Comment le t-shirt est-il devenu un moyen de propagande politique?

Photo: Matilde Campodonico Associated Press «Le t-shirt, c’est la page blanche, c’est le vêtement à message par excellence.»

Sitôt dit, sitôt fait. Dès sa première apparition publique après la diffusion du rapport Mueller sur la collusion avec la Russie, Donald Trump s’en est pris au représentant Adam Schiff, qui dirige la commission permanente sur le renseignement. Le président, fort aux insultes, a ridiculisé son « cou minuscule » et l’a traité de « petite tête de crayon ».

Le t-shirt caricaturant « Pencil-Neck Adam Schiff » est apparu quelques jours plus tard sur le site du Parti républicain. Le cou de l’élu démocrate y est remplacé par un bout de crayon. Son visage blanchi est affublé d’un nez de clown. La description précise que le vêtement vendu 28 $ américain, comme les 70 autres du site shop.donaldjtrump.com, est « fièrement » fabriqué aux États-Unis ».

« Le t-shirt, c’est la page blanche, c’est le vêtement à message par excellence », résume au Devoir Charlotte Brunel, rédactrice en chef de la section mode d’Express diX, supplément lifestyle du célèbre magazine français.

Mme Brunel a publié T-shirt, chez Assouline, en 2002, ouvrage de référence sur l’incroyable fortune de ce sous-vêtement. « Au début, c’est le maillot de corps tubulaire que les hommes portent sous leur chemise pour avoir chaud l’hiver et absorber la transpiration, explique l’historienne de la mode. Cette fonction ancienne est institutionnalisée dans la marine américaine à la fin du XIXe siècle. Le t-shirt devient une partie de l’uniforme du soldat, comme le pantalon ou la veste militaire. »

Photo: Le Devoir, La Presse canadienne, Agence France-Presse

Les reportages montrant le GI en t-shirt dans les zones de combat pendant la Deuxième Guerre mondiale vont en faire « l’uniforme des héros » et un signe de masculinité virile (il est moulant). Il va aussi devenir le « blanc de travail » des cols bleus, des classes populaires qui triment fort, et puis l’icône de la jeunesse en rébellion, avec ou sans cause.

Et cela continue. Il y a trois ans, l’aspirant président Emmanuel Macron avait répliqué à un gréviste qui se plaignait de ne pas avoir de « pognon » pour se payer un costume : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt ! La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. »

Tomber dans le panneau

 

Tel qu’il est, comme média vierge et maculé, le t-shirt aussi est donc déjà un message. Il va encore plus s’affirmer comme véhicule à message en devenant, dès les premières années de l’après-guerre, une sorte de panneau publicitaire ambulant, d’abord pour les slogans politiques, puis pour les logos commerciaux et enfin pour n’importe quelle cause, conviction ou émotion.

« Le marketing fait partie de l’ADN des États-Unis, explique le Québécois Philippe Denis, sociologue de la mode. Les Américains dominent le XXe siècle avec cette idée de la promotion, de la publicité, de la vente de tout et n’importe quoi. Ils ont donc vite compris l’avantage de ce média personnel. Le prix de revient très bas permet de massifier la production pour presque rien. Les partisans payent même souvent eux-mêmes le t-shirt qui fait la promotion d’un produit commercial ou d’une cause politique. »

Le premier t-shirt de campagne apparaît en 1948 pour la campagne de Thomas E. Dewey opposant du président sortant Harry S. Truman. Il reproduit une photo du candidat avec son slogan « Dew-it-with ». Le musée national de l’histoire américaine de Washington en expose un exemplaire en permanence. Le célèbre slogan « I like Ike » du républicain Dwight « Ike » Eisenhower pour sa campagne de 1952 se vend encore en ligne.

Et cela continue, dans tous les sens, partout, ici comme ailleurs. La députée Catherine Dorion, de Québec solidaire, a fait jaser à l’automne avec son t-shirt supposément hors décorum célébrant le poète Patrice Desbiens à l’Assemblée nationale.

Ironiquement, l’Élysée offre maintenant des t-shirts reprenant deux formules d’Emmanuel Macron employées pendant des débats télévisés : « Croquignolesque » et « Poudre de perlimpinpin ». Ces drôleries se vendent tout de même 55 euros (83 $). Les bénéfices de la vente des produits made in France sont affectés au projet de restauration du palais présidentiel.

L’impression à chaud

Ce moyen d’engagement simple et efficace a évidemment été récupéré par les marques qui finissent par croiser le commercial et le politique. À sa première collection pour la Maison Christian Dior en 2016, Maria Grazia Chiuri proposait le t-shirt We Should All Be Feminists, vendu environ 800 $.

Le t-shirt incarne aussi l’image de la mode mondialisée (« encore plus que le jean », résume la journaliste Brunel) en même temps que les inégalités mondialisées. Souvent produit dans les sweat shops d’Asie, même quand il est à l’effigie de Che Guevara, il peut se vendre dix ou vingt fois son prix à l’autre bout riche du monde.

Les techniques d’impression bon marché développées depuis quelques décennies permettent en plus de réagir à chaud, presque en instantanée. Charlotte Brunel a pu le voir de ses yeux au moment d’un des événements fondateurs du XXIe siècle. « Je suis arrivée à New York pour faire des recherches pour mon livre juste au moment des attaques du 11 Septembre, raconte-t-elle. Ce qui m’a absolument fascinée et m’a poussée encore plus à écrire sur le sujet, c’est de voir la capacité de réaction du t-shirt. Les premiers exemplaires adaptés sont sortis un jour après les attaques. Les fabriques de Canal Street avaient fait rouler les planches à imprimer toute la nuit et il en était sorti des t-shirts anti-Ben Laden ou patriotiques disant que l’Amérique ne se laisserait jamais détruire. »

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