Cinq provinces, cinq crises

Comment le problème du plomb dans l'eau s'incarne-t-il à la grandeur du Canada?
Photo: Luis Tosta Unsplash Comment le problème du plomb dans l'eau s'incarne-t-il à la grandeur du Canada?

L’eau du robinet de centaines de milliers de Canadiens contient des niveaux élevés de plomb provenant des infrastructures et de la plomberie vieillissantes faites de ce métal. Pendant un an, un consortium de médias et d’universités dont fait partie Le Devoir a constaté l’ampleur du problème, d’une province à l’autre. Tour d’horizon.

Colombie-Britannique

 

En Colombie-Britannique, les autorités et les résidents ignorent parfois l’étendue de la contamination au plomb de l’eau potable puisque les analyses au robinet n’y sont pas obligatoires.

Si Santé Canada recommande que les municipalités analysent l’eau à l’intérieur des maisons pour déceler la présence de plomb, la réglementation provinciale ne les y oblige pas.

La Ville de Vancouver assure que ses entrées de service en plomb ont été remplacées dans les années 1980 et n’a d’ailleurs pas l’intention d’introduire des tests au robinet. Mais là n’est pas le coeur du problème. Le climat pluvieux de la côte peut en effet créer une eau en surface naturellement acide, pouvant engendrer la corrosion des soudures et des robinets en plomb, libérant ainsi ce métal dans l’eau potable.

Pourtant, la province n’exige pas que l’eau soit traitée contre la corrosion. À Prince-Rupert, 84 % des maisons dont l’eau a été testée par l’équipe d’enquête dépassaient la norme canadienne de 5 parties par milliard (ppb) au premier jet le matin.

À 15 minutes en traversier de Prince-Rupert, on retrouve la Première Nation de Metlakatla, un modèle en matière de gestion du plomb dans l’eau potable. Outre le fait qu’elle traite son eau contre la corrosion, la communauté a testé presque tous les ménages pour le plomb dans les dix dernières années.

Alberta

 

À Edmonton, en Alberta, le consortium a appris d’EPCOR — la société privée de distribution d’eau de la Ville — que, depuis 2014, près de 60 % des résidences testées qui avaient une entrée de service en plomb dépassaient la norme de Santé Canada de 5 ppb. Les résultats les plus spectaculaires étaient jusqu’à 120 fois la norme canadienne. Les données démontrent aussi qu’environ 9 % des maisons sans entrées en plomb dépassent 5 ppb au premier jet en raison de l’eau plutôt corrosive d’Edmonton et de la présence de robinetterie contenant du plomb.

À Calgary, entre 2014 et 2018, c’est la Ville elle-même qui a prélevé six échantillons chez 490 ménages. La majorité des résultats étaient en dessous de 5 ppb, mais 40 % des maisons avaient dépassé au moins une fois cette norme, certaines atteignant jusqu’à 82 ppb.

N’ayant plus que 550 entrées en plomb, Calgary pourrait remplacer toutes les conduites restantes sur son territoire pour une somme estimée à 11 millions de dollars, ce qui éliminerait la principale source de plomb et réduirait considérablement le risque d’exposition des résidents.

Ontario

 

Bien que l’Ontario soit exemplaire en matière de transparence, les chiffres montrent que de nombreuses villes n’ont effectué aucun test pour le plomb au cours des deux dernières années. Des quelque 660 réseaux municipaux d’approvisionnement en eau de la province, seuls 123 — un sur cinq — ont fait des tests pour mesurer le niveau de plomb aux robinets des citoyens. Parmi ceux-ci, 42 % affichaient des dépassements de la norme fédérale. Malgré ces lacunes, on note que l’Ontario est la seule province à diffuser tous les résultats.

La province a aussi connu une diminution majeure des taux de plomb dans l’eau de certaines de ses villes avec son programme de contrôle de la corrosion obligatoire. À partir de 2007, le ministère de l’Environnement de l’Ontario a obligé les municipalités à ajouter un traitement contre la corrosion — tel que le phosphate ou un ajusteur de pH — à l’eau si plus de 10 % des échantillons dépassent 10 ppb. Par le passé, les niveaux de plomb à Toronto étaient parmi les plus élevés au Canada — la moitié des tests effectués dans des maisons avec des entrées en plomb n’étaient pas conformes à la norme de 10 ppb en 2008. Aujourd’hui, 98 % des échantillons se trouvent sous ce seuil après 30 minutes de stagnation.

Québec

Dans la foulée de la publication d’une enquête du Devoir et de ses partenaires, le gouvernement du Québec a annoncé mi-octobre qu’il suivrait désormais les normes et méthodes d’échantillonnage recommandées par Santé Canada pour tester la présence de plomb dans l’eau potable de ses citoyens. Jusqu’alors, sa façon de faire — laisser couler l’eau cinq minutes avant de tester plutôt que de prélever le premier jet — sous-estimait grandement l’exposition moyenne des Québécois. De plus, la norme considérée était de 10 ppb plutôt que de 5 ppb. À travers la province, près d’une centaine de municipalités ont rapporté des dépassements de cette ancienne norme — après 5 minutes d’écoulement — auprès du ministère de l’Environnement, entre 2015 et 2018.

À Montréal, dans les résidences ayant une entrée de service en plomb, plus de la moitié (58 %) des tests effectués entre 2004 et 2018 affichaient des niveaux supérieurs à la norme recommandée par Santé Canada, à 5 ppb.

La Ville de Montréal a d’ailleurs revu son plan d’action tout récemment. Elle compte accélérer le dépistage des bâtiments, accélérer le remplacement des tuyaux en plomb — tant du côté privé que public — et distribuer des pichets filtrants certifiés contre le plomb d’ici la fin des travaux aux résidents les plus vulnérables.

Nouvelle-Écosse

 

Environ la moitié des résidents de la province maritime puisent leur eau potable dans des puits privés. Et, bien que le gouvernement ait reconnu en mars dernier que la présence de plomb dans l’eau est « un problème de santé publique important », il n’a adopté aucun règlement obligeant les propriétaires à tester leur eau, ni aucun incitatif pour les encourager à le faire. Cette tâche retombe donc sur les épaules des propriétaires, et s’effectue à leurs frais.

Pourtant, il y a 30 ans, une étude a révélé que 29 % des puits privés de la collectivité côtière de Hackett’s Cove dépassaient la recommandation canadienne, qui était alors de 50 ppb. Le consortium a constaté que les niveaux de plomb sont toujours aussi élevés, y mesurant des niveaux allant jusqu’à 80 ppb dans certaines maisons.

« Je ne suis pas du tout surpris », a déclaré Gavin Kennedy, un hydrogéologue du gouvernement provincial, rappelant que l’eau de ces puits peut être très corrosive, entraînant davantage la libération de plomb des tuyaux. Il a d’ailleurs élaboré une carte ciblant les eaux corrosives afin que les utilisateurs obtiennent un aperçu de corrosivité de l’eau de leur puits.

À Halifax, les données de la Ville indiquent que près de 30 % des analyses effectuées au cours des dernières années ont dépassé la norme de Santé Canada.

Crédits

Rédaction :
Robert Cribb — Toronto Star
Patti Sonntag, Michael Wrobel — Institut du journalisme d’enquête de l’Université Concordia
Avec Le Devoir

Recherche :
Ainslie Cruickshank, Mike De Souza, Jeremy Glass-Pilon, Thia James, Dan Spector, Katelyn Wilson

Produit par l’Institut du journalisme d’enquête de l’Université Concordia

La liste complète des contributeurs est ici : concordia.ca/watercredits



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