Le complet trois pièces cravaté, l'habit du pouvoir

Le costume ne meurt pas, il se transforme et chaque génération rejette les idées de la précédente.
Photo: iStock Le costume ne meurt pas, il se transforme et chaque génération rejette les idées de la précédente.

Le traditionnel costume des hommes occidentaux se transforme encore une fois. Second texte: l’évolution historique de cet habit qui fait le moine industrieux, travailleur et puissant depuis des siècles.

L’historienne du costume Véronique Borboën, professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, parle depuis environ une heure des origines et du développement du costume masculin, vient de traverser au pas de charge trois siècles de mode quand elle lance sa conclusion lapidaire et imparable : « Les hommes [occidentaux] sont incroyablement conservateurs, dit-elle. Ça fait combien de décennies que les créateurs de mode essaient de vendre la jupe masculine ? Pourtant, partout dans le monde, les hommes portent un équivalent. »

Ici, au Nord, à l’Ouest, la fixation obsessionnelle se porte depuis des lustres sur quelques invariants : la veste, le pantalon, la cravate. Mme Borboën explique que la lointaine origine de ce costume cliché remonte à l’époque de Louis XIV, obsédé de dentelles et de bling-bling. En ce temps-là, les hommes ressemblaient à des caniches poudrés comme on peut en voir dans le récent film La favorite, avec dentelles, rubans et perruque pour accompagner les bas de soie et les souliers à talons. Une fraise portée au moment des guerres de religion (XVIe et XVIIIe siècles) en Europe coûtait l’équivalent de trois Rolex aujourd’hui, soit environ 180 000 $.

Les militaires commencent à imposer une mode plus sobre et pratique vers le milieu de 1660. La culotte remplace le haut-de-chausse et la veste (d’abord portée en dessous, comme notre gilet) chasse le pourpoint. Le justaucorps ceinturé se place par-dessus.

Les trois pièces de base du complet sont ainsi établies. À la longue, le bas va s’allonger des genoux aux chevilles et le haut va finalement se décliner en redingote, frac, jaquette ou smoking, tout ce qu’arborent encore les musiciens classiques.

« On peut dire que, jusque vers 1800, les hommes sont encore très élégants et colorés, résume l’historienne. Les aristocrates ne parlent pas de chars, ils parlent de chiffons, de tissus, de coupes. À partir du capitalisme et de la révolution industrielle, quand les hommes commencent à travailler, le costume du bourgeois impose la norme. Tout d’un coup, les hommes deviennent comme des corbeaux noirs, sauf pour le gilet et la cravate qui restent colorés encore un temps. Ils portent des habits pratiques, et la richesse ne sera plus montrée par le vêtement. »

Enfin, l’ostentation ne se fera plus ou se fera peu avec le vêtement masculin et bien davantage avec le costume féminin paradé par l’épouse trophée. « Les femmes portent le signe statutaire des hommes à partir de l’époque romantique vers 1840, dit la professeure. Le XIXe impose un recul énorme au féminin. »

Début du relâchement

 

Conceptrice de costumes, Véronique Borboën a analysé au doctorat les vêtements dans des milliers de photos de famille de ce siècle au Québec. Elle s’est intéressée aux femmes, aux enfants et aux hommes, le sujet de la mode masculine étant souvent négligé par les historiens.

« Les photos montrent que les femmes suivent la mode à un an près, même les gens très ordinaires. Les hommes sont habillés comme la mode l’exige à quatre ou cinq ans près et ils s’habillent tous dans le même style, résume l’historienne. La mode des hommes évolue plus lentement. Il y a des nuances avec la taille des revers ou la hauteur de la taille par exemple. Mais en gros, c’est le même costume noir pour tous. »

Le relâchement commence vers 1920, il y a donc tout juste un siècle, la faute à la pratique du sport (golf, tennis, etc.), qui commence à s’étendre. Les Américains, plus cool et sportifs, osent le négligé (casual), mais le matin seulement. Les Européens suivent rapidement. Au fond, une part des racines des survêtements de rappeur portés au gala de l'ADISQ récemment est là.

Le costume ne meurt pas, il se transforme et chaque génération rejette les idées de la précédente. Les jeunes des années 1990-2000 ont commencé à porter le veston, mais ajusté, voire étriqué comme dans les années 1960, celui que leur père avait délaissé. Maintenant, les jeunes réinterprètent les années 1970 avec des chemises à longue pointe et des moustaches. « Ils nous disent qu’ils s’habillent comme ils veulent en délaissant le costume, conclut la spécialiste, ce n’est pas vrai. D’abord, on s’habille avec ce qu’on trouve dans les magasins et on ne trouve pas tout. Et puis on est influencé, forcément. »

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