6 idées pour lutter contre le confinement

Quand des citoyens essaient de lutter contre la morosité ambiante causée par l'épidémie de coronavirus, d'heureuses initiatives en sortent. En voici six.
1
Musique
Une « pause Bach » quotidienne
Bernard Labadie n’est pas sur les médias sociaux. Ne tentez pas de le convaincre de s’y aventurer. Depuis le dimanche 22 mars, quelques privilégiés, une cinquantaine au début, ont reçu un message intitulé « A Bach Initiative ». Si ces « capsules écrites » sont rédigées en anglais, c’est parce que « l’idée est née d’une discussion avec Jim Roe, le président et directeur de l’Orchestra of St. Luke’s », orchestre de chambre de New York, dont Bernard Labadie est le directeur musical, qui s’inquiétait du moral de ses musiciens.Chaque jour, avec son feuilleton « Having each other’s Bach », Bernard Labadie part d’une suggestion d’écoute d’un extrait d’œuvre de Bach sur lequel il projette ses réflexions, abordant parfois des thèmes généraux comme, récemment, les transcriptions. Le chef a bien vite reçu nombre de suggestions d’ajouts d’adresses à sa liste d’envoi.
« Je suis à quelques centaines de correspondants et j’arrive à la limite de ce que je peux gérer. D’ailleurs, je vais fermer ma liste et demander que les gens disséminent mes messages comme une chaîne de lettres. Les gens ne se rapporteront pas tous à moi. »
Ainsi cadré, Bernard Labadie parvient à gérer la cinquantaine de réflexions qu’il reçoit quotidiennement en retour. « Cela me rassure, car cela montre que je peux rejoindre les gens et leur apporter du réconfort dans une période difficile dans une relation de personne à personne à partir d’une communauté réelle, non pas en lançant quelque chose dans l’univers que le monde pourra reprendre tout croche. » Il attend le moment où d’autres nourriront le cycle des réflexions.
Quant à l’Orchestre of St Luke’s, il se prépare à utiliser quelques textes sur ses médias sociaux au bénéfice du plus grand nombre.
Christophe Huss
2
Cuisine
Échange de recettes en situation de crise
Le 19 mars, lorsqu’on n’était encore qu’au début du cyclone, Larissa Souline cuisinait pour se changer les idées. En se les changeant, ces idées, elle en a eu une autre : « On est pris chacun chez soi. Et on doit manger. Pourquoi ne pas lancer une page Facebook d’échange de recettes ? »Elle a donc invité son réseau d’amis à répondre à la question « Que manges-tu ? ». Les amis ont invité leurs amis. En quelques jours, la petite communauté a grossi à 450 membres — et ça continue. La page est privée, mais on peut demander d’y adhérer. « Je voulais éviter les trolls et les opinions tranchées », explique Larissa.
Relationniste musique pour SIX média marketing, elle a également voulu officier dans la bonne humeur, la simplicité. « M’accepterez-vous même si j’ai savouré des gaufres Eggo ce matin ? », a demandé un aspirant membre. Mais oui. Un autre a partagé sa recette d’œufs tournés. Instructions : il suffit de retourner la poêle.
Des chefs cuisiniers, tels Jonathan Campeau et Jean-Fabien Lévesque, répondent quant à eux aux questions du type « il me reste ça, ça, pis ça dans mon frigo. Je peux faire quoi, comme plat ? ». Les enfants apparaissent fréquemment — tantôt dans les photos (« eh, on a fait une batch de rouleaux de printemps en famille ! »), tantôt en tant que caméramans filmant des tutoriels de pâte à pizza.
Lorsque les créations ont été imaginées par d’autres, les crédits sont donnés. « Ricardo est beaucoup partagé. » Le partage, précisément, permet de motiver ceux qui ne cuisinent habituellement jamais. « J’ai souvent dit en blaguant que si, un jour, je ne pouvais plus faire ce que j’aime, je ferais des gâteaux », remarque Larissa. Elle en a justement confectionné un aux courgettes, aux pépites de chocolat et aux noix. Et quand le confinement sera fini ? « On se rencontrera tous en vrai dans une grande épluchette de blé d’Inde. »
3
Santé
Virage vers la télémédecine
C’est une véritable révolution. Le réseau de la santé a implanté en accéléré la télémédecine, grâce (!) à la pandémie de la COVID-19. « Dans l’urgence, on a acheté des licences [de plateformes de télémédecine] à tout le monde », dit la Dre Diane Francœur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).Il fallait à tout prix limiter les déplacements des patients et réduire les contacts pour éviter une propagation du coronavirus. Désormais, Québec demande aux médecins de privilégier, dans la mesure du possible, la téléconsultation (téléphone ou vidéo).
La bonne nouvelle ? Plus moyen de reculer, estime la Dre Francœur. « Je ne vais rien laisser partir ! », dit-elle.
Dans les années 1990, le Québec était un « précurseur en télémédecine au Canada », souligne le Dr Jean-Paul Fortin, chercheur au Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval. « Mais en 2004-2005, il y a eu un changement de garde au ministère de la Santé et des Services sociaux, dit le médecin qui s’intéresse au sujet depuis 30 ans. Ils ont décidé de moins privilégier les projets-pilotes [qui avaient fait la marque du Québec] et de centraliser les pouvoirs. »
Plus d’une décennie plus tard, les médecins spécialistes et omnipraticiens ont finalement accès à une plateforme de télémédecine (Reacts, Zoom ou Teams). Selon la FMSQ, 3000 de ses 10 000 membres se sont inscrits en près d’une semaine. « En date d’hier, il y avait eu 2555 consultations », précise la Dre Francœur.
