Pointe-Saint-Charles, le laboratoire montréalais des mouvements sociaux

Des groupes communautaires ont défilé dans le quartier montréalais de Pointe-Saint-Charles, jeudi le 13 juin 2019.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne Des groupes communautaires ont défilé dans le quartier montréalais de Pointe-Saint-Charles, jeudi le 13 juin 2019.

Le quartier de Pointe-Saint-Charles étant isolé du reste de Montréal par le canal de Lachine et une voie ferrée, il accueillait bien peu de touristes.

En même temps, le quartier populaire situé au sud-ouest de la métropole québécoise possède une longue tradition de militantisme communautaire qui s’est répercutée bien au-delà de ses limites territoriales. Ce militantisme a influencé la façon avec laquelle le Québec gère ses soins de santé, l’aide juridique et le logement.

La semaine dernière, un trio de musiciens et un cycliste dont le vélo était couvert de banderoles ont pris la tête d’un défilé festif de plusieurs dizaines de résidants visant à célébrer les 15 organisations territoires du quartier, dont les Services juridiques communautaires de Pointe-St-Charles et Petite-Bourgogne, un des premiers cabinets d’aide juridique au Québec, et la clinique communautaire qui a inspiré les CLSC.

Près de 50 ans après sa fondation, la clinique, qui a résisté à plusieurs tentatives d’intégration dans le réseau des CLSC, continue à être gérée de manière indépendante par un conseil d’administration local. Elle continue de se prononcer sur ce qu’elle considère des injustices sociales, réclamant une meilleure couverture dentaire et l’abolition des frais médicaux.

« Pointe-St-Charles a été une source d’inspiration pour le Québec, et même pour le Canada », souligne Steven High, un historien de l’Université Concordia, qui demeure dans le quartier.

Plusieurs de ces organisations communautaires ont vu le jour au cours des années 1960 et 1970, à une époque où la désindustrialisation et le déclin du canal de Lachine ont entraîné la fermeture de nombreuses usines et des licenciements massifs.

S’en est suivi une lente déchéance du quartier, caractérisée par des fermetures d’écoles, d’églises et de commerces. Le parc de logements locatifs a été négligé. Pointe-Saint-Charles a perdu la moitié de sa population de 1961 à 1991.

Mais en même temps, ces problèmes sociaux ont permis l’établissement d’une solidarité.

Des groupes dirigés par des étudiants et des membres de la classe ouvrière ont commencé à se former pour fournir des repas, des soins de santé et des logements aux familles démunies qui ne voulaient pas quitter le quartier.

Des victoires

 

Ces groupes militants ont pu savourer quelques victoires.

Au début des années 1970, la population s’est regroupée pour bloquer le projet de l’administration Drapeau de construire un grand boulevard urbain au coeur du quartier qui aurait traversé un parc et provoqué la démolition d’une ancienne caserne de pompiers.

Plusieurs comités de locataires se sont succédé au fil des années. Et aujourd’hui, le quartier compte l’une des concentrations les plus élevées de logements sociaux et coopératifs au Canada.

Pointe-Sainte-Charles a même revécu la victoire de David contre Goliath lorsque la population a résisté avec succès avec le projet de Loto-Québec de construire un casino évalué à un milliard de dollars en 2005.

Selon M. High, les facteurs qui ont permis aux militants de Pointe-Saint-Charles de réussir là où ceux d’autres quartiers ont échoué ne sont pas clairs. Il croit que l’isolement relatif de la collectivité et des circonstances particulières ont conduit à une forte mobilisation.

« Ceux qui sont restés se sont retrouvés en quelque sorte dans le même bateau », suppose-t-il.

Sa collègue au département d’histoire de l’art de Concordia, Cynthia Hammond, juge que le nombre de mères célibataires pauvres qui se sont retrouvées à la tête des mobilisations est remarquable.

« Un grand nombre de personnes qui luttaient pour l’alphabétisation, l’accès à la nourriture et l’accès aux soins de santé n’avaient pas obtenu leur diplôme d’études secondaires. Beaucoup d’entre elles étaient des mères célibataires, raconte-t-elle. C’est un héritage important, non seulement pour Montréal, mais aussi pour le Canada. »

Embourgeoisement

 

Mais le quartier continue de changer. Les militants disent être confrontés à une double menace : l’embourgeoisement du quartier et… le baseball.

L’émergence du canal de Lachine comme attraction touristique et la transformation de Griffintown devenu un quartier in ont suscité un nouvel intérêt pour Pointe-Saint-Charles. Des nouveaux condominiums ont fait leur apparition et des immeubles locatifs négligés ont été rachetés par des promoteurs qui les ont transformés en appartements luxueux.

« Il y a une crise du logement, un nombre insuffisant de logements sociaux et de logements collectifs, et les personnes à faible revenu sont souvent expulsées des quartiers centraux, car elles ne peuvent pas payer ce que les propriétaires demandent », dénonce Charles-Etienne Filion, un organisateur communautaire de Action-Gardien, le groupe communautaire qui a organisé le défilé de la semaine dernière.

Récemment, un groupe d’hommes d’affaires désireux de ramener le baseball majeur à Montréal a confirmé son intention de construire un stade à l’extrémité orientale du quartier. Le groupe Action-Gardien craint que ce projet, qui comprendra probablement des copropriétés de haut de gamme, des hôtels et des commerces, finisse par marginaliser et chasser les résidants actuels.

Le groupe, qui est en liaison avec d’autres organisations militantes du quartier, n’a pas encore dévoilé sa stratégie pour combattre le projet de stade. Une porte-parole, Karine Triollet, dit que leur but sera de proposer des logements qui seront « à 100 pour cent accessibles à la collectivité ». Le projet permettra aussi à la population d’avoir droit « à des services, à des emplois locaux et un accès au fleuve ».

Selon M. Filion, les organisations communautaires sont encore plus nécessaires que jamais, même si le statut socio-économique du quartier change. L’arrivée de jeunes professionnels s’achetant des condos le long du canal ne diminue en rien les besoins des résidants à faible revenu.

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