

Faut-il payer pour la foi?
L’État soutient financièrement «l’avancement de la religion».
Près de deux millions de visiteurs. Des revenus totalisant 18 millions de dollars en 2017, et un site évalué à 63,5 millions. Et pas un sou versé en taxes foncières. L’oratoire Saint-Joseph — comme tous les lieux de culte et édifices de communautés religieuses au Québec — bénéficie d’un congé de taxes municipales.
À l’échelle du Québec, 4922 lieux de culte et établissements appartenant à des communautés religieuses sont exemptés, en tout ou en partie, de taxes municipales et scolaires. Selon les chiffres du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation obtenus par Le Devoir, le montant de taxes non perçues totaliserait 182,3 millions de dollars, dont 20,1 millions en taxes scolaires et 162,2 millions en taxes municipales.
En déposant le projet de loi sur la laïcité de l’État, Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, déclarait que celle-ci devait être inscrite « comme principe formel, comme valeur fondamentale et comme outil d’interprétation des lois du Québec ».
Pourtant, aucune remise en question de l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale — conférant aux lieux de culte et immeubles des institutions religieuses une exemption de taxes foncière, municipale et scolaire — n’est sur la table.
« L’État n’est pas neutre, avance Luc Grenon, professeur en droit fiscal à l’Université de Sherbrooke. Si on compare une religion par rapport à une autre, oui, l’État est neutre. Mais si on compare les croyants et les non-croyants, l’État n’est pas neutre. Il finance les organisations religieuses. »
Signe que le sujet est délicat, la Coalition avenir Québec, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont refusé de nous donner des entrevues à ce sujet. Seul Québec solidaire a répondu à nos questions. « Le projet de loi 21 est davantage sur l’interdiction des signes religieux que sur la laïcité », fait remarquer le député Sol Zanetti, ouvert à discuter de l’abolition des privilèges fiscaux accordés aux religions.
Vendredi à Québec, le ministre Jolin-Barrette s’est limité à dire que « le projet de loi 21 ne traite pas des mesures fiscales associées aux municipalités ; c’est un tout autre dossier qui relève des Affaires municipales ».
La Ville de Montréal dit ne pas comptabiliser la valeur des taxes foncières qui lui échappent pour les 737 lieux de culte et 272 immeubles de communautés religieuses parsemés sur son territoire. Ces édifices représentent un capital foncier avoisinant les 2,2 milliards de dollars.
Pour chiffrer ce soutien financier offert aux religions, Nicole Vermette, une retraitée de l’enseignement, s’est attelée à la tâche de lier tous les lieux de culte de l’île de Montréal à leur évaluation foncière. Résultat ? Des exemptions totalisant plus de 110 millions de dollars seraient accordées aux seuls lieux de culte (sans compter les édifices des communautés religieuses) sur l’île de Montréal.
« C’est inconciliable avec la vision laïque de l’État québécois », dénonce-t-elle.
L’exemption de taxes consentie aux communautés religieuses remonte au début de la colonie, alors que ces dernières offraient divers services à la population, notamment en éducation, en santé et pour les soins aux aînés. La mission dévolue aux religieux a changé, sans que les avantages fiscaux qui y étaient liés soient revus.
« Ces exemptions ont toujours représenté une charge assez lourde pour les municipalités, mais elles l’assumaient parce que ces édifices, accessibles à la population, faisaient partie de la vie collective », explique Danielle Pilette, professeure spécialisée en fiscalité municipale au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM.
Dotés d’une forte valeur foncière, ces établissements — souvent les plus imposants d’une municipalité — ont fréquemment été construits en hauteur ou sur le bord de l’eau dans des secteurs prisés des petites et grandes villes.
Pour Danielle Pilette, l’oratoire Saint-Joseph est l’exemple le plus criant de commercialisation d’un lieu de culte. « L’Oratoire — devenu un lieu touristique prisé — pourrait très bien assumer le paiement des taxes municipales. » Seul l’hôtel Pavillon Jean XXIII, situé sur le site de l’Oratoire, paie une compensation en lieu de taxes. Les responsables de l’Oratoire n’ont pas donné suite à la demande d’entrevue du Devoir.
Mais l’experte en fiscalité municipale affirme que l’iniquité fiscale créée par l’exemption de taxes accordée aux groupes religieux est en partie compensée. Des communautés regroupent leurs religieux aînés au même endroit, et leur offrent des services de santé. « Les religieux aînés se retrouvent donc dans un hébergement institutionnalisé, au lieu d’un hébergement public. »
Reste que pour mettre fin à ce régime qui « fait subventionner les religions par les municipalités », Danielle Pilette suggère que Québec compense les municipalités pour les taxes non perçues comme il le fait pour les écoles, les cégeps, les universités et les établissements de santé. « Si l’État québécois se dit laïque, il sera peut-être plus restrictif », souligne-t-elle.
Quand la Loi sur la fiscalité municipale a été adoptée en 1979, le Parti québécois était aux commandes. À l’approche du référendum de 1980, « on peut penser que le gouvernement ne souhaitait pas affronter les communautés religieuses, encore importantes à cette époque », relève Mme Pilette.
Depuis, l’appétit politique pour une telle réforme est tout aussi absent. « Il y a une sorte de statu quo, notamment par crainte que le patrimoine [cher d’entretien] soit privatisé », pointe l’experte.
En plus, « les communautés religieusesmontantes sont issues de la diversité et non plus du culte catholique », ajoute-t-elle, ce qui rend toute tentative de réforme encore plus périlleuse. « Aucun gouvernement ne veut donner l’impression de s’attaquer aux communautés culturelles. »
Une pétition pour abolir ces exemptions, déposée à l’Assemblée nationale en 2017, n’a pas franchi le cap des 3000 signataires. « Les non-croyants ne sont pas organisés, ils ne constituent pas un lobby puissant », fait remarquer Luc Grenon.
Pendant ce temps, de petites églises font leur apparition dans le paysage québécois. À l’intersection des rues Papineau et Beaubien, dans le quartier Rosemont à Montréal, quatre églises évangéliques de quelques centaines de membres sont situées à quelques mètres de distance. Pourquoi ne pas les regrouper en un seul et même lieu ?
« La question est légitime, répond Gabriel Jean-Baptiste, pasteur à la Première Église Pentecôte française renouvelée, sise avenue Papineau, qui compte 140 fidèles. Mais les énoncés de mission sont différents pour chacune de ces églises. Et les fidèles aiment appartenir à de petites communautés, aiment avoir cette proximité. »
Selon le pasteur Jean-Baptiste, il faut briser cette image selon laquelle les religions « font perdre des millions de dollars aux contribuables ». « Une église contribue à la société, aide les gens dans leur quotidien », argue-t-il.
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