Le Vatican lève le secret entourant les agressions sexuelles

Sa marche est déterminée et fait une nouvelle fois trembler les colonnes de la basilique Saint-Pierre. Dans un geste historique, le pape François a levé le secret pontifical pour les cas d’agressions sexuelles commises par des membres du clergé. Un signe d’ouverture et de transparence de la part du Vatican, mais dont la portée devra être testée, entre autres, ici, au Québec, avant de déterminer l’incidence qu’il aura réellement sur les victimes.
« Je vais commencer bientôt à demander d’avoir accès aux dossiers de certains prêtres », annonce, d’ores et déjà, Me Alain Arsenault, qui a intenté ces dernières années plusieurs actions collectives contre des congrégations religieuses et des diocèses au Québec. « Ça va être le premier test. »
Avant de se réjouir, Sébastien Richard, porte-parole des victimes des religieux de Sainte-Croix, souhaite voir quelles seront les avancées concrètes pour les victimes. « Est-ce que le fait que le secret pontifical est levé aura un impact réel sur l’information qui sera diffusée ? Je suis assez sceptique. »
Dans l’« instruction » rendue publique mardi par le Vatican, le jour de l’anniversaire du pape François, mais signée le 4 décembre, le souverain pontife prononce l’abolition du secret pontifical pour toutes les plaintes, procès et décisions touchant les cas d’agressions sexuelles et les gestes de couverture des évêques ou des membres de la hiérarchie religieuse.
Ça [le secret pontifical] servait vraiment comme obstruction à la justice
Les archives des dicastères du Saint-Siège, tout comme celles des diocèses, seront ainsi ouvertes et pourront être livrées « aux magistrats instructeurs des pays qui en feront la demande », a détaillé Andrea Tornielli, directeur éditorial du ministère de la Communication du Vatican. Les documents ne seront donc pas rendus publics, mais plutôt mis à la disposition des autorités judiciaires. Dans cette main tendue — longtemps espérée et maintes fois réclamée par des regroupements de victimes —, le Vatican maintient ainsi la confidentialité des agresseurs, tout comme celle des témoins.
Loi du silence
Au coeur même de la culture du secret régnant dans l’Église catholique, le secret pontifical empêchait tout un chacun, incluant la victime, d’assister à un procès canonique, d’en connaître l’issue et, même souvent, d’être informé de la sentence.
« Le pape bouge. Beaucoup de gens aimeraient qu’il aille plus vite. Mais, vraiment, il bouge. C’est énorme, la levée du secret pontifical », souligne Jean-Guy Nadeau, professeur à la retraite de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal et spécialiste des cas d’agressions sexuelles dans l’Église catholique.
Ce huis clos absolu découlant du secret pontifical, appliqué tant au Vatican que dans les diocèses, s’érigeait en obstacle infranchissable pour les victimes qui tentaient d’obtenir justice et réparation. « Ça servait vraiment comme obstruction à la justice. Les dossiers déjà constitués (sur des prêtres agresseurs) ne pouvaient pas être utilisés. »
Des dossiers révélateurs
Or, ces dossiers contiendraient de précieuses informations qui permettraient de saisir avec encore plus d’acuité l’ampleur du scandale des prêtres pédophiles. L’Église catholique est la seule Église qui conserve un dossier pour chacun de ses prêtres. Certains ont été détruits, mais d’autres sont toujours là.
« En ayant accès aux dossiers, on pourrait obtenir plus d’informations sur les agresseurs, savoir s’ils ont fait davantage de victimes et détailler la responsabilité des autorités religieuses », estime Me Alain Arsenault. La bataille juridique des victimes pourrait s’en trouver allégée, tout comme leur guérison. « Pour une victime, de savoir qu’elle n’est pas seule peut lui donner la force de dénoncer. »
Certains dossiers consignent des plaintes. D’autres retracent le parcours de prêtres maintes fois déplacés de diocèse en diocèse, un signe de couverture de la part des évêques. Et certains contiennent du langage codé, mais évocateur, avec des termes comme « actions inappropriées », « affection déplacée » ou « faiblesse morale », laissés en traces.
Audits externes
Parallèlement à l’annonce du Vatican, les jésuites du Canada se sont engagés mardi à publier le nom de leurs prêtres ayant été accusés « de manière crédible » d’agressions sexuelles sur des mineurs. Un exercice — encore inédit au Canada — qui devrait aboutir au plus tard en janvier 2021. Les archives des jésuites sont présentement scrutées par une firme externe qui examine et numérise les milliers de dossiers de prêtres archivés depuis 1950, a indiqué l’ordre religieux.
« Les listes fournissant au public de l’information sur ces hommes sont importantes pour la guérison », a déclaré Erik Oland, SJ provincial des Jésuites du Canada, qui a du même souffle réitéré ses excuses auprès des victimes.
Au diocèse de Montréal, l’audit annoncé en mars dernier n’a toujours pas pris son envol. Cet exercice « statistique » — qui ne visait la publication d’aucun nom — a été retardé par le décès de l’ex-juge Anne-Marie Trahan, une catholique pratiquante et membre de l’Ordre de Malte, qui avait été mandatée pour mener l’examen.
Depuis le décès de Mme Trahan, survenu en juillet dernier, l’archidiocèse de Montréal est « au travail pour identifier la personne appropriée pour remplir le mandat », explique Erika Jacinto, directrice des communications pour l’archidiocèse de Montréal. L’audit doit, en principe, être terminé au printemps 2021.