Cafouillage lors d’une agression contre un psychiatre à l’Hôpital Albert-Prévost

L’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, à Montréal
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne L’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, à Montréal

Deux alertes générales, deux appels au 911, plus d’une dizaine d’employés mobilisés pour maîtriser un patient qui attaque violemment son psychiatre : l’intervention pour secourir Dr Mario Roy, à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost à Montréal l’automne dernier, a connu des ratés, selon un rapport d’enquête interne obtenu par Le Devoir.

« Devant l’ampleur, devant le peu de ressources présentes, c’est sûr qu’il y a eu un certain cafouillage », dit David Barrette, agent d’intervention en milieu psychiatrique à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost et délégué du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS du NÎM-CSN.

Le rapport de cette enquête interne, effectuée par le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et des représentants syndicaux, retrace le fil des événements du 29 octobre dernier. 17 employés y témoignent.

On y apprend que Dr Mario Roy est roulé en boule et reçoit des coups de ciseaux lorsque la première employée arrive sur les lieux. Cette dernière crie « très fort » et tire sur le chandail de l’agresseur. Une agente d’intervention en milieu psychiatrique saute ensuite sur le patient et lui fait une clé de jambe. L’agresseur laisse tomber les ciseaux.

Avec tous les faux codes blancs, les gens ne viennent plus à un premier appel

Le médecin parvient à sortir de la pièce. Mais l’agresseur aussi. Il roue Dr Roy de coups de pied au visage. S’en suit une série d’interventions de divers employés, notamment des infirmières, mais aussi un agent administratif. Un agent de sécurité arrive plus tard.

Un appel au 911 est passé. « Plusieurs mentionnent paniquer, car les délais sont longs avant que les ambulanciers arrivent (20 minutes) », est-il écrit dans le rapport. Une infirmière appelle de nouveau le 911. Les policiers interviennent quelques minutes plus tard.

Le patient de 22 ans, Joshua Côté-Mashala, a depuis été accusé de tentative de meurtre. Une audience est prévue jeudi.

Joshua Côté-Mashala était traité à Albert-Prévost pour des problèmes de santé mentale. En 2018, il a été accusé d’agression armée, de voies de fait et d’introduction par effraction. Il a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.

« Il est évident qu’on ne peut pas mettre une clientèle qui représente ce potentiel de dangerosité dans ces milieux-là, dit Louis-Martin Reid, agent d’intervention en milieu psychiatrique à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost et membre du comité de négociation FSSS-CSN. C’est sûr qu’à un moment donné, à force d’ajouter des ingrédients explosifs, on finit par avoir une bombe qui explose. »

Une véritable « passoire »

Il y a près d’un an, le ministère de la Santé a désigné l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost comme le seul établissement accueillant les patients adultes non criminellement responsables pour troubles mentaux (sauf les meurtriers) au sein du CIUSSS du Nord-de-L’Île-de-Montréal.

Or, les droits de sortie de ces patients varient, explique Louis-Martin Reid. Certains sont confinés aux quatre murs de l’unité, d’autres peuvent aller fumer une cigarette à l’extérieur, s’ils sont accompagnés d’un employé. Le hic, poursuit Louis-Martin Reid, c’est que les patients peuvent franchir librement le pas de la porte — non verrouillée — et rapporter des objets interdits. L’unité est dite ouverte.

« La surveillance est inadéquate, dit David Barrette. En tant qu’intervenant, on ne peut pas être dehors à tout bout de champ pour voir si la personne respecte [les] conditions. »

Louis-Martin Reid réclame une unité médico-légale pour accueillir ce type de patients à Albert-Prévost. « Une unité fermée avec du personnel formé et un ratio d’employés un peu plus élevé », précise-t-il.

Dr Florence Chanut, psychiatre à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, abonde dans le même sens. « Il y a un trafic de stupéfiants qui va et qui vient, soutient-elle. On voit bien qu’on est comme une passoire sur l’unité. »

Des mesures mises en place

 

Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal a ajouté un gardien de sécurité dans l’établissement depuis l’attaque du 29 octobre. « Ils sont maintenant trois de jour et de soir au lieu de deux, dit Marc Labonté, directeur des programmes en santé mentale. Et ils sont toujours deux aux heures de repas. » (L’attaque du docteur Roy s’est déroulée sur l’heure du midi.)

Florence Chanut a constaté que la direction a « beaucoup encouragé les employés à porter des boutons panique et à participer aussi au code blanc. » Lorsque cette alerte générale se déclenche, tous les employés de l’hôpital sont invités à prêter main-forte à leurs collègues en situation de crise. Un appel à tous volontaire.

Lors de l’attaque du docteur Roy, deux codes blancs ont dû être lancés avant que des renforts n’arrivent dans l’unité, selon plusieurs témoins interrogés lors de l’enquête interne.

« Avec tous les faux codes blancs, les gens ne viennent plus à un premier appel, dit Louis-Martin Reid. Ils attendent le deuxième appel. Et ça, c’est devenu extrêmement problématique. » Des employés accrochent parfois leur bouton panique lors d’une manoeuvre, ce qui entraîne une fausse alerte.

Un comité de travail sur la sécurité du personnel, à l’échelle du CIUSSS, a aussi été mis en place.

Katherine Bertrand, présidente du Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal, salue cette initiative. Mais elle estime que les mesures actuelles sont insuffisantes. « Mes membres ne sont pas plus en sécurité aujourd’hui, dit-elle. Un patient agressif qui décide d’attaquer quelqu’un, ce n’est pas parce qu’il y a un agent de sécurité de plus qu’il ne le fera pas. S’il a été capable d’entrer un objet, il va encore être capable. »

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