Troisième lien: une ombre au tunnel

Selon le scénario retenu par le ministre des Transports, François Bonnardel, le futur tunnel sous-fluvial passerait sous la pointe ouest de l’île d’Orléans (en arrière-plan).
Photo: Francis Vachon Le Devoir Selon le scénario retenu par le ministre des Transports, François Bonnardel, le futur tunnel sous-fluvial passerait sous la pointe ouest de l’île d’Orléans (en arrière-plan).

Le gouvernement Legault devra surmonter bien des obstacles avant de voir la lumière au bout du tunnel Québec-Lévis. Le site choisi par le gouvernement pour réaliser son engagement électoral présente un degré de complexité et de difficulté jamais vu, selon un expert.

Le tunnel s’étendra sur un « site qui présente vraiment le plus haut degré de défi » technique imaginable, selon Bruno Massicotte, professeur de Polytechnique à Montréal. Cet ingénieur spécialisé en structures s’était vu confier par le ministère des Transports, en 2016, le mandat de préparer une étude visant à démontrer la faisabilité technique d’un tunnel construit entre Québec et Lévis et à en évaluer le coût. Son rapport, déposé il y a trois ans, est le seul produit récemment sur un éventuel troisième lien.

Sa conclusion ? Même s’il est possible, techniquement parlant, de réaliser un tel projet, il n’en demeure pas moins « hors norme » et « non conventionnel ».

Fin juin, le ministre des Transports, François Bonnardel, annonçait qu’il avait envisagé divers scénarios avant de décider que ce troisième lien serait un tunnel sous-fluvial. Long d’une dizaine de kilomètres, il reliera l’autoroute 40 à l’est de Québec, sur la rive nord du fleuve, à l’autoroute 20, sur la rive sud, en passant sous la pointe ouest de l’île d’Orléans.

Ce tracé correspond à peu de chose près à celui que M. Massicotte avait étudié en 2016. Ce dernier souligne d’emblée que son étude était « préliminaire » et qu’il recommandait notamment au gouvernement de mener des études géotechniques plus poussées sur la nature des sols avant de procéder.

Sables mouvants ?

Car ce site présente des « particularités qui rendent le projet vraiment complexe », insiste M. Massicotte. « La plus grande incertitude » reliée au site porte sur l’enjeu géotechnique, soit la nature exacte du sol sous le fleuve, sa consistance et sa solidité. « On ne sait pas dans quoi on creuse », explique l’ingénieur, précisant que du côté de la rive nord, on doit s’attendre à trouver des fonds sablonneux, des « dépôts meubles », soit du sable gorgé d’eau.

« Si on le brasse, il peut devenir comme du sable mouvant », augmentant d’autant le degré de difficulté pour les constructeurs, qui risquent de devoir jouer les équilibristes entre le sable et le roc, tout en s’assurant que la structure tiendra le coup en cas de tremblement de terre.

Le caractère hasardeux — pour ne pas dire vaseux — du lit du fleuve à cet endroit ne facilitera pas l’exécution des travaux, « qui présente des défis, sur le plan de la construction, qui sont très élevés ». Dans son étude de 2016, M. Massicotte évaluait le coût de construction du tunnel à quelque 4 milliards de dollars, somme à laquelle il fallait ajouter les coûts d’exploitation et d’entretien de 2,3 milliards pour le siècle à venir. Et c’est sans compter l’inflation.

Aujourd’hui, M. Massicotte refuse de s’aventurer à spéculer sur le coût total du projet, notamment en raison du manque d’informations précises sur la nature des sols.

Avec des ressources limitées, il affirme avoir fait ses calculs, en 2016, à partir de données incomplètes recueillies à l’époque. Seules des études géotechniques plus poussées permettraient de dire si l’évaluation du coût faite en 2016 demeure toujours valide aujourd’hui, fait-il valoir.

Il note que ce n’est pas lui qui avait choisi le tracé de 2016, mais bien le ministère qui lui avait demandé d’évaluer ce site précis. « On n’a jamais vérifié si c’était le meilleur tracé », précise-t-il, ajoutant qu’il n’avait pas reçu le mandat d’examiner d’autres sites ni d’envisager la construction d’un pont. Il n’avait pas davantage le mandat d’évaluer la pertinence d’un troisième lien.

Le ministre Bonnardel a jusqu’à maintenant refusé d’évaluer le coût du mégaprojet, mais il prévoit être prêt à se prononcer dans environ un an.

Commande de taille

 

La complexité du projet tient aussi à sa taille, gigantesque. Avec les approches, le tunnel s’étirera sur 10 kilomètres. En comparaison, le tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, à Montréal, fait 1,4 kilomètre.

Un des défis à relever pour une structure de cette envergure aura trait à l’évacuation de la fumée, causée par un éventuel incendie, et du monoxyde de carbone émis par les véhicules, par des puits de ventilation. Est-ce qu’on choisira d’évacuer les indésirables « par les deux bouts [du tunnel] ou au milieu, par l’île d’Orléans ? » s’interroge l’expert, avant d’ajouter que « les gens de l’île n’ont pas tout vu ».

Peu d’entreprises ont l’expertise requise pour effectuer des travaux de cette ampleur. Il faut donc s’attendre à ce qu’une entreprise étrangère devienne maître d’oeuvre du tunnel, qui serait en fait constitué de deux tunnels de deux voies chacun à sens unique, reliés par une série de galeries d’accès pour les services d’urgence, si on retient les plans de 2016.

Même si Québec a déjà procédé à l’annonce du projet, quantité d’impondérables demeurent, les études d’impact environnemental à venir n’étant pas les moindres.

M. Massicotte dit souhaiter que l’équipe chargée du dossier soit « assez vigilante et clairvoyante » pour guider le gouvernement et l’aider à prendre les meilleures décisions. « J’ose supposer, dit-il, que, dans un gouvernement responsable, ils ont suffisamment d’informations qui leur indiquent que la faisabilité est quelque chose de contrôlable, avec un risque contrôlable. »

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