Des étudiants menacent de bouder les pollueurs

Corentin Bisot est à l’origine du Manifeste étudiant pour un réveil écologique.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Corentin Bisot est à l’origine du Manifeste étudiant pour un réveil écologique.

À bon entendeur : les étudiants universitaires disposent d’un pouvoir énorme, celui de choisir l’entreprise où ils travailleront. Grâce à ce levier, ils peuvent rompre l’inertie des sociétés privées qui n’agissent pas en adéquation avec la gravité de la crise climatique, croit Corentin Bisot, un étudiant français qui a lancé un manifeste sur ce thème l’automne dernier et qui était de passage à Montréal ces jours-ci.

Dans le Manifeste étudiant pour un réveil écologique, signé jusqu’à maintenant par 27 819 étudiants inscrits à plus de 300 établissements d’enseignement supérieur en France, les rédacteurs expriment leur détermination à changer un système économique en lequel ils ne croient plus. « Face à l’ampleur du défi, nous avons conscience que les engagements individuels, bien que louables, ne suffiront pas, peut-on lire dans le texte. En effet, à quoi cela rime-t-il de se déplacer à vélo, quand on travaille par ailleurs pour une entreprise dont l’activité contribue à l’accélération du changement climatique ou de l’épuisement des ressources ? »

Est-ce que, en donnant son énergie de 9 h à 17 h tous les jours, on travaille vraiment dans son propre intérêt — même si on touche un salaire à la fin — en sachant qu’à long terme, on est peut-être en train de se tirer une balle dans le pied ?

« Est-ce que, en donnant son énergie de 9 h à 17 h tous les jours, on travaille vraiment dans son propre intérêt — même si on touche un salaire à la fin — en sachant qu’à long terme, on est peut-être en train de se tirer une balle dans le pied ? » demande Corentin Bisot en entrevue avec Le Devoir. Cet étudiant de troisième année à la très sélecte École polytechnique, l’une des écoles d’ingénierie les plus reconnues de France, effectue présentement un stage à l’Université Cornell, dans l’État de New York. En visite à Montréal, il donnait lundi soir une présentation à L’Esplanade, un espace collaboratif voué à l’entrepreneuriat et à l’innovation sociale, pour raconter son expérience à ceux qui voudraient la reproduire au Québec.

Rencontrer les entreprises

 

Le Manifeste étudiant pour un réveil écologique a été rédigé à l’été 2018 par une poignée d’étudiants affiliés aux associations écologistes de quelques « grandes écoles » françaises, comme l’École polytechnique, HEC Paris et l’École normale supérieure. Ses instigateurs savaient que le prestige de leurs établissements, dont sont issus bon nombre des décideurs politiques et économiques du pays, allait donner un coup de fouet médiatique à leur projet. Avec la démission de Nicolas Hulot juste avant son lancement, le manifeste s’est effectivement répandu comme une traînée de poudre dans les universités françaises.

Forts de milliers de signatures, Corentin Bisot et l’équipe du manifeste ont ensuite entrepris de rencontrer la direction de grandes entreprises dans l’Hexagone, invoquant une sorte de complicité intergénérationnelle : « Ces patrons ont fréquenté les mêmes écoles que nous, explique M. Bisot. Ils ont vu que, même si nous n’étions pas des écolos aux cheveux longs et portant la barbe, nous portions un message relativement radical. Certains ont dû se dire que, s’ils avaient eu notre âge, ils auraient été à notre place. »

L’équipe du manifeste — actuellement constituée d’une vingtaine de personnes, dont deux à temps plein — a rencontré au fil des derniers mois les hautes instances d’une trentaine d’entreprises. Corentin Bisot ne veut pas les nommer explicitement, mais indique que des sociétés du secteur aérien, du conseil, de la finance et des travaux publics ont accepté, et même demandé, de participer à l’exercice.

« On a vite découvert que la question du recrutement était très critique pour les entreprises, raconte-t-il. On a un vrai pouvoir en disant “on va choisir notre entreprise selon ces critères-là”, c’est quelque chose qui a fait consensus parmi les gens qu’on a rencontrés. Ils ont du mal à recruter, ils ont du mal à avoir des salariés motivés par le projet de l’entreprise, et ils ont du mal à les garder. »

À entendre le jeune homme de 21 ans, les entreprises ont été vivement intéressées par leurs revendications… même dans le secteur de l’aéronautique. Avec Airbus, Air France et Safran, la France est bien présente dans cette industrie responsable de 3 % des émissions de GES actuelles et pour laquelle on prévoit une forte croissance. Or, si certains secteurs peuvent s’adapter pour s’accorder aux demandes du manifeste, d’autres — comme l’aviation — doivent tout simplement se contracter. « Pour une entreprise dans un modèle capitaliste comme le nôtre, ce n’est cependant pas envisageable de mettre de l’avant une telle politique », constate Corentin Bisot. Personnellement, il exclut de travailler dans ce secteur, même s’il croit qu’un nombre réduit d’avions pourrait continuer à sillonner le ciel dans une économie post-transition.

Améliorer la formation

 

Chose certaine, les instigateurs du Manifeste étudiant pour un réveil écologique n’entendent pas prescrire que penser à ses signataires. Ils espèrent plutôt donner les outils nécessaires aux futurs diplômés pour qu’ils se fassent une tête eux-mêmes.

En plus des pressions qu’il applique sur les entreprises, le comité agit donc sur un second front. Ses membres travaillent pour que les grandes écoles françaises, toutes disciplines confondues, donnent des cours à l’ensemble de leurs étudiants sur les changements climatiques et l’appauvrissement de la biodiversité. À l’École polytechnique, l’ajout de ces cours au tronc commun serait en voie de se concrétiser.

En parallèle, l’équipe épaule des groupes intéressés par l’initiative au Québec, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède — où, avec environ 4000 signatures, le manifeste a récolté un succès comparable à celui observé en France, toutes proportions gardées.

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