La créativité des parents mise à l’épreuve

La fermeture des écoles et des garderies pour deux semaines force les parents et les entreprises à s’adapter. Si beaucoup optent pour le télétravail en sachant d’avance que leur rendement sera affecté en raison de la présence des enfants, cette option n’est pas possible pour tout le monde et d’autres tentent toujours de trouver la façon de concilier travail et famille en temps de pandémie.
C’est le cas de Maude Lépine, responsable du département des fromages à l’épicerie Métro Beaulieu Mont-Royal à Montréal. Elle ne peut faire son travail de l’extérieur et son conjoint, qui travaille dans le milieu de la construction, ne peut non plus faire du télétravail pour s’occuper de leur fils de 5 ans. Elle se demande donc comment elle va faire pour les prochaines semaines.
« Aujourd’hui, ça adonnait bien, ma mère était en congé, mais pour les deux prochaines semaines, je ne sais pas trop. Je n’aurai pas le choix de prendre congé ou de demander à changer mon horaire pour travailler de soir, quand mon conjoint sera à la maison », explique-t-elle.
Maude Lépine avoue qu’elle est stressée par tout ce qui se passe, mais elle choisit d’y aller au jour le jour. « Ça nous complique la vie, c’est sûr, mais c’était une bonne idée de fermer les écoles, parce que ce sont des lieux de contagion importants. »
Le gérant de l’épicerie, Ali Ayob, qui préparait les livraisons au moment du passage du Devoir vendredi matin, assure qu’il tentera de faciliter la vie de ses employés qui ont des enfants. « On va avoir plus de flexibilité, c’est certain », affirme-t-il.
Du côté du Conseil canadien de commerce de détail, qui représente les supermarchés et les pharmacies, on précise qu’aucune fermeture n’est prévue. « Chez nous, le télétravail est plus difficile, explique le directeur des relations publiques et gouvernementales, Jean Francois Belleau. Chaque chaîne a ses propres politiques pour la conciliation travail famille. Mais le gouvernement a annoncé qu’il y aurait des mesures pour permettre aux entreprises de faire preuve de souplesse. On est donc en contact avec le gouvernement, on travaille étroitement avec eux pour s’assurer que la sécurité alimentaire des Québécois soit garantie. »
Chez Desjardins, qui emploie 47 000 employés, on recommande le télétravail pour ceux qui le peuvent. « Si jamais le télétravail n’était pas une possibilité, nos employés bénéficient de deux jours de congé pour responsabilité familiale assumée par l’employeur, explique le porte-parole Jean Benoit Turcotti. Mais aussi, on invite nos employés à discuter avec nos gestionnaires au cas par cas pour trouver la meilleure des solutions si jamais l’absence devait se prolonger et qu’ils n’étaient pas en mesure de faire du télétravail. »
Julie Belley Perron est avocate. Divorcée, elle partage la garde de ses deux garçons de 5 et 9 ans avec leur père. Elle doit donc se débrouiller toute seule pendant une semaine. « Mon employeur favorise le télétravail, mais après, il y a la réalité de ce qu’on peut faire concrètement : avec deux enfants à la maison, on est moins efficace. Il faut les faire dîner, les occuper, etc. Il va falloir combler avec plus de travail les soirs et les fins de semaine… »
Comme plusieurs collègues, elle annule des lunchs d’affaires, des formations et d’autres déplacements qui ne se prêtent pas au télétravail. Même les vidéoconférences sont compliquées puisqu’elles risquent sans cesse d’être interrompues par un enfant.
« On est quelques parents à se demander si on peut essayer de s’aider en prenant à tour de rôle les enfants des uns et des autres. Ça permettrait d’avoir des journées plus efficaces, mais comme citoyens responsables, on ne sait pas trop si c’est correct de faire ça puisque la consigne est plutôt de s’isoler… »
François Masse, qui habite le Plateau Mont-Royal, s’est déjà organisé avec son voisin pour faciliter le télétravail. Vendredi, il gardait la fille de son voisin.. «On va alterner nos tours de garde et s’entraider », explique-t-il.
Grands-parents en renfort
Depuis jeudi soir, Kim jongle avec divers scénarios. « Mon chum est médecin, alors il est plus à risque. Et nos parents sont au Saguenay. Si mon employeur me donne l’autorisation de faire du télétravail, j’envisage d’aller au Saguenay avec nos deux filles pour avoir de l’aide de mes parents. »
La pluie et la fermeture des installations sportives et autres lieux généralement fréquentés par les familles pendant les congés n’aident en rien, ajoute-t-elle. « Disons qu’il y a un peu plus de télévision qu’à l’habitude… Le fait de ne pas pouvoir sortir jouer dehors, ça ajoute au désagrément ! »
Certains parents doivent également composer avec l’anxiété des enfants. C’est le cas d’Amélie Daoust-Boisvert, professeure de journalisme à l’Université Concordia, qui est en congé forcé avec son conjoint et leurs deux filles. « La plus petite ne comprend pas vraiment, mais la plus grande comprend très bien ce qui se passe et, même si je l’avais préparé à une éventuelle fermeture des écoles, ça la rend anxieuse », affirme Mme Daoust-Boisvert en entrevue.
La professeure a également constaté que plusieurs de ses élèves qui viennent de l’étranger étaient anxieux et se demandaient quand ils allaient revoir leur famille. « C’est très complexe. Que ce soit mon employeur, ou n’importe quel employeur au Québec, il va falloir tenir compte du fait que certains employés vont être moins productifs. Certains vont être malades, d’autres devront s’occuper de proches malades. Il faut tenir compte de tout ça et accepter que la société va ralentir », conclut-elle.