Pêcher et cultiver pour plus d’autonomie et d’égalité

Ce texte fait partie du cahier spécial Développement international
Le Honduras a beaucoup fait parler de lui depuis quelques mois, en raison de la forte présence de ses citoyens au sein des caravanes de migrants avançant vers la frontière américaine. Dans ce pays d’Amérique centrale peuplé de 9,1 millions d’habitants, plus de six personnes sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, plusieurs touchant moins d’un dollar par jour. Des coopérants québécois collaborent avec des organisations locales pour contribuer à l’amélioration de la situation, notamment en aidant les femmes et les jeunes à y prendre leur place.
La spécialiste de l’environnement Nalitha Paradis s’est engagée ces dernières années dans deux projets de coopération d’Oxfam-Québec au Honduras. Elle a d’abord collaboré avec des organismes locaux, dont le Comité de développement et de défense de la faune et de la flore du golfe de Fonseca (CODDEFFAGOLF), dans un projet réalisé auprès de 112 femmes âgées de 15 à plus de 60 ans. Ces femmes d’Amapala, municipalité située sur une île du sud du Honduras, récoltent des palourdes et des sardines. Leur technique consiste à construire des demi-cercles de pierres, que l’eau recouvre à marée haute. Lorsque la marée se retire, des palourdes et des sardines s’y retrouvent prisonnières et sont récoltées par les pêcheuses équipées d’un seau et d’un filet. « Il s’agit d’un travail harassant, exigeant de passer parfois jusqu’à dix heures par jour sous un soleil de plomb », précise Nalitha Paradis.
Oxfam souhaite améliorer l’autonomie de ces femmes et les aider à tirer un plus grand bénéfice de leur travail. Le projet comprenait l’établissement d’une certification locale assurant un même niveau de qualité, de fraîcheur et de salubrité entre les produits vendus par les différentes femmes. Cette certification apporte une valeur ajoutée et les aide à se démarquer auprès des acheteurs.
Un organisme partenaire, l’Institut national de formation professionnelle (INFOP), a offert aux femmes de nombreux cours allant de la survie en mer à la commercialisation, en fonction de leurs besoins. En effet, les 112 femmes sont scindées en quatre groupes, dont deux s’occupent de la pêche et deux autres de la commercialisation. L’autre partenaire, CODDEFFA, s’est chargé de donner des cours de leadership aux femmes, afin de les aider à s’approprier la parole dans un milieu où celle-ci demeure souvent l’apanage des hommes et à prendre assez confiance en elles pour devenir elles-mêmes des meneuses.
Les jeunes s’approprient l’aquaponie
Dans un deuxième projet, 120 jeunes garçons et filles âgés de 12 à 30 ans ont été appuyés dans le développement d’un élevage aquaponique. Dans ce type d’approche, des plantes et des poissons sont élevés en même temps dans un système fermé. Les déjections des poissons servent d’engrais aux plantes, dont les racines purifient l’eau. « Nous avions réalisé que les jeunes de cette communauté souffraient d’un manque d’accès à l’alimentation, donc ce projet vise la sécurité alimentaire », explique Nalitha Paradis.
Le système permet de faire pousser des légumes, tout en élevant des tilapias et des perches, un poisson que l’on trouve dans les rivières locales. Les jeunes ont été engagés dans le projet dès le processus d’élaboration, afin de s’assurer qu’il correspondait à leurs besoins et à leurs envies. Ils gèrent eux-mêmes le système aquaponique, par exemple en effectuant les petits changements d’eau lorