Procès Bebawi: des millions pour soudoyer un témoin

Sami Bebawi a participé à un appel vidéo à deux reprises avec un agent d’infiltration de la Gendarmerie royale du Canada.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne Sami Bebawi a participé à un appel vidéo à deux reprises avec un agent d’infiltration de la Gendarmerie royale du Canada.

Croyant s’adresser au consultant d’un ex-collègue qu’il tentait de corrompre, Sami Bebawi a participé à un appel vidéo à deux reprises avec un agent d’infiltration de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), dévoilent des enregistrements audio présentés jeudi à son procès pour fraude et corruption.

« J’espère que ce nuage noir [qui pèse sur nous] disparaisse rapidement », confiait l’accusé alors qu’il discutait sur Skype, en présence de son avocat, Me Constantine Kyres, avec le présumé consultant de Riadh Ben Aïssa.

Nous voulons qu’il dise que notre version des faits est la vraie version

D’octobre 2013 à janvier 2014, la GRC a mené une importante opération d’infiltration dans le but de confirmer que M. Bebawi avait fait une offre de 10 millions de dollars à M. Ben Aïssa.

« M. Ben Aïssa veut vous transmettre ses meilleurs voeux. Il aurait voulu vous parler durant les vacances, mais on a convenu que ce n’était peut-être pas la meilleure idée », disait l’agent d’infiltration à M. Bebawi, alors qu’ils étaient enregistrés. « J’apprécie », lui avait répondu l’accusé.

Ce que M. Bebawi ignorait, c’est que M. Ben Aïssa avait commencé à collaborer avec les autorités canadiennes lorsque l’offre lui a été soumise. M. Ben Aïssa avait été arrêté en avril 2012 en Suisse et accusé de corruption d’agent étranger relativement à la Libye et à Saadi Kadhafi, un des fils du dictateur Mouammar Kadhafi, ainsi que de blanchiment d’argent. Il était alors détenu en Suisse en attendant son extradition vers le Canada.

Dans ses déclarations aux autorités suisses, M. Ben Aïssa aurait incriminé M. Bebawi. L’avocat de ce dernier, Me Kyres, aurait alors communiqué avec M. Ben Aïssa et lui aurait proposé 10 millions de dollars pour rectifier sa version des faits. « Nous voulons qu’il dise que notre version des faits est la vraie version », répétait l’avocat.

Au fil des conversations téléphoniques et des rencontres avec le présumé consultant, le montant de l’offre est abaissé à 8 millions, puis s’établit finalement à 4 millions, selon ce qu’a pu entendre le jury.

Me Kyres abordait à plusieurs reprises le malaise des avocats criminalistes de M. Bebawi quant à un versement d’argent directement dans le compte de M. Ben Aïssa. « Légalement, on ne peut pas verser cet argent à [M. Ben Aïssa] »,disait Me Kyres lors d’une conversation.

L’idée d’un faux prêt a alors été évoquée par l’avocat. « C’est l’idée trouvée par [M. Bebawi] », soulignait Me Kyres.

Un premier versement de 3 millions de dollars devait être déposé dans le compte de M. Ben Aïssa lorsque celui se serait engagé à changer sa version des faits. Quant à l’autre million, il lui serait transféré lorsque M. Bebawi aurait réussi à vendre son appartement.

L’agent d’infiltration a expliqué aux jurés que, lors d’une rencontre, il avait compris clairement, par le non verbal de Me Kyres, que M. Ben Aïssa n’aurait jamais à rembourser ce prêt de 4 millions de dollars. « Parce qu’il est dans notre intérêt que [M. Ben Aïssa] se défende correctement », lui avait souligné Me Kyres.

Entente à Genève

Au cours des rencontres, Me Kyres et le présumé consultant avaient convenu que l’entretien final pour sceller l’offre se tiendrait à Genève, en Suisse. Me Kyres insistait sur l’importance de rencontrer les avocats de M. Ben Aïssa.

Lors d’une dernière rencontre, dans les bureaux du cabinet Dentons, où pratiquait Me Kyres à l’époque, l’avocat expliquait qu’une déclaration sous serment rédigée par les avocats de M. Bebawi serait prête. Cette déclaration pourrait être utilisée pour convaincre les autorités canadiennes de ne pas porter d’accusations contre M. Bebawi. « Espérons que ce document aidera », mentionnait Me Kyres.

Me Kyres s’engageait également à produire un accord écrit concernant le prêt de 4 millions de dollars. Un document d’annulation du prêt allait aussi être préparé pour rassurer M. Ben Aïssa.

Rappelons que M. Bebawi fait face à huit chefs d’accusation de fraude, de recyclage de produits de la criminalité, de possession de biens volés et de corruption d’un agent public étranger. M. Bebawi a plaidé non coupable à toutes les accusations.

Le témoignage de l’agent d’infiltration doit se poursuivre vendredi au palais de justice de Montréal.

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