Les conséquences d’une méconnaissance des Autochtones

Avec le regain de tensions entourant la rétrocession de terres à la communauté mohawk de Kanesatake, quelle est la possibilité réelle de revoir se jouer une seconde crise d’Oka ? Pour Éric Cardinal, spécialiste des questions d’« acceptabilité sociale » et chargé de cours en droit des Autochtones à l’Université de Montréal, les risques d’en revenir à un tel scénario sont à peu près nuls. Il ne minimise pas pour autant les conséquences d’une méconnaissance des Autochtones. Entrevue.
Qu’est-ce qui a changé, au Québec, dans les rapports qu’on entretient avec les Autochtones ?
Il faut dire qu’avant 1990, on parlait peu des Autochtones dans les médias. Il en était question, le plus souvent, dans des chroniques de chasse et pêche. On s’y plaignait des conditions, supposément avantageuses, dont bénéficiaient les Autochtones.
La question de la chasse et de la pêche sans permis, cela revient souvent, et depuis longtemps. Le racisme y apparaît assez clairement. Dans les chroniques de chasse et pêche du Journal de Montréal, on le voit bien. C’était surtout dans ce cadre qu’on en parlait.
À la suite de la crise d’Oka, en 1990, on a parlé beaucoup plus des Autochtones, pendant une période, je dirais, d’une vingtaine d’années. Ce fut, le plus souvent, sous des angles assez peu favorables. Puis, depuis quelques années, avec la commission Viens, la Commission de vérité et réconciliation, les enquêtes sur les femmes autochtones, les excuses du gouvernement, le climat a changé. L’information apparaît un peu plus positive ou, au moins, un peu plus équilibrée. On explique, autrement qu’auparavant, la réalité et les enjeux que vivent les peuples autochtones.
Vous ne croyez pas, à la lumière de ces changements récents, que des crises comme on en a connu peuvent se rejouer, comme si l’histoire trouvait tout au plus à bégayer ?
Oka, en 1990, apparaît comme le premier conflit armé dans l’histoire récente. Mais ce n’est pas le premier affrontement. À Restigouche et en d’autres occasions, la Sûreté du Québec avait dû intervenir. Le blocage des routes, pour la défense des droits, pour l’affirmation de ceux-ci, était un modus operandi.
Dans les médias, systématiquement, c’était jusque-là la vision non autochtone qui était rapportée. On n’expliquait qu’un seul côté de la médaille. L’attention et l’intérêt pour comprendre le point de vue autochtone sont récents, comme l’est d’ailleurs le cadre interprétatif où on situe tout ça. Il faut attendre 1990 pour que la Cour suprême se penche sur la portée de l’article 35. Cet article, présent dans la Constitution de 1982, accorde une protection constitutionnelle aux Autochtones. Au Québec, on reconnaît un droit ancestral en 1996, alors qu’on pensait que le régime de la Nouvelle-France l’avait aboli.
Existe-t-il, selon vous, même dans le cadre de cette évolution rapide des consciences, une forme de racisme latent qui perdure ?
Oui, il existe un racisme. On le voit, par exemple, dans les propos du maire d’Oka. Ces propos s’établissent sur des préjugés qui tiennent du racisme. Ce n’est pas la première fois, cela dit, qu’on voit quelque chose du genre. En 2002-2003, à l’occasion de l’entente avec les Innus de la Côte-Nord, on assiste aussi à une levée de boucliers. On voit même apparaître alors une association pour les protections des droits des Blancs.
Oui, on tient dans des cadres pareils des propos racistes. C’est en fait une manifestation d’inquiétude devant les droits reconnus aux Autochtones. Le gouvernement a même dû envoyer un émissaire, Guy Chevrette en l’occurrence, pour essayer d’expliquer aux populations non autochtones ce qui se passait. Cet épisode en particulier m’a convaincu qu’on a affaire à un énorme enjeu de communication.
Oui, il est question de droits, mais c’est l’enjeu des communications qui s’avère le plus important. À Oka et à Kanesatake, on ne se connaît pas. On est loin de la cohabitation harmonieuse. On est plutôt devant l’expression à son meilleur du concept de deux solitudes. J’ai l’impression que les Québécois vivent, devant les Autochtones, un peu ce qu’ils ont vécu comme manque de reconnaissance avec le Canada anglais. Au Québec, l’existence d’un sentiment national lié au territoire se heurte par ailleurs à ce nationalisme autochtone.
On entend des commentateurs affirmer que toute reconnaissance des Québécois à l’égard des Autochtones confine à une haine de soi-même, à un déni de ce qu’est le Québec. Qu’est-ce que vous pensez de ces affirmations ?
Ceux qui affirment que le fait de reconnaître des droits à l’autre nous enlève quelque chose font à mon sens fausse route. Voilà pourquoi l’idée de parler de nation à nation me semble intéressante. Elle permet de reconnaître qu’on veut se développer ensemble. En Colombie-Britannique, on a vu des populations de territoires autochtones bénéficier globalement de l’argent de compensations territoriales. C’est la même chose du côté d’Oka. L’économie va se développer grâce à l’injection d’argent. Elle ne va pas profiter seulement à Kanesatake. Au contraire. Cela risque en fait de produire une économie régionale nouvelle, plus forte. On le voit dans un autre exemple, celui des Cris. Avec la Paix des Braves, l’argent consenti aux Cris a bénéficié aussi aux Jamésiens.
Qu’est-ce qui doit être fait pour échapper aux culs-de-sac que vous dénoncez ?
Il faut, tout d’abord, que les gens acceptent que les Autochtones jouissent d’un statut particulier. Ce statut, ils le doivent au fait qu’ils étaient ici avant, qu’ils ont été dépossédés de leurs droits et que, pour vivre ensemble, il faut apprendre à réconcilier l’histoire à venir avec cette déchirure. Des droits sont reconnus parce qu’il y a eu une injustice. […]
La méconnaissance de l’histoire des Autochtones m’impressionne toujours. Je déplore le peu d’action des gouvernements à cet égard. La question autochtone est importante et le restera. Les gouvernements ont la responsabilité de s’assurer que les citoyens sont informés, qu’ils connaissent l’histoire et en viennent à favoriser les échanges entre les communautés. Pour les médias, je comprends bien qu’une nouvelle crise d’Oka représente quelque chose de fabuleux. Mais il n’y aura pas de nouvelle crise comme en 1990. Que les médias en parlent tout de même, ça me va. C’est normal aussi qu’une municipalité craigne de perdre son assise foncière. Mais il y a des façons de régler ça, avec des tables rondes, en créant des occasions de se parler. Comment se fait-il qu’on n’en ait pas organisé depuis 1990 du côté d’Oka ? Ce n’est pas normal.