Le regard bonhomme d’Elizabeth Plank sur les hommes

Les hommes sont forts et courageux, ils ne pleurent pas et n’ont pas besoin d’aide. Vraiment ? « On parle beaucoup de la pression d’être une femme dans la société, mais jamais de celle vécue par les hommes. Ils ont aussi appris à adopter des comportements particuliers, qui font d’eux des modèles de masculinité », affirme la journaliste Elizabeth Plank, en entrevue avec Le Devoir.
On ne naît pas homme donc, on le devient. C’est du moins ce qu’explique la Montréalaise d’origine et New-Yorkaise d’adoption dans son premier livre, For the Love of Men : A New Vision for Mindful Masculinity, publié mardi en version anglaise. Installée dans la Grosse Pomme depuis 2013, Mme Plank travaille pour le site d’information Vox. Elle a notamment couvert l’élection du président américain, Donald Trump, n’hésitant pas à dénoncer ses propos sexistes. Son intérêt pour le féminisme n’est donc plus un secret pour personne.
Son essai de quelque 300 pages propose des pistes de réflexion sur la façon d’être un homme dans un monde moderne et plus égalitaire, tout en montrant comment le modèle de masculinité traditionnel s’avère toxique, tant pour les femmes que pour les hommes.
Mais attention, prévient-elle, le problème n’est pas la masculinité en soi, mais l’idée que l’on se fait de la masculinité idéale encore aujourd’hui. Un détail, et non des moindres, qu’elle a compris au cours de ses recherches, ses entrevues avec des experts et ses discussions avec des centaines d’hommes. « J’ai dû réécrire le livre trois fois en quatre ans, confie-t-elle. Ce qui devait au départ être un livre sur ce que les femmes attendent des hommes est devenu ce que les hommes ont besoin de faire différemment pour eux-mêmes. »
Ces derniers devraient entamer une « urgente réflexion sur leur genre », comme l’ont fait les femmes grâce au féminisme. Car si les hommes se sont habitués à voir le sexe opposé devenir leur égal, ils n’ont jamais reconsidéré le modèle de masculinité qui régit leur vie.
Devenir un homme
Et tout commence dès l’enfance, où les filles et les garçons ne sont pas traités de la même manière. On apprend aux premières à être douces, à exprimer leurs émotions et à être studieuses, tandis que les seconds sont encouragés à être forts et à ne pas pleurer, et qu’ils sont excusés d’être turbulents dans les salles de classe.
Les garçons grandissent en se faisant dire que montrer leurs émotions — excepté la colère — est un signe de faiblesse, qu’ils n’ont besoin de l’aide de personne, qu’ils ont un rôle protecteur envers les femmes et qu’ils seront d’ailleurs le principal pourvoyeur de leur famille.
Ce qui devait au départ être un livre sur ce que les femmes attendent des hommes est devenu ce que les hommes ont besoin de faire différemment pour eux-mêmes
« Ils ont été élevés avec ces messages-là, transmis par leurs parents, l’école, les films, les médias, les politiques même. Sans s’en rendre compte, ils les ont incorporés dans leur vie », note l’auteure. Et s’ils ne suivent pas le script à la lettre, quelqu’un se fera le plaisir de les rappeler à l’ordre. Si un homme ne répond pas aux attentes créées par la société, il est souvent ridiculisé par ses pairs et rejeté par les femmes, considéré péjorativement comme « un homme rose » ou un homosexuel.
L’homme, une menace
« Le patriarcat ne se contente pas de convaincre les hommes qu’ils n’ont pas de besoins émotionnels, il les amène aussi à éprouver de la honte lorsque ces besoins se manifestent naturellement, ce qui les amène à exprimer ces sentiments d’une autre manière, moins productive », écrit la journaliste dans son essai. Et c’est par la colère et la violence, notamment envers les femmes, que certains vont s’exprimer.
Études à l’appui, Mme Plank dépeint un triste portrait de la situation aux États-Unis : 99 % des tireurs dans les écoles sont des hommes — et la majorité souffraient d’une peine d’amour ou d’un rejet —, les hommes dans les fraternités universitaires sont 300 % plus susceptibles de commettre un viol, près de la moitié des femmes assassinées l’ont été par un actuel ou ancien partenaire amoureux, et une femme en uniforme a plus de risque d’être agressée par un autre soldat que d’être tuée par l’ennemi.
Les hommes aspirant à un idéal de masculinité — et pour qui le port d’une arme rend justement viril — peuvent aussi devenir une menace pour eux-mêmes. « Les taux d’homicides par arme à feu chez les hommes sont plus élevés que chez les femmes. » De plus, 86 % des personnes qui mettent fin à leur propre vie avec une arme à feu sont des hommes aux États-Unis.
Pour les experts, la situation s’explique notamment par la solitude et le silence dans lesquels ceux-ci s’enferment en ne demandant jamais d’aide à personne, même lorsqu’ils en ont vraiment besoin. « Quelle que soit la pression qui décourage les hommes de demander de l’aide pour des douleurs physiques, elle est exponentiellement pire quand il s’agit de douleurs psychologiques. Et plus vous vous accrochez à des définitions irréalistes de la masculinité, moins vous êtes susceptible de chercher le soutien dont vous avez besoin », écrit Elizabeth Plank.
Les hommes préfèrent alors boire, fumer ou prendre des risques pour se prouver leur virilité.
Redéfinir la masculinité
La journaliste se réjouit néanmoins de voir que certains ont déjà pris conscience de l’aspect toxique de la masculinité dite idéale dans nos sociétés. Elle leur donne d’ailleurs la parole dans son livre. « Leurs témoignages m’ont plus appris que les experts », dit-elle.
Quant aux autres, elle espère qu’ils tomberont sur son livre. « Leur travail maintenant, c’est de réfléchir aux messages avec lesquels ils grandissent ; garder ceux dont ils ont besoin pour être heureux et jeter le reste. C’est un peu “Marie Kondo your gender”», illustre-t-elle.