Les discours populistes en pleine croissance dans le monde

Silvio Berlusconi et Donald Trump ont tous deux une note de 0,8 sur l'échelle du populisme allant de 0 (non populiste) à 2 (très populiste).
Photo: Andrew Harnik Associated Press Silvio Berlusconi et Donald Trump ont tous deux une note de 0,8 sur l'échelle du populisme allant de 0 (non populiste) à 2 (très populiste).

Une analyse pionnière des discours livrés par les leaders (présidents, premiers ministres ou chanceliers) de quarante pays depuis le début du siècle montre que le populisme gagne du terrain partout dans le monde. Selon cette enquête menée par un regroupement international d’universitaires, le nombre de dirigeants tenant des discours populistes a plus que doublé depuis le tournant des années 2000.

Comme la liste des nouveaux pays touchés par la tendance idéologique comprend l’Inde, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Brésil, le nombre de citoyens affectés par cette transformation a énormément gonflé, passant de quelque 150 millions il y a vingt ans à environ 2 milliards cette année. Un Terrien sur quatre vit maintenant en régime plus ou moins populiste.

Le Canada fait partie des pays étudiés par Team Populism, une équipe internationale d’universitaires. Les discours analysés de Jean Chrétien (2001-2003), Paul Martin (2003-2006), Stephen Harper (2006-2001) et Justin Trudeau (2015-2019) les classent comme non populistes selon l’échelle internationale, avec toutefois une légère tendance populiste sous Paul Martin et le premier des deux mandats conservateurs. Pour le reste, le pays se situe pratiquement à 0, le plus bas niveau de la gradation selon la méthodologie développée.

Cette échelle du populisme a été développée il y a plus d’une décennie par le directeur fondateur de Team Populism, le professeur Kirk A. Hawkins de l’Université Brigham Young aux États-Unis. Elle va de 0 (non populiste) à 2 (très populiste). Elle permet de juger assez finement chacun des discours.

« Nous avons noté une montée du populisme au cours des vingt dernières années dans les pays que nous avons étudiés », résume Bruno Castanho Silva, chercheur postdoctoral au Centre des politiques comparées de l’Université de Cologne, joint en Allemagne par Le Devoir. M. Castanho Silva dirige le consortium de chercheurs sur l’analyse de texte pour Team Populism. « Le populisme s’étend maintenant dans des pays où il n’y avait aucune tradition de ce genre. »

Les chercheurs ont mené l’enquête mondiale à la demande de Guardian.org, une organisation qui soutient la recherche autour de sujets fondamentaux, dont le journalisme d’enquête, les changements climatiques, la liberté d’expression, la justice sociale et les droits de la personne. La première synthèse des résultats est parue en manchette dans l’édition de mercredi du média britannique The Guardian.

Quèsaco ?

Mais de quoi parle-t-on exactement ? « Pour le populisme, la principale opposition en politique divise le peuple et l’élite, répond le spécialiste. Cette division est essentiellement morale : le peuple est bon et l’élite est mauvaise. »

L’enquête a filtré les discours de quelque 140 dirigeants qui se sont succédé à la tête de la quarantaine de pays examinés. Au début de la décennie, la liste populiste ne comprenait que trois pays de plus de 20 millions d’habitants : l’Argentine, l’Italie et le Venezuela. Une quinzaine d’États s’y sont ajoutés depuis.

Certains pouvoirs, comme celui du Venezuela, persistent dans le populisme. D’autres n’ont adopté que récemment cette option, surtout au cours des cinq dernières années. C’est le cas des géants de l’Inde, des États-Unis, du Royaume-Uni et du Brésil, quatre pays continents très populeux qui font multiplier par treize la population sous régime populiste dans le monde.

L’analyse distingue aussi les tendances de gauche (surtout en Amérique latine) ou de droite (concentrées en Europe et aux États-Unis). Selon la classification, la chancelière allemande, Angela Merkel, obtient un score de 0, tandis que l’ex-président socialiste du Venezuela, Hugo Chavez (1999-2006), se situe à l’autre bout du spectre avec un score de 1,9, quasi parfait. Son successeur Nicolás Maduro baisse un peu, à 1,6.

Le milieu de l’échelle appartient aux leaders de droite : le Turc Recep Tayyip Erdogan obtient 1,5 et le leader Hongrois, Viktor Orbán, 0,9. Silvio Berlusconi et Donald Trump ont tous deux une note de 0,8.

Quid agis ?

Cela établi, reste à savoir pourquoi. Quels mouvements de fond stimulent cette renaissance du populisme ? Après tout, cette idéologie vit et meurt de manière intermittente dans les démocraties et les sociétés depuis plus de deux siècles et demi, selon un chercheur cité par The Guardian. Alors pourquoi réapparaît-elle maintenant ?

« On ne peut pas dire qu’il y a une cause unique pour expliquer ce qui se passe dans le monde, répond le politologue Castanho Silva. Par contre, on observe que la montée du populisme est habituellement liée à des problèmes nationaux. On observe donc moins une vague de populisme international qui serait stimulée par la mondialisation, par exemple. On voit plutôt différents sujets, différents problèmes abordés par des dirigeants, souvent de nouveaux venus, qui misent sur des discours anti-système. »

Le spécialiste ajoute que dans plusieurs pays, la montée du populisme s’explique aussi par la corruption. Les leaders s’adressent au peuple, prétendent régler le problème et discréditent la vieille classe politique, l’élite dirigeante rendue responsable de cette situation. Le Brésil offre une sorte de cas d’école en cette matière.

« Le populisme est très discuté depuis quelques années, surtout depuis les victoires du Brexit et de Donald Trump. Notre nouvelle recherche se demande si le populisme croît vraiment. On voit que le populisme augmente. Des collègues vont continuer de se demander quels sont les effets de cette montée. Quels sont, par exemple, les impacts d’un président populiste sur une société démocratique ou sur la liberté de la presse ? »


Questions de méthode

Le seul fait qu’il existe un réseau mondial de savants sur le populisme semble constituer une preuve supplémentaire de la remontée de cette idéologie politique en train de devenir un point caractéristique de ce début de siècle. « Quand nous avons commencé à nous intéresser à ce phénomène il y a quelques années, c’était considéré comme un sujet assez marginal. Maintenant, c’est un champ d’études très fort », résume Bruno Castanho Silva, qui dirige l’analyse des textes au sein du réseau Team Populism.

La dernière recherche sur les discours des leaders et certains programmes politiques a été menée par une vingtaine de professeurs de différentes universités. Ils ont employé quarante-six chercheurs rémunérés et entraînés à l’analyse des discours pendant trois jours. Ils ont travaillé en paire pour analyser des discours livrés dans treize langues, en fait quatre discours pour chacun des mandats à l’examen. Les données compilées dans une banque de données (Global Populism) seront disponibles en ligne dans les prochains jours sur le site de Team Populism (populism.byu.edu).


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