Vent de résistance pour soutenir les femmes enceintes

La résistance s’organise pour dénoncer la décision de l’Hôpital général juif de Montréal d’interdire aux femmes enceintes d’être accompagnées lors de leur accouchement. Professeurs de droit, professionnels de la santé, citoyens et parents inquiets interpellent le gouvernement, chacun à leur façon, pour rappeler à l’ordre l’établissement et empêcher que cette mesure jugée « cruelle » ne se généralise à travers la province.
« Les femmes doivent pouvoir être accompagnées dans un moment aussi charnière et traumatisant de leur vie, d’autant plus que bon nombre d’entre elles sont profondément inquiètes de donner naissance en contexte de pandémie », plaident dans une lettre envoyée au Devoir plus d’une cinquantaine de professeurs des facultés de droit de huit universités.
L’Hôpital général juif (HGJ) a décidé vendredi dernier d’interdire la présence d’un partenaire ou d’une personne désignée lors des accouchements et pendant la période post-partum, et ce, aussi longtemps que durera la pandémie. Cette mesure vise à protéger le personnel de la santé, après que des femmes enceintes et leurs proches ont fait fi des consignes en circulant dans les couloirs ou en refusant de porter un masque alors qu’ils présentaient des symptômes de la COVID-19.
Cette décision n’a pas manqué de soulever la grogne des parents sur le point d’agrandir leur famille, mais aussi dans le milieu du droit. Pour les signataires de la lettre, il en va du droit des femmes et des enfants à naître d’avoir des soins de qualité. Ils pressent ainsi le premier ministre, François Legault, et la ministre de la Santé, Danielle McCann, de rappeler à l’ordre l’HGJ — et les autres centres hospitaliers qui pourraient lui emboîter le pas — et de trouver des mesures intermédiaires.
Car il est possible, disent-ils, de respecter ces droits tout en protégeant le corps médical contre les risques de contamination.
« On comprend que c’est un contexte particulier et on a conscience des risques pour le personnel de la santé, mais ce n’est pas une raison pour négliger les soins apportés aux femmes, qui ont besoin d’un soutien psychologique et physique du proche qui les accompagne », fait valoir Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal et cosignataire principal de la lettre.
L’enfant qui arrive dans un monde bouleversé par le nouveau coronavirus a également le droit d’être « préservé des risques associés à un accouchement qui se déroulera dans un contexte social très anxiogène pour la mère et son ou sa partenaire ».
« Ce sont des soins essentiels », insiste Andréanne Malacket, professeure de droit de la famille à l’Université de Sherbrooke et cosignataire de la lettre. Elle-même enceinte de 33 semaines, elle craint de voir cette directive faire des petits dans d’autres hôpitaux, dont celui où elle doit accoucher, à Longueuil.
Empêcher les femmes enceintes d’être accompagnées va de plus à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), note-t-elle.
En effet, l’OMS considère que « toutes les femmes enceintes, y compris celles dont l’infection par le virus de la COVID-19 est confirmée ou soupçonnée, ont droit à des soins de qualité avant, pendant et après l’accouchement », ce qui inclut « d’être accompagnée par la personne de son choix pendant l’accouchement ».
Et c’est sans compter les risques associés au fait d’accoucher seule. Selon plusieurs études, appuyées d’ailleurs par l’Institut national de santé publique du Québec, une femme qui accouche seule a plus de risques de subir une césarienne d’urgence, utilisera davantage de médicaments contre la douleur et vivra un travail durant l’accouchement beaucoup plus long. Quant à l’enfant, il a plus de chance d’avoir un score bas au test d’Apgar, qui est l’indicateur de la santé et de la vitalité des nouveau-nés.
Prise de risques
Une opinion partagée par le Regroupement Les sages-femmes du Québec (RSFQ), qui demande à Québec de se positionner contre la décision de l’HGJ, jugeant que l’établissement est allé « trop loin ».
Le regroupement dit avoir reçu de nombreux témoignages de femmes en détresse et craint que certaines ne se mettent en danger. « Nous sommes alarmés qu’un nombre croissant de femmes qui accouchent envisagent in extremis d’accoucher chez elles sans assistance et de faire appel aux services ambulanciers lorsque la naissance sera imminente », explique le RSFQ dans un communiqué publié dimanche et appuyé par une dizaine d’organismes, dont l’Association québécoise des infirmières et infirmiers et la Fédération de la santé et des services sociaux.
On finit par avoir des pensées extrêmes, car l’idée d’accoucher sans mon conjoint n’est même pas envisageable pour moi
Pourtant bien consciente des conséquences possibles d’un tel choix, Sophie Gaillard reconnaît que l’idée lui a traversé l’esprit. « On finit par avoir des pensées extrêmes, car l’idée d’accoucher sans mon conjoint n’est même pas envisageable pour moi », raconte-t-elle.
Enceinte de 39 semaines, l’avocate confie avoir peur de mettre au monde son premier enfant. « J’ai vécu une série très douloureuse de fausses couches. Et envisager de devoir être seule au moment le plus physiquement et psychologiquement éprouvant de toute ma vie, et que mon conjoint soit privé d’assister à la naissance de son premier et très probablement unique enfant, c’est trop. »
Sophie Gaillard prévoit accoucher au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, où on écarte pour l’heure l’idée d’interdire aux femmes d’être accompagnées pendant l’accouchement. L’avocate craint tout de même que le temps ne soit compté. Elle jongle d’ailleurs avec l’option d’être provoquée d’ici sa date d’accouchement, le 14 avril, pour ne pas se faire imposer cette éventuelle mesure « inhumaine ».
Pétition
À l’instar de Sophie Gaillard, nombre de femmes ont exprimé leurs craintes sur les réseaux sociaux depuis vendredi. Une pétition dénonçant la décision de l’HGJ circule présentement sur le Web. Dimanche soir, elle récoltait déjà plus de 55 000 signatures.
Comme père, ne pas être là pour souhaiter la bienvenue à mon fils, c’est angoissant. Mais l’idée que ma femme soit seule dans une chambre d’hôpital froide et stérile sans personne pour l’aider, lui tenir la main, la rassurer, c’est encore plus angoissant
Parmi elles, celle de Christopher Monette, dont la femme doit accoucher au début du mois de mai au Centre hospitalier de St. Mary, à Montréal. Il craint également que les autres établissements de santé de la province emboîtent le pas à l’HGJ.
« Comme père, ne pas être là pour souhaiter la bienvenue à mon fils, c’est angoissant. Mais l’idée que ma femme soit seule dans une chambre d’hôpital froide et stérile sans personne pour l’aider, lui tenir la main, la rassurer, c’est encore plus angoissant », confie-t-il.
Il espère que Québec suivra l’exemple de l’État de New York, qui a sommé la semaine dernière les hôpitaux de laisser les conjoints assister à l’accouchement après que des établissements l’eurent interdit.
Questionné à ce sujet, le cabinet de la ministre de la Santé indique « respecter » la position de l’HGJ. « On veut que le personnel soit en santé pour pouvoir donner des services. » À l’heure actuelle, l’accompagnement lors d’un accouchement est toujours privilégié, à condition que le proche désigné ne soit pas atteint de la COVID-19 ni en attente d’un résultat de test ou symptomatique.