Le poids du huis clos sur les femmes

Le confinement est-il vécu de manière égalitaire ? Autrement dit, cet isolement pèse-t-il aussi lourd sur les épaules des hommes que celles des femmes ? Bien que les expériences soient diverses, tout porte à croire que se recroqueviller dans son chez-soi, dans cet antre où les tâches ménagères et les soins apportés aux enfants sont encore majoritairement l’apanage des femmes, aurait plutôt comme effet d’exacerber les inégalités de genre.
Dans cette ère de confinement, il faut maintenant occuper les enfants à temps plein, les rassurer, faire le suivi de leurs devoirs et de leurs leçons. Bien prévoir les repas pour limiter les sorties à l’épicerie. Ranger la maison bondée à toute heure du jour et de la nuit. Faire du lavage et du ménage. Rappeler à sa marmaille de se laver les mains, avec beaucoup de savon, le temps de chanter deux fois « Bonne fête ». Tout ça souvent en continuant à travailler. Et si possible, avec le sourire aux lèvres.
Après une semaine à essayer « de se séparer en 12 pour tout faire », Carolane Stratis a décidé d’arrêter de travailler. « À mon travail, on devait couper une personne et j’ai demandé que ce soit moi », raconte la maman d’une fille de 6 ans et d’un garçon de 3 ans dont le conjoint, comme dans bien d’autres familles, rapporte à la maison un salaire plus élevé.
« C’était impossible pour moi de faire l’école à la maison à ma fille, d’occuper mon garçon, de m’arranger pour qu’on ne mange pas juste des sandwichs et de faire en sorte qu’on soit tous dans un environnement confortable tout en continuant à travailler. »
Perte d’acquis
Dans cette tempête du coronavirus, qui a presque tout emporté dans son sillage, les femmes ont vu disparaître d’un coup bien des acquis — garderies, services de garde, soutien des grands-parents, de l’entourage — sur lesquels elles s’appuyaient pour tenter de concilier ce qu’il y a de conciliable dans ce quotidien sans cesse déchiré entre le travail et la famille.
« Il faudrait maintenant qu’on travaille comme si on n’avait pas d’enfants dont on doit s’occuper, et s’occuper de nos enfants comme si on n’avait pas travail », résume Carolane Stratis.
Les hommes demeurent les aidants, les parte-naires, ils attendent qu’on leur demande et ensuite ils vont faire la tâche
La blogueuse du site Je suis une maman, Jaime Damak, travaillait déjà de la maison avant que la crise du coronavirus n’éclate. Mais à mesure que sa charge de travail de pigiste se réduisait comme peau de chagrin, sa charge de maman se décuplait.
« La semaine dernière, il y a un moment où j’ai craqué. J’étais rendue la bonne de tout le monde », raconte-t-elle, soulignant qu’elle devait désormais composer avec deux ados à temps plein à la maison et un conjoint travaillant au sous-sol. « Ma charge mentale s’est alourdie. Et je ressens un stress supplémentaire ces temps-ci. »
Amplification
Le poids relativement plus important du confinement sur les épaules des femmes que celles des hommes n’est pas qu’une impression, confirme Rachel Chagnon, professeure et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM.
« La charge mentale ne va pas changer de cerveau d’un coup », pointe-t-elle. D’autant plus que l’organisation de la famille, des courses, de l’horaire des enfants a soudainement pris une tournure autrement plus complexe et stressante. « Les hommes demeurent les aidants, les partenaires, ils attendent qu’on leur demande et ensuite ils vont faire la tâche, analyse Rachel Chagnon. Mais ce ne sont pas eux qui assument la réflexion organisationnelle. »
Ainsi, les composantes inégalitaires d’une relation s’amplifient en période de confinement. Et les risques de tensions s’accroissent tout autant.
Sans oublier qu’en matière de violence, « le confinement est un facteur de protection pour les hommes, mais il représente un risque accru pour les femmes », souligne Rachel Chagnon, les femmes étant plus souvent victimes de violence à l’intérieur de la sphère familiale, alors que les hommes sont plus à risque à l’extérieur.
Tensions
On sait déjà qu’au sortir de leur période de confinement, les Chinois ont déchiré leurs contrats de mariage dans une proportion plus élevée qu’à l’habitude. Confinées depuis une dizaine de jours, les Françaises ventilent abondamment sur les réseaux sociaux. « Monsieur sort tous les matins, rentre vers midi, mets les pieds sous la table, mange, et part à la sieste », « c’est moi la femme de ménage maintenant ? » ou encore : « pourquoi c’est toujours à nous de penser à la sécurité et à la santé de notre entourage ? » distillent-elles.
Jointe par Le Devoir à Bordeaux, Sabrina Berrichon confirme que les moments sont difficiles et que cette parcelle d’équilibre sur laquelle tant de femmes vacillaient jusque-là s’est effondrée. « Pour privilégier au maximum les enfants et leurs apprentissages, je travaille la plupart du temps en fin de journée et une bonne partie de la soirée. Les journées sont donc… très longues », témoigne-t-elle, avouant avoir versé des larmes à quelques occasions dans les derniers jours.
Bien communiquer
Pour ramener une certaine sérénité dans son foyer, Jaime Damak a misé sur une communication plus franche et transparente, notamment quant à ses attentes envers son conjoint et ses enfants. « Des fois, j’ai peur de demander de l’aide, mais il faut le faire. »
Chez Patricia Clermont, les tâches étaient déjà séparées équitablement avant le début de la crise. « On maintient l’équilibre, mais ça intensifie les défis. » L’enjeu est maintenant de trouver des moments chacun pour soi et pour le couple, mentionne-t-elle. « Ça développe la patience, la bienveillance envers soi et la diminution des attentes par rapport à soi. »
C’est justement dans cette diminution de la pression que les mamans se mettent sur les épaules que résiderait également une partie de la solution. « Les mamans se sentent très responsables de s’assurer que les enfants sont toujours stimulés, qu’ils ont toujours quelque chose à faire », fait remarquer Rachel Chagnon.
Il faut donc lâcher prise et accepter que cette situation complètement anormale sème un certain chaos dans notre quotidien.
« Pour les devoirs, on a décidé de le prendre cool », souligne Lucie Gasc, maman de trois enfants. « Mon conjoint, ça le dérange beaucoup moins que ce ne soit pas bien rangé ou quand les enfants portent le même pyjama depuis deux jours », note avec une pointe d’humour Carolane Stratis. Des paroles apparemment bien sages en cette période de coronavirus.