Québec devrait s’inspirer de l’expérience des Atikamekw, disent les vice-présidents

Le chef et président de la nation atikamekw, Constant Awashish
Photo: Jean-François Nadeau Le Devoir Le chef et président de la nation atikamekw, Constant Awashish

C’est un cas unique au Québec : depuis 2001, le taux de judiciarisation des dossiers liés à la maltraitance a diminué de 85 % chez les Atikamekw. Tout ça depuis qu’une entente leur a permis de prendre en charge leurs propres dossiers sociaux.

Cette façon de faire originale a fait très forte impression jeudi à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission Laurent).

Cette vision de la protection de l’enfance « est davantage collée à l’esprit original de la loi que toute la mécanisation qui en a découlé depuis quarante ans », a dit le coprésident André Lebon.

Quand on entre dans une famille, on ne dit pas “ voici ce que tu vas faire, voici le chemin que tu vas suivre ”

 

Elle devrait inspirer le Québec, a-t-il ajouté, avant de reprocher, plus tard en journée, à des fonctionnaires du Secrétariat aux affaires autochtones d’avancer trop lentement dans plusieurs dossiers, notamment celui de l’implantation d’autres structures de ce genre.

Alors que les communautés autochtones ont des taux de placement de leurs enfants à la DPJ en moyenne huit fois plus importants que dans l’ensemble du Québec, le chef et président de la nation atikamekw, Constant Awashish, indique qu’il n’y a pratiquement plus, dans sa communauté, de processus de judiciarisation des enfants.

Désormais, résume Pierre Blais, directeur de la santé et des services sociaux chez les Atikamekw, un conseil de famille se trouve au coeur de la démarche de protection des enfants.

 

« Un décorum particulier est mis en place. Il donne de la prestance à la démarche qu’entreprend la communauté lorsqu’on estime que de ses membres ont besoin d’aide. On réunit tout le monde en forêt, avec des chandelles, après plusieurs rencontres préparatoires. Des étapes précises sont suivies. »

« D’abord, on se demande si tout le monde s’entend sur le motif qui invite à une intervention de la communauté. Deuxièmement, on discute des moyens pour changer la situation. Troisièmement, il faut s’entendre sur qui va contribuer aux changements. »

La prise en charge d’un enfant devient alors évidente, sans que celui-ci soit coupé de son milieu.

Pour les Atikamekw, il était impossible de concevoir que, comme l’invite à penser la DPJ, la mise à l’écart d’un enfant de son espace social lui offre des vertus bénéfiques. Un processus de réhabilitation passe au contraire, croient-ils, par une plus grande prise en charge collective.

Système autonome

 

Le chef Awashish a fait la genèse, avec sa délégation, de la création de ce système. « En 1984, lorsque la loi sur la protection de la jeunesse a commencé à être appliquée chez nous », a expliqué Alice Cleary, directrice de la protection sociale atikamekw, « on s’est rendu compte qu’on ne serait pas capable d’appliquer cette loi parce que la conception de la famille [qu’elle sous-tend] n’est pas la nôtre. »

Dans le monde atikamekw, le rapport à l’enfant ne gravite pas seulement autour d’une cellule familiale qui serait composée des seuls père et mère.

En 2000, poursuit le chef Awashish, « on a fait devant un comité la démonstration qu’on était assez compétent pour s’occuper de nos enfants. C’est ironique, parce qu’on avait perdu cette compétence depuis cinquante ans, alors qu’on l’avait exercée pendant des milliers d’années… »

Obama des bois

 

À 39 ans, très populaire, Constant Awashish est présenté souvent comme un Barack Obama atikamekw. « Les gens de la communauté sont taquins, dit-il humblement. Un jour, ils ont vu une photo de moi qui lui ressemblait un peu. Et ils se sont mis à dire ça… »

Pour lui, il est important de prendre le temps de réfléchir à des approches plus humaines des problèmes sociaux.

« Quand on entre dans une famille, on ne dit pas “ voici ce que tu vas faire, voici le chemin que tu vas suivre ”. On met plutôt la table pour qu’il y ait une prise de conscience. » Et on le fait « dans notre langue, ce qui change tout », dit-il.

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