Mais tout n’est pas parfait, au contraire. « On est en train de réparer une crevaison en même temps qu’on roule à 100 km/h, explique-t-elle. Si ça avait été déployé tranquillement, les gens auraient eu le temps de corriger des petits bobos. »
Marie-Eve Cousineau
4
Maison
Un certain papier hygiénique a la cote
Maude Simard n’a jamais autant cousu de papier hygiénique en tissu de sa vie. « Mes ventes, en mars, sont cinq fois plus élevées qu’au même mois l’an dernier », dit la propriétaire des 4MoustiqueS, dont la boutique figure sur le site Etsy.Pour répondre à la demande, Maude Simard s’assoit à la machine à coudre dès 4 h 30 chaque matin. En après-midi, elle fait l’école à la maison à ses quatre enfants, en congé forcé depuis la fermeture des établissements scolaires. « Je réussis à coudre une quarantaine de papiers hygiéniques réutilisables par jour », dit l’entrepreneure de Saint-Césaire.
Depuis la ruée collective sur le papier de toilette, suscitée par la propagation du coronavirus, de plus en plus de Québécois se tournent vers le tissu lavable. L’entreprise La Looma, située à Saint-Bruno-de-Montarville, vend un nombre record de rouleaux (oui, des rouleaux de tissu) depuis deux semaines. « C’est une bonne nouvelle que les gens s’ouvrent vraiment à une solution durable », dit sa propriétaire, Fabienne Camilleri.
Maude Simard espère que cette transition soudaine vers le papier hygiénique en tissu sera durable. Elle ose y croire. « Le bidet est de plus en plus populaire », souligne-t-elle.
Marie-Eve Cousineau
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Génie
Des visières imprimées 3D
Imprimantes 3D et fichiers CAO (conception assistée par ordinateur) sont devenus un des nerfs de la guerre contre le coronavirus.À Montréal, l’atelier de Lezar3D a délaissé l’impression en « trois dimensions » de maquettes d’architectes et d’accessoires de films et de théâtre pour investir toute son énergie dans la création à vitesse grand V d’une visière universelle de protection en plastique PLA biodégradable, faite à partir de fécule de maïs à un coût dérisoire.
Cet équipement, en rupture de stock dans plusieurs pays, est devenu vital pour freiner l’épidémie. Notamment pour protéger le personnel médical et infirmier, hautement exposé au virus, lors de manœuvre d’intubation de patients branchés à des respirateurs.
« Nous en sommes au 9e prototype, amélioré pour n’avoir ni cavités, ni élastique, ni mousse où pourrait se loger le virus. Nous en avons fourni des dizaines à des chercheurs de l’Institut de recherche clinique de Montréal. La visière est universelle et peut s’ajuster à toutes les tailles d’individus », explique Robert Gagnon, fondateur de Lezar3D.
Pour l’instant, la capacité de production de l’entreprise est trop faible (40 à 50 masques par jour) pour répondre à de grosses commandes. Mais Lezar3D aide les travailleurs d’autres services essentiels, notamment ceux des pharmacies, des commerces d’alimentation, des services de sécurité et ceux qui offrent des soins dans la communauté à mieux se protéger et à protéger la population. L’entreprise est branchée sur une communauté de plus de sept millions d’ingénieurs qui partagent ces jours-ci des centaines de fichiers CAO conçus pour « imprimer » en urgence du matériel médical dans la foulée de l’épidémie.
Isabelle Paré
6
Entraide
Des cartes pour contrer la solitude
« Bonjour ! Si vous êtes en isolement volontaire, je peux vous aider ! »Voilà l’accroche des cartes postales imaginées par Becky Wass. Une rédactrice originaire de Cornwall, en Angleterre, qui a voulu donner un coup de main aux aînés de son quartier. Son idée, toute simple, a vite fait le tour des médias. « Parce que la peur s’est propagée si rapidement, il est important de répandre la bonté », a-t-elle confié à la BBC.
Le concept est sobre et direct. Becky propose de télécharger, gratuitement et en ligne, de petites fiches qui permettent aux signataires d’offrir leur aide aux personnes en quarantaine. Il suffit de cocher une case, selon que vous souhaitez vous proposer pour :
a) faire les courses ;
b) passer un coup de fil amical ;
c) aider pour le courrier ;
d) fournir des provisions d’urgence.
C’est après avoir été envahie d’un profond sentiment de découragement que l’idéatrice a entrepris ce service sympathique. « En regardant les nouvelles, je me sentais vraiment impuissante. Peut-être que vous vous êtes sentis ainsi aussi ? a-t-elle écrit sur sa page Facebook. J’ai donc créé ces cartes postales que je vais envoyer à mes voisins plus âgés. »
Lesdites cartes de Becky sont disponibles en anglais. Mais on ne doute pas que des variations locales originales sont déjà en cours de création.
Natalia Wysocka