Le REM, ce voisin indésirable

Un résident de l’île Bigras à Laval, qui voit le Réseau express métropolitain (REM) se construire pratiquement dans son salon, s’est vu offrir des rideaux phoniques et un casque d’écoute alors qu’il supplie le gouvernement de l’exproprier pour mettre fin à son calvaire. C’est que les nuisances liées aux travaux du REM s’ajoutent aux désagréments des inondations du printemps, qui ont obligé les autorités à utiliser son terrain pour construire la digue qui a épargné les maisons des autres habitants.
« Ma maison n’a plus de valeur. Je vais être à 22 pieds du nouveau pont, dans une zone inondable, personne ne va vouloir venir s’installer ici », se désole Mario Mordente alors qu’il fait faire le tour du propriétaire au Devoir.
Son terrain — encore parsemé des sacs de sable utilisés par l’armée pour ériger une digue — se trouve aujourd’hui aux premières loges des travaux de construction du nouveau pont qui accueillera une des deux voies du futur train léger. Il a été délimité au millimètre près, puisqu’il frôle l’emprise ferroviaire qui appartient à la CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Le train de banlieue passe déjà à proximité de la résidence de M. Mordente, mais non seulement le pont actuel est plus loin que celui sur lequel circulera le REM, les passages sont aussi moins fréquents : on prévoit des passages toutes les cinq à quinze minutes.
« J’habite ici depuis 1967, c’était la maison de mes parents. En 2012, j’ai obtenu un permis pour l’agrandir, mais si j’avais su que le REM s’en venait dans mon salon, croyez-moi, je n’aurais pas agrandi », dit M. Mordente.
Depuis plusieurs semaines, de 7 h à 15 h, jusqu’à une cinquantaine de camions défilent devant sa résidence et se garent devant son entrée en attendant d’aller vider leur bac de pierres dans la rivière pour y construire une jetée.
« J’ai un petit garçon de deux ans. Lorsqu’ils vident la pierre, c’est comme un tremblement de terre. Imaginez la peur qu’il ressent chaque fois », raconte le père de famille. Désormais, il mène son enfant à la garderie dès l’ouverture pour lui éviter les bruyants travaux. « La paix de notre chez-nous, on ne l’a plus et je ne sais même pas si on va pouvoir la retrouver un jour », laisse-t-il tomber.

Exaspéré, M. Mordente a fait parvenir plusieurs vidéos montrant l’ampleur du dérangement. Dans une lettre, NouveLR, la société responsable de l’ingénierie et de la construction du REM, lui offre l’installation de rideaux phoniques ou deux paires de casques d’écoute. « Disons que je trouve ça un peu insultant », confie-t-il. Une mesure qualifiée de créative par les responsables du REM, qui assurent tenir compte des réalités des riverains.
Expropriation
Le résident s’explique mal d’avoir échappé à une expropriation. « Il me semble qu’il doit y avoir une norme minimale de distance entre une résidence et un pont ferroviaire », fait-il valoir. En 2016, le terrain de M. Mordente figurait d’ailleurs sur la liste des terrains devant potentiellement être expropriés. « Après évaluation, nous avons conclu que nous n’avions pas besoin de ce terrain pour réaliser nos travaux », explique Virginie Cousineau, directrice des affaires publiques du REM. « La loi sur l’expropriation est très stricte. En ce moment, nous réalisons nos travaux sur notre terrain. On a 100 % les pieds dans notre entreprise », ajoute-t-elle.
Mme Cousineau rappelle également que c’est le ministère des Transports qui est responsable des expropriations. Appelé à commenter la situation sur l’île Bigras, le ministère confirme qu’à l’heure actuelle, aucun lot n’est visé par un processus d’acquisition à des fins gouvernementales. « Le ministère n’est pas en mesure de discuter de données personnalisées et confidentielles », souligne Sarah Bensadoun, porte-parole du ministère des Transports du Québec.
L’homme espère pouvoir quitter cette île de l’archipel des Îles-Laval, où se trouvent quelque 250 résidences, puisqu’en plus de cohabiter avec un nouveau voisin bruyant, M. Mordente réside maintenant dans une zone d’intervention spéciale (ZIS). En juin dernier, Québec a annoncé un décret qui interdit désormais de construire, de reconstruire ou de réparer un immeuble situé dans les ZIS, qui englobent des secteurs inondables 0-20 ans.
D’ailleurs, c’est en face de chez M. Mordente que le premier ministre François Legault a tenu un point de presse lors des inondations du printemps.
« On ne veut pas qu’à répétition les contribuables paient pour les inondations. Il faut ajuster nos programmes, mais il faut aussi être lucide. Si c’est nécessaire de forcer les gens à déménager, il faudra le faire », avait fait valoir le premier ministre.
Le Comité citoyen Laval-les-Îles (CCLLI) tente d’appuyer M. Mordente dans sa démarche, puisque c’est derrière son terrain que, lors des inondations de 2017 et de 2019, des digues ont été construites.
« Le premier ministre est venu sur place et a dit qu’on cherche à implanter des solutions pour les futures inondations. Le terrain de M. Mordente est un endroit névralgique. La digue temporaire a permis d’épargner des dégâts à des dizaines de résidents. Il me semble qu’on devrait avoir une approche plus humaine et enlever un peu de poids sur les épaules d’un citoyen qui, en plus, est prêt à déménager », mentionne Katia Sénécal, présidente du CCLLI.
Ni le cabinet du ministre des Transports ni celui des Affaires municipales n’ont souhaité commenter le dossier.
« Avant le REM et les inondations, mon terrain était évalué à 425 000 $ dans les pires cas. Je me demande ce que représente ce montant sur un projet de plus de 6 milliards », dit M. Mordente. « On ne peut malheureusement pas commencer à acheter des terrains excédentaires », répond Mme Cousineau.