

Les ecclésiastiques déviants ont longtemps expié leurs péchés par la seule prière, avant qu’on ne les dirige vers un...
Est-ce que la vague #MoiAussi pourrait s’étendre aux femmes des communautés religieuses ? Trop longtemps restées dans l’ombre, des soeurs réclament que l’Église se penche sur les agressions commises envers elles par des prêtres et des évêques.
Encore l’année dernière au Chili, en Afrique, en Inde et en France, des cas d’agressions répétées et de viols de religieuses par des membres du clergé éclataient au grand jour. Des histoires sur lesquelles les autorités ecclésiastiques tentaient de mettre le couvercle, avant que des accusations formelles soient portées par la police.
Alors que toute l’attention sera dirigée la semaine prochaine sur le délicat enjeu des abus sexuels commis sur des mineurs, des religieuses du monde entier demandent elles aussi que justice soit faite pour les soeurs qui ont été agressées par des hommes d’Église dans l’indifférence complète.
Les premières dénonciations parvenues aux oreilles du haut clergé remontent à plus de 30 ans, mais le Vatican a toujours refusé d’attaquer ce problème de front. Toutefois, la donne pourrait changer. Car la colère gronde au sein de congrégations féminines, ouvrant la porte à l’émergence d’un mouvement #Moi Aussi chez les religieuses.
En novembre 2018, l’Union internationale des supérieures générales (UISG), basée à Rome et représentant 500 000 des 660 000 soeurs de la planète, pressait « toute religieuse ayant été agressée [à] dénoncer cette agression auprès de la responsable de sa congrégation et auprès des autorités ecclésiales ou civiles ». Quelques mois plus tôt, c’était l’imposante Confédération américaine des religieuses qui appelait ses membres à signaler les agressions commises par des prêtres. Au Canada, l’appel a été lancé à toutes les communautés, affirme soeur Lise Tanguay, représentante de la constellation francophone pour l’UISG au Canada. « Tous les dossiers seront envoyés à Rome, nous ne sommes pas au courant des cas ici. »
Contactée par Le Devoir, soeur Patricia Morgante, porte-parole de l’UISG à Rome, a fait savoir que l’organisation internationale décidera au cours des prochains jours des suites à donner aux plaintes acheminées au cours des trois derniers mois.
Pour soeur Aurore Larkin, supérieure générale de la Congrégation des soeurs grises de Montréal, il est plus que temps que le Vatican se saisisse de ce tabou. « Ça fait longtemps que c’est dénoncé : ma première rencontre à ce sujet à Rome remonte à 1998 ! On pensait que ça n’existait pas en Amérique du Nord. À mon avis, aucune institution n’est épargnée par ce fléau. À l’appel lancé par le pape sur la question des mineurs abusés s’ajoute celle des soeurs. C’est une bonne nouvelle que ce soit pris au sérieux. Enfin ! »
En effet, le pape François a dû se prononcer sur la question le 5 février dernier, et a admis que des religieuses sont utilisées « comme esclaves sexuelles ». Et ce, après la publication d’un article explosif dans Women Church World, un supplément féminin du journal du Vatican, l’Osservatore Romano, faisant état de soeurs violées, forcées à avorter ou à élever seules des enfants après avoir été bannies de leur communauté.
Soeur Larkin, formée comme travailleuse sociale et intervenante auprès des femmes en difficulté, n’en démord pas. « Ce n’est pas moins grave que l’abus des mineurs. Plusieurs des soeurs agressées étaient aussi mineures. Je pense que la guérison va se faire en parlant de prévention, mais aussi d’égalité dans l’Église. Il faut mettre en question le cléricalisme et le patriarcat. La porte est ouverte, il faut continuer ! »
Karlijn Demasure, spécialiste de l’Université grégorienne à Rome, affirme que le Saint-Siège est au courant depuis plus de 25 ans des agressions perpétrées contre des religieuses, mais que peu a été fait pour les protéger ou sanctionner les prêtres criminels.
« L’affaire a commencé en 1994, dans un rapport révélant que des soeurs en Afrique avaient le sida. C’était clair que c’était en raison d’agressions sexuelles commises par des prêtres. Le rapport faisait alors état d’agressions rapportées dans 23 pays », explique-t-elle.
Ce rapport accablant, transmis en toute confidentialité au Vatican par une missionnaire d’une organisation médicale humanitaire, faisait état de soeurs forcées à des rapports sexuels. « Des prêtres se tournaient vers elles, jugées plus “sûres” et moins à risque d’avoir le VIH, alors que prévalait la pandémie de sida », explique Mme Demasure.
Le même rapport, qui a fuité dans le National Catholic Reporter, recense d’autres cas aberrants. Dès 1988, une supérieure avait alerté un évêque du Malawi que 29 religieuses du même ordre avaient été « mises enceintes » par des prêtres. Saisi de la question au Vatican, le cardinal Martinez n’avait toutefois donné aucune suite à ce rapport.
En 1998, un nouveau portrait désolant, dressé par soeur Marie MacDonald, supérieure des Soeurs missionnaires Notre-Dame d’Afrique, révéla que des soeurs étaient violées puis forcées à avorter. Il resta aussi en plan.
« Ces soeurs reniées par leur communauté — alors que l’agresseur était tranquille — devaient élever seules leur enfant. Certains ordres ont fini par forcer des prêtres pères à quitter leur communauté pour s’occuper de leurs enfants. J’ai même eu connaissance d’un prêtre qui avait eu quatre enfants de quatre femmes différentes », précise Karlijn Demasure.
Ces agressions commises sur des religieuses sont souvent assimilées à des relations « amoureuses » par les autorités de l’Église, écrivait en décembre Lucette Scaraffia, auteure de l’article choc publié dans Women Church World. « Il s’agit plutôt de contraintes exercées par un homme en position de pouvoir sur une femme vulnérable. »
Encore en janvier, le journal catholique La Croix faisait état de faveurs sexuelles réclamées en 2011 en République démocratique du Congo (RDC) en échange de certificats ou de résidences offerts à des communautés religieuses. L’image du « prêtre omnipotent » continue de régner en maître dans certains pays, pense Mme Demasure.
Ce n’est pas moins grave que l’abus des mineurs. Plusieurs des soeurs agressées étaient mineures. Je pense que la guérison va se faire en parlant de prévention, mais aussi d’égalité dans l’Église.
Ce fléau touche plusieurs pays où les communautés connaissent toujours un fort taux de recrutement de jeunes religieuses. « J’ai souvent entendu : “Ça ne se passe pas ici [en Occident] !” Or, il y en a aussi en Europe. Il faudra le reconnaître si on veut mettre fin à ces agressions », ajoute la professeure, qui espère que l’appel de l’UISG pourra permettre d’avoir un véritable portrait de la situation.
« En Occident, les faits reprochés remontent à très longtemps. Plusieurs soeurs âgées n’auront peut-être plus le courage de faire une dénonciation et de se retrouver au milieu de l’orage », pense-t-elle.
Soeur Gisèle Turcot, supérieure générale à l’Institut de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, impliquée dans la lutte contre la traite humaine, salue le courage du pape François « qui essaie de voir clair ». « J’espère qu’on avancera sur la question de la responsabilité des évêques, car plusieurs ont caché les agressions et n’ont rien fait, sinon déplacer un prêtre dans une autre paroisse. »
Pourrait-il y avoir des dévoilements au Québec, là où vivent la grande majorité des religieuses au pays ? « Je ne sais pas. Nos soeurs ont plus de 80 ans, peut-être ont-elles fait la paix ? »
Pour soeur Aurore Larkin, dénoncer n’est pas le seul remède, comme l’a démontré le mouvement #MoiAussi. « Ce n’est pas le seul chemin. Plein de soeurs ont suivi des thérapies. Leurs communautés ne sont parfois même pas au courant. J’ignore s’il y aura des suites au Canada, mais l’abus n’est pas juste sexuel, il a pu être financier, spirituel. Le problème, c’est l’inégalité des rapports entre les hommes et les femmes. Il faut préparer un processus pour recueillir les soeurs qui veulent dénoncer un agresseur. Je souhaite que ça mène à des guérisons, à des réconciliations, et à se libérer de la honte et du patriarcat ! »
Les ecclésiastiques déviants ont longtemps expié leurs péchés par la seule prière, avant qu’on ne les dirige vers un...
Le traitement des prêtres doit allier spiritualité et psychologie.
Les attentes sont grandes, mais les résultats concrets de ce sommet pourraient être limités.