Trois ans chez les Wet’suwet’en

Depuis le début de l’année, des membres des Premières Nations construisent des campements et des barrages en soutien aux chefs héréditaires Wet’suwet’en qui se battent contre le projet de pipeline de Coastal GasLink. Sur la photo, un campement près de Houston, en Colombie-Britannique.
Photo: Jason Franson La Presse canadienne Depuis le début de l’année, des membres des Premières Nations construisent des campements et des barrages en soutien aux chefs héréditaires Wet’suwet’en qui se battent contre le projet de pipeline de Coastal GasLink. Sur la photo, un campement près de Houston, en Colombie-Britannique.

Il y a plus de 30 ans, l’anthropologue Antonia Mills était engagée à titre d’experte par les Wet’suwet’en afin de les aider à défendre leurs droits territoriaux devant les tribunaux. Après un long combat judiciaire, la nation autochtone a finalement obtenu gain de cause en 1997. Aujourd’hui, Mme Mills croit que ce jugement de la Cour suprême est bafoué.

Du printemps 1985 à l’été 1988, Antonia Mills a vécu parmi les Wet’suwet’en. Quand on lui demande d’évoquer un souvenir de ce travail de terrain pour le moins immersif, elle évoque le canyon de Moricetown. « À cet endroit, la rivière Buckley se transforme en chute. Depuis des milliers d’années, les Wet’suwet’en s’y réunissent en été afin de pêcher les saumons qui remontent la rivière. J’ai adoré travailler avec eux et être sur ce magnifique territoire. »

La rencontre de Mme Mills avec les Wet’suwet’en remontait à quelques années plus tôt, quand elle a décroché un contrat de recherche pour Ian Stevenson, professeur et directeur du département de psychiatrie à l’Université de la Virginie. Ce dernier s’intéressait à la question de la réincarnation (un champ de recherche que certains considèrent appartenir à la pseudoscience) dans la culture gitxsan, un peuple autochtone du nord de la Colombie-Britannique, voisin des Wet’suwet’en.

À la suite de ce contrat, Mme Mills s’est vu offrir par les Wet’suwet’en et les Gitxsan la possibilité d’étudier leur structure de gouvernance, leurs lois, leurs fêtes et leurs institutions. La jeune femme, fraîchement diplômée d’un doctorat en anthropologie de l’Université Harvard, devait ainsi agir comme experte dans un procès où ces nations voulaient faire reconnaître leurs titres sur leur territoire traditionnel de 55 000 kilomètres carrés. « Ils étaient très inquiets de voir des coupes à blanc être pratiquées sur leurs terres », raconte l’anthropologue jointe au téléphone sur la côte Ouest.

Après un revers, le cas Delgamuukw c. Colombie-Britannique a été transporté à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, puis à la Cour suprême du Canada, où il s’est conclu en 1997 par une décision favorable aux Wet’suwet’en et aux Gitxsan. Le témoignage de Mme Mills, élaboré grâce à son séjour de recherche et à l’analyse des données historiques, archéologiques et linguistiques disponibles, a été publié en 1994 sous le titre de Eagle Down is Our Law (UBC Press).

Photo: UNBC L'anthropologue Antonia Mills

À quelques semaines de la retraite, la professeure à l’Université du nord de la Colombie-Britannique, à Prince George, considère que le jugement du plus haut tribunal du pays ne devrait pas laisser place à l’interprétation : « La Cour suprême a dit que les Wet’suwet’en et les Gitxsan détiennent les droits sur leur territoire. Cependant, la cupidité des entreprises semble incompatible avec cette décision. Coastal GasLink va de l’avant, posant des actions qui sont en fait illégales. »

Comme la compagnie détenue par TC Énergie l’a fait valoir à maintes reprises, les vingt conseils de bande dont le gazoduc proposé doit traverser le territoire — incluant les bandes wet’suwet’en — ont donné leur feu vert au projet. Cependant, ces organes « établis par le gouvernement colonisateur » ont seulement de l’autorité sur les réserves, lesquelles ne constituent que 6 % du territoire traditionnel, explique Mme Mills. Aux yeux de la population, « ce sont les chefs héréditaires qui sont responsables de l’ensemble du territoire ». En vertu de la tradition, ce territoire est divisé en cinq, pour autant de clans.

C’est ce système complexe et millénaire que l’anthropologue a étudié afin d’écrire son rapport. La loi wet’suwet’en prévoit différents aspects de la vie politique et sociale du peuple. Par exemple, la chasse au gros gibier n’est permise que sur le territoire du clan auquel le chasseur appartient. Ou encore, il est seulement possible de marier une personne d’un autre clan (après le mariage, l’homme se joint au clan de sa femme).

La professeure a aussi étudié les fêtes wet’suwet’en (ou « denii ne’aas », qui signifie « des gens se rassemblent ») au cours desquelles les décisions politiques et spirituelles sont prises. C’est notamment lors de ces événements, tenus de nos jours dans des centres communautaires, que les chefs héréditaires successeurs sont désignés. Chaque chef choisit lui-même son dauphin — la personne désignée n’est pas nécessairement son enfant, mais doit absolument appartenir à son clan. Selon la tradition, avant d’obtenir un titre élevé, chaque candidat doit aussi passer un long moment dans la nature et vivre parmi les animaux.

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C’est le nombre de clans qui se divisent le territoire wet’suwet’en.

L’entente

Depuis la conclusion d’une entente de principe entre les chefs héréditaires et les gouvernements britanno-colombien et fédéral la fin de semaine dernière, la balle est dans le camp des Wet’suwet’en. Ceux-ci doivent mener un processus de consultation publique afin d’entériner l’entente (ou pas) avant sa signature finale.

Les détails de l’entente ne sont pas connus, mais selon le cabinet du ministère des Relations avec les Autochtones de la Colombie-Britannique, le texte pourrait fixer un cadre pour la reconnaissance des droits et des titres territoriaux, que le gouvernement considère en suspens depuis que la décision Delgamuukw a été rendue. L’entente ne concerne toutefois pas directement le projet de gazoduc, auquel les chefs s’opposent toujours.

Cependant, explique Mme Mills, la prolongation de ce litige est intenable pour les Wet’suwet’en. « Ils sont réellement inquiets des conséquences éventuelles du projet de Coastal GasLink, rapporte l’anthropologue. Le gazoduc doit traverser la rivière Morice, et ils craignent que sa présence nuise aux saumons qui remontent ce cours d’eau pour frayer. La population de ce poisson subit déjà d’autres pressions négatives. Or, il est à la base de l’alimentation traditionnelle et actuelle des Wet’suwet’en. »

Les échanges se poursuivent à Kahnawake

Le barrage ferroviaire sur la réserve de Kahnawake, au sud de Montréal, était toujours en place, mardi, alors que les discussions sur son retrait — ou son maintien — se poursuivaient au sein de la communauté. Les échanges, débutés lundi soir, étaient « positifs » a déclaré mardi matin Kanentokon Hemlock, le chef traditionnel du clan de l’Ours, mais le groupe n’est pas arrivé à un consensus.

Dimanche, une entente de principe traitant de la question des droits territoriaux a été conclue entre les chefs héréditaires wet’suwet’en et les gouvernements d’Ottawa et de Victoria. Elle sera soumise à la population wet’suwet’en, qui devra l’approuver avant qu’elle ne soit officiellement adoptée et que son contenu soit pleinement dévoilé.

Le Canadien National (CN) a par ailleurs annoncé mardi matin qu’il rappelait au travail la majorité des 450 travailleurs mis à pied temporairement à cause des perturbations sur son réseau. La semaine dernière, la police provinciale de l’Ontario a procédé à des arrestations afin de démanteler la barricade installée sur ses voies traversant le territoire mohawk de Tyendinaga, près de Belleville. La reprise complète du service du CN pourrait prendre des semaines.


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