Procès Weinstein: le message des 12 jurés de Manhattan

La conclusion du procès d'Harvey Weinstein (photo) a été largement saluée mardi… y compris par le président américain, Donald Trump — pourtant lui aussi visé par de multiples allégations de harcèlement et d’agressions sexuelles.
Photo: Scott Heins Getty Images Agence France-Presse La conclusion du procès d'Harvey Weinstein (photo) a été largement saluée mardi… y compris par le président américain, Donald Trump — pourtant lui aussi visé par de multiples allégations de harcèlement et d’agressions sexuelles.

La chute de Harvey Weinstein — des sommets de Hollywood jusqu’aux murs étroits d’une cellule de la prison de Rykers Island — aura une résonance bien au-delà de sa propre cause, exprimaient mardi de nombreuses voix. Des voix qui souhaitent que sa condamnation marque un avant et un après dans la manière dont la justice traite les cas (et les victimes) d’agression sexuelle.

« Ce verdict envoie le message qu’un changement de culture est en train de survenir », a soutenu au Devoir Karen Bellehumeur, une avocate torontoise spécialisée dans les dossiers de crimes sexuels. Il est la preuve que « les jurys sont capables de rejeter les mythes du viol et [les stratégies] qui blâment les victimes », pense cette ancienne procureure.

Parmi ces mythes abordés par le procès Weinstein, il y avait la question des relations entre les victimes et le producteur déchu. « Les deux victimes ont eu des relations sexuelles consensuelles avec Weinstein après avoir été agressées sexuellement par lui, rappelle-t-elle. Il y a quelques années, un procureur n’aurait même pas essayé de défendre ce genre de dossiers à cause de la prévalence de ce mythe qui veut qu’une « vraie victime » ne maintiendrait jamais contact avec un agresseur. »

Directrice générale de la clinique Juripop, Sophie Gagnon estime que c’était la « question centrale soumise au jury : est-il possible pour une personne qui prétend avoir été agressée de maintenir un contact avec son agresseur, jusqu’à avoir des relations sexuelles avec lui ? Ce sont toujours des dossiers complexes, et les procureurs sont frileux avec ça. On pense qu’un juge ou un jury aura de la difficulté à accepter ce genre de récit. Alors oui, c’est un message très fort » que les 12 jurés de Manhattan viennent d’envoyer, croit-elle.

On ne jugera plus jamais les victimes de la même façon

Mme Gagnon rappelle que, « dans la majorité des cas, garder le contact est la norme », pour différentes raisons. Et selon elle, « tant que le système » ne prendra pas acte de cette réalité, il va « faillir à la tâche ».

En mars 2016, le procès très médiatisé de l’animateur radio Jian Ghomeshi — accusé d’agressions sexuelles contre trois femmes — s’était conclu par un acquittement. Dans sa décision, le juge William Horkins (Cour de l’Ontario) avait vivement reproché aux plaignantes d’avoir « dupé » la Cour en cachant notamment à la police et à la Couronne qu’elles avaient tenté de revoir Ghomeshi après l’agression.

« Je n’ai pas de misère à croire qu’elles avaient caché ces informations parce qu’elles avaient honte et qu’elles savaient qu’elles ne seraient pas crues », soulève Sophie Gagnon.

Placer les enjeux

 

Professeure de droit à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes, Rachel Chagnon saluait mardi le travail de la Couronne dans le dossier Weinstein. « La procureure a vraiment bien placé les enjeux, dit-elle. Ça a été exemplaire : les victimes étaient bien préparées, et le travail de mise en contexte des agressions a été très pertinent. C’est ce qui a aidé les jurés à bien évaluer les victimes et à comprendre ce qui a mené » au maintien de relations après les agressions.

Sophie Gagnon a noté que la poursuite a fait témoigner comme experte une psychiatre qui a expliqué les relations complexes qui existent entre agresseur et victime. « C’est clairement une habitude à prendre », estime l’avocate.

Mais au-delà de l’efficacité stratégique de la poursuite, les effets impalpables de la discussion née du mouvement de dénonciation #MeToo ont aussi joué un rôle dans ce procès, ajoute Rachel Chagnon. « Il y a une sensibilité qui n’existait pas avant. De façon générale, #MeToo a fait en sorte qu’on entend la parole des victimes. Avant, elles étaient en retrait, dans l’humiliation. #MeToo a mis en contact le public avec les victimes. Ça a donné un jury plus ouvert et des acteurs judiciaires qui comprennent eux-mêmes mieux les enjeux. »

L’attitude de la défense dans ce procès indique « que des choses n’ont pas encore changé », ajoute Rachel Chagnon. « Mais il y a une vague de fond qui a atteint une masse critique de personnes, et c’est encourageant. »

L’avocate Bellehumeur espère ainsi que le procès Weinstein aura un effet boule de neige : plus de cas traduits devant les tribunaux (parce que le comportement des victimes n’est pas un frein systématique), plus de juges et jurys qui rejettent les mythes du viol, et tranquillement une confiance qui augmente dans le système de justice (et donc on n’hésite plus à dénoncer).

« Je vois tout ça comme une grande avancée pour la cause des femmes », confiait mardi l’actrice Patricia Tulasne, du groupe Les Courageuses qui tente de poursuivre au civil l’ancien producteur Gilbert Rozon. « Le verdict contre Weinstein marque clairement un point tournant : on ne jugera plus jamais les victimes de la même façon. »

Trump marque le coup

 

La conclusion du procès Weinstein a été largement saluée mardi… y compris par le président américain, Donald Trump — pourtant lui aussi visé par de multiples allégations de harcèlement et d’agressions sexuelles. Durant une conférence de presse en Inde, il a évoqué « une grande victoire » pour les femmes, tout en estimant que le verdict envoie un « message très fort ».

Quant à Harvey Weinstein, il se trouvait mardi sous surveillance dans un hôpital new-yorkais : il a ressenti des douleurs à la poitrine peu après son arrivée à Rykers Island lundi.

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