Appel à ne pas contester le jugement sur l'aide à mourir

«Je vais réfléchir. Je vais mûrir. Je ne sais pas exactement quand, mais je vais certainement me prévaloir de la liberté qu’on vient de me redonner », dit Nicole Gladu.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Je vais réfléchir. Je vais mûrir. Je ne sais pas exactement quand, mais je vais certainement me prévaloir de la liberté qu’on vient de me redonner », dit Nicole Gladu.

Obtenir un droit, c’est une chose. Le perdre, c’en est une autre. L’exercer, une autre encore.

Tout en implorant Québec et Ottawa de ne pas faire appel du jugement leur donnant le droit de recourir à l’aide médicale à mourir, Nicole Gladu et Jean Truchon ne savent pas encore si, quand ou comment ils vont utiliser cette possibilité extrême.

L’essentiel ici, c’est moins de choisir de mourir que de pouvoir choisir de mourir et ne pas se faire retirer cette option fondamentale.

« Pour le moment, je suis encore en vie », a dit M. Truchon, pendant une conférence de presse tenue jeudi matin à Montréal, au lendemain de la décision de la Cour supérieure. L’homme de 51 ans est atteint de triparalysie depuis la naissance. « Je veux passer l’hiver et le printemps. Après le printemps, on verra.»

Mme Gladu, 73 ans, souffre depuis 25 ans d’un syndrome post-poliomyélite sévère. Elle se dit soulagée par le jugement, décrit comme « historique » par son avocat.

« Je vais digérer la décision [de la Cour]. Je vais réfléchir. Je vais mûrir. Je ne sais pas exactement quand, mais je vais certainement me prévaloir de la liberté qu’on vient de me redonner. »

Dans un jugement développé sur 187 pages, la juge Christine Beaudoin déclare inconstitutionnelles les dispositions légales fédérale et provinciale réservant l’aide médicale à mourir aux seules personnes « en fin de vie » (pour la loi québécoise) ou en situation de « mort naturelle raisonnablement prévisible » (pour le Code criminel canadien). Ces limitations à la mort assistée sont jugées discriminatoires puisqu’elles en privent certaines personnes aux prises avec des conditions de vie insupportables.

Le jugement québécois accorde une dérogation constitutionnelle aux deux demandeurs, valide pendant six mois, période pendant laquelle les gouvernements devraient ajuster les législations, selon le tribunal. Mme Gladu et M. Truchon pourront se prévaloir de l’aide létale recherchée s’ils le désirent, sous certaines conditions, par exemple un examen de leur capacité à y consentir librement.

Les gouvernements ont toutefois 30 jours pour interjeter appel. Le hasard a voulu que la divulgation du jugement sur la cause entendue en début d’année coïncide avec le déclenchement de la campagne électorale fédérale, qui durera jusqu’au 21 octobre.

« Qui va se lever parmi ce monde-là pour priver les requérants, dans leurs conditions, des avantages que leur donne le jugement ? » interroge Me Jean-Pierre Ménard, porteur légal de la cause Gladu-Truchon, qui a appelé la conférence de presse dans ses bureaux de l’est de Montréal.

« On demande formellement aux gouvernements provincial et fédéral de ne pas porter en appel cette cause-là. Il n’y a rien à gagner en appel. Le jugement est très, très, très étoffé. Faire appel ne ferait qu’étirer un débat qui, quant à nous, devient futile. »

Mme Gladu en rajoute en interpellant les reporters. « Nous sommes en campagne électorale et on ne pouvait pas avoir un meilleur timing que ça. J’espère que vous tous — c’est l’ancienne journaliste qui parle — allez profiter du matériel qu’on vous donne pour demander, non pas aux partis qui sont des instances floues, mais à tous les leaders et à tous les candidats de s’engager formellement à suivre la direction tracée par la juge et d’enlever du menu législatif, du Code criminel, les entraves qui ne sont pas en accord avec la Charte. »

Attentisme et prudence

 

Le premier ministre François Legault a dit ne rien exclure : « Est-ce qu’on conclura qu’il faut aller là ou non ? Et puis, en fonction de l’orientation qu’on prendra, on pourra décider ou non si on [interjette] appel », a-t-il dit en marge d’une réunion de son aile parlementaire.

De même, le premier ministre Justin Trudeau avoue accueillir avec « grande ouverture » le jugement tout en demandant du temps pour le lire avant de décider de le contester ou pas. M. Trudeau reste en poste pour encore plusieurs semaines. Il devra donc trancher la question de l’appel éventuel avant l’issue du scrutin.

« Le gouvernement doit trouver le juste équilibre entre la protection des plus vulnérables et le respect des droits et des choix des individus, dit-il. Établir cet équilibre a toujours été quelque chose de très délicat. »


Loi évolutive
 

M. Trudeau laisse entendre qu’il a toujours été ouvert à l’évolution de sa loi. « On a toujours dit que ce n’était pas le dernier mot. Que la société allait évoluer, que des jugements, des moeurs allaient nous amener à réfléchir encore plus à différentes façons de s’assurer que l’équilibre est le bon. »

Le chef conservateur, Andrew Scheer, reste vague quant à ses intentions, faisant valoir qu’il doit d’abord étudier le jugement. « On va avoir quelque chose à dire officiellement dans les prochains jours », annonce-t-il.

Lors du vote final sur le projet de loi fédéral, tous les conservateurs sauf 13 avaient voté contre, plusieurs à cause de leurs convictions pro-vie, d’autres parce qu’ils jugeaient que la proposition légale n’allait pas assez loin.

Le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, indique que « les critères sont trop précis, trop spécifiques, et [que] ça n’inclut pas toutes les situations qui arrivent ». Il se dit donc « ouvert à s’assurer que chacun qui a besoin de ce service peut y avoir accès. Cette décision est importante pour la dignité. Le gouvernement libéral n’a pas fait le travail qu’il faut faire et je suis prêt à avoir une conversation pour augmenter l’accès à ce service ».


Et les enfants?
 

La question de l’extension aux mineurs comme aux personnes fortement diminuées mais inaptes à exprimer leur choix de la mort assistée ne fait pas l’objet du jugement. Elle est tout de même déjà largement discutée dans le public et par des experts, éthiciens, juristes ou autres.

Mme Gladu rejette l’idée d’une dérive éthique possible de cet élargissement de l’aide médicale à mourir.

« Ce sont des épouvantails à moineaux, dit-elle. Ça me rappelle les débats sur l’avortement dans le temps. Des convictions, de la religion s’en mêlent, de la peur aussi, également de la part des médecins. Je veux rappeler que c’est une loi permissive. Ce n’est pas une loi coercitive. Personne n’est obligé de demander l’aide à mourir. En venant au monde, notre destin, c’est de mourir un jour. Là-dessus, on devrait avoir notre mot à dire et c’est ce que nous permet de faire le jugement. »

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