeeete. Baise-moua-ah.
- Non. METS TON MASQUE D’ABORD. »
Arrivées en début d’année, les vidéos pornographiques désignées par le mot-clic « covid » semblent s’être multipliées. Réelle tendance ou simple curiosité ? Sur le site du géant Pornhub, les recherches incluant le terme « coronavirus » sont apparues le 25 janvier. Depuis, le site de webdiffusion a enregistré plus de 17 millions de recherches comportant les mots « corona » ou « covid ». Plus de 1000 vidéos touchant à cette thématique ont été téléversées sur la plateforme.
Mais est-ce qu’on regarde ces vidéos par intérêt réel ou pour la blague ? « Pour la blague, répond sans hésiter le réalisateur et auteur Éric Falardeau. À moins d’avoir certaines préférences particulières, ce ne sont pas des choses très érotisantes pour la majorité des ours. Dès qu’il y a un événement ou une célébration quelconque, il y a une recrudescence de recherche de mots-clés spécifiques. Noël. La Saint-Valentin. Maintenant, le coronavirus. »
Celui qui a signé l’essai Le corps souillé : gore, pornographie et fluides corporels remarque que le Québec a également suivi la vague. Il souligne que la maison de production Pegas a par exemple présenté le film COVID-19 : distanciation sociale et rapprochements physiques. La consigne du confinement ayant déjà été instaurée, certaines vidéos du genre ressemblent davantage à des « projets tournés cet hiver, qu’on met au goût du jour ». Le terme « goût » pouvant être précédé du mot « bon » ou « mauvais », c’est selon.
Une vidéo intitulée I Found a Cure montre ainsi une jeune femme qui désinfecte son appartement, jusqu’à ce que son compagnon lui propose une « solution anti-virus ». (Le nom de son « remède » est inscrit au feutre noir sous ses, euh, pantalons.) Dans ce scénario, créé par l’actrice Little Squirtles et cumulant plus de 428 000 vues, les deux compagnons finissent par faire l’amour avec des masques au son du tube des années 1980 Take My Breath Away.
Actrice érotique, entrepreneuse et photographe, la Montréalaise Ariel Rebel résume : « Internet, c’est tellement terrible et tellement parfait en même temps. »
Tendances « premium »
Devrait-on être surpris que de telles vidéos aient déjà fait surface ? « Ça ne m’étonne pas ! » lance pour sa part Myriam Daguzan Bernier, autrice de Tout nu ! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité et chroniqueuse à l’émission radiophonique Moteur de recherche, animée par Matthieu Dugal. « Les gens qui font de la porno ont toujours été des précurseurs. Ce sont eux qui ont fait les sites Web les plus améliorés pour l’expérience client. Ce sont eux qui, les premiers, se sont lancés dans la réalité virtuelle. Et puis, la porno va toujours récupérer ce qui est tendance. »
Justement, question tendances, le titan Pornhub a frappé un grand coup le mois dernier. D’abord, en donnant un accès « premium » gratuit à l’Italie. Puis à l’Espagne. Et à la France. Ensuite, pendant 30 jours, au monde entier. Le service de webdiffusion de vidéos XXX a d’ailleurs connu son pic de popularité au lendemain de cette annonce, soit le 25 mars. Le nombre de visites a alors augmenté de 24,4 % sur la planète. (Et de 21,5 % au Canada.)
Et la hausse concerne autant les dames que les messieurs. Mondialement, le nombre de visionnements faits par des femmes a augmenté de 20,5 %, et de 20,1 % du côté des hommes.
Il faut dire que Pornhub, compagnie controversée, n’est pas étrangère aux « actions à caractère social ». Leur campagne Beesexual, notamment, avait pour but de sauver les abeilles. Dirtiest Porn Ever, à nettoyer les océans. Le nouveau site ScrubHub, à rappeler aux usagers de bien se laver les mains pendant la pandémie. Et l’abonnement premium gratuit, à faire respecter le confinement. « D’un point de vue de marketing, ils sont brillants, lance Ariel Rebel. Tellement que c’en est frustrant ! »
Frustrant parce que, « déjà en tant que travailleurs de l’industrie, on se fait déshumaniser. Que ce soit par les autres secteurs artistiques ou, carrément, par ceux qui nous regardent. De donner cette gratuité renforce cette idée. Plutôt que de présenter la porno comme un divertissement, un art qui devrait être payé, financé et soutenu, on la présente comme une commodité courante qui devrait juste être consommée. »
Même si elle a collaboré avec le géant par le passé, Ariel Rebel préfère aujourd’hui agir en indépendante, sur son site personnel, sur son compte Instagram, missarielrebel, et sur la plateforme OnlyFans. Depuis le début de la crise, ses chiffres y ont d’ailleurs explosé. « En un mois, je suis passée du top 6 % à 3 % des comptes les plus populaires. » Son service de sextos, ou de « psychologue tout nu », comme elle le dit en riant, obtient aussi du succès. « Les gens sont anxieux, ils veulent échanger. »
De la sexualité d’actualité
La flambée soudaine des vidéos érotiques touchant au coronavirus serait-elle également due à une certaine… panne créative ? Comme le cinéma hollywoodien qui recycle les classiques, le cinéma pour adultes ne voit-il pas dans chaque nouvel événement une source d’inspiration ? « Une des forces de la porno, c’est justement de réagir à l’actualité, estime Éric Falardeau. Mais c’est aussi le problème : comme ondoit produire beaucoup de contenu pour alimenter la machine, on ne réfléchit pas toujours à la façon de penser la sexualité, de la représenter. »
Puis, par le passé, la majorité des productions pornographiques qui ont creusé le thème du virus ont été d’emblée reléguées à une niche. « Tous les films qui ont flirté avec les échanges de fluides, les productions corporelles, l’idée de la contamination, le danger de la mort se sont retrouvés dans le créneau du cinéma d’auteur pornographique, explique le réalisateur. Je pense à Café Flesh de Rinse Dream, paru en 1982, dans lequel le 1 %, ce n’étaient pas les riches mais bien ceux qui pouvaient faire l’amour parce qu’ils n’étaient pas contaminés. Donc… les chanceux de la gang ! »
Assurément, les vidéos marquées du mot-clic « covid » ne deviendront pas aussi populaires que celles classées « belle-mère » ou « animé ». Mais elles resteront, selon Ariel Rebel, la marque d’une époque. Pour Myriam Daguzan Bernier, la pandémie sera peut-être, aussi, l’occasion de repenser notre rapport aux films pour adultes. « On ne peut pas consommer de la porno d’un côté et dire qu’on se sacre de ceux qui la créent de l’autre. J’espère que les gens prendront conscience qu’on devrait payer plus pour du contenu de qualité, indépendant, inclusif, éthique. »