À la défense du plaisir de rouler l’hiver

Montréal, ville de vélo. En été comme en hiver. Lorsqu’un manteau blanc enveloppe la métropole, de plus en plus de Montréalais enfourchent leur vélo pour rouler dans les rigueurs de l’hiver. Bien que le projet de déblayer la piste cyclable du pont Jacques-Cartier ait été mis en veilleuse, l’administration montréalaise a promis de déneiger 76% du réseau cyclable cet hiver, ce qui représente 74 km de plus que l’an dernier. À quelques jours de l’ouverture du Winter Cycling Congress (WCC), qui se tiendra du 6 au 8 février à Calgary, «Le Devoir» s’est entretenu avec le journaliste calgarien Tom Babin. L’auteur du livre «Frostbike. The Joy, Pain and Numbness of Winter Cycling» offrira une conférence lors du WCC sur les meilleures pratiques observées à travers le monde pour faciliter la pratique de cette activité hivernale.
Une idée persistante veut que le vélo d’hiver soit une activité dangereuse réservée aux plus téméraires. Qu’en pensez-vous ?
Non, le vélo d’hiver n’a pas à être une activité dangereuse. Je fais du vélo d’hiver de manière sécuritaire à Calgary depuis 15 ans. Chaque cycliste peut s’assurer de rouler sans danger, par exemple en s’équipant de pneus cloutés ou en se dotant d’un fatbike, des vélos très stables conçus pour rouler sur la glace. Simplement en réduisant sa vitesse, on rend l’activité tellement plus sécuritaire.
Qu’est-ce que les municipalités peuvent faire pour accroître la sécurité des cyclistes qui roulent en hiver ?
Les préoccupations liées à la sécurité sont le principal facteur qui décourage les cyclistes de faire du vélo toute l’année. Ce que l’on remarque, c’est que, lorsque des infrastructures adaptées et sécuritaires sont bâties, les gens les utilisent. C’est vrai en été comme en hiver. Le plus important, c’est qu’il y ait des pistes spécifiquement réservées aux cyclistes qui soient séparées de la rue, par exemple par une bordure en béton. La séparation entre les voitures et les vélos est cruciale, surtout en hiver. Et il faut évidemment que les pistes soient bien déneigées et déglacées.

Quelles sont les meilleures pratiques que vous avez observées pour le vélo d’hiver ?
À mes yeux, la meilleure ville pour le vélo d’hiver, c’est Oulu, située dans le nord de la Finlande. La ville est dotée d’un très bon réseau de pistes cyclables séparées des rues. Les cyclistes peuvent rouler de la banlieue à la ville sans jamais avoir à circuler près des voitures. Pour entretenir les pistes, ils sont très réactifs aux conditions météo. Lorsqu’il y a plusieurs jours de températures froides, plutôt que d’enlever toute la neige, ce qui peut mener à la création de plaques de glace, ils compactent la neige pour laisser un léger couvert de quelques centimètres, ce qui assure une meilleure tenue de route pour les vélos. Et lorsque le climat se réchauffe et que la neige commence à fondre, ils ramassent tout pour revenir à la chaussée. Le résultat est que des familles avec des enfants et même des personnes âgées circulent à vélo l’hiver, ce que l’on ne voit pas en Amérique du Nord ! Si les conditions sont sécuritaires, on rend l’activité accessible à tous.
Y a-t-il des pratiques inspirantes en Amérique du Nord ?
Minneapolis, dans le Minnesota, a un climat similaire à celui de Montréal, et c’est une très bonne ville pour le vélo d’hiver. Parallèlement aux pistes cyclables traditionnelles, la municipalité a converti des chemins de fer abandonnés pour en faire des pistes cyclables et des sentiers pédestres, créant un vaste réseau qui va de la banlieue à la ville. Ils ont une très belle culture du vélo, similaire à celle de Montréal. Et beaucoup de cyclistes tirent une grande fierté de continuer à pratiquer leur sport, même en hiver.
Montréal se démarque-t-elle comme étant une ambassadrice pour le vélo d’hiver ?
Montréal est la meilleure ville pour le vélo d’hiver en Amérique du Nord, et ce, depuis de nombreuses années. On a observé beaucoup d’améliorations au cours des dernières années pour le déblayage des pistes cyclables. D’autres histoires à succès ont émergé ailleurs, en partie grâce à des villes inspirantes comme Montréal, qui ont su démontrer que le vélo d’hiver peut être une activité sécuritaire. À Calgary, on remarque qu’au fur et à mesure que le nombre de cyclistes augmente en été, il augmente aussi en hiver. Ce qui signifie que ce n’est pas juste un groupe d’irréductibles ou d’hurluberlus qui continuent à faire du vélo en hiver, mais que de plus en plus de personnes réalisent que c’est une activité raisonnable, agréable et sécuritaire.
Montréal est la meilleure ville pour le vélo d’hiver en Amérique du Nord, et ce, depuis de nombreuses années
Pourrait-on dire qu’en quelque sorte, c’est tout notre rapport à l’hiver, au froid et à la neige qu’il faut redéfinir pour prendre plaisir à grimper sur notre vélo en hiver ?
Tout à fait. La Ville d’Edmonton a développé une initiative très inspirante à cet effet, appelée la WinterCity Strategy. L’idée sous-jacente est de repenser l’hiver, pour nous permettre de dépasser notre peur du froid, et d’y trouver du plaisir. Beaucoup de cyclistes qui rechignent à enjamber leur vélo l’hiver craignent le froid. Et pourtant, c’est l’enjeu le plus facile à surmonter. Lorsqu’on pédale en hiver, on a chaud très rapidement. Souvent, je dois m’arrêter pour enlever des couches de vêtements !
Que diriez-vous à nos lecteurs pour les convaincre d’enfourcher régulièrement leur vélo sous le froid et la neige ?
C’est tellement agréable et certainement pas aussi difficile que vous le pensez ! L’hiver, lorsque le soleil se couche tôt, qu’une légère neige tombe et que je rentre à vélo à la maison… c’est un de mes moments préférés de la journée. La neige absorbe le bruit des pneus. Tout est plus silencieux. Mon vélo laisse des traces toutes fraîches dans la neige. C’est un moment tellement apaisant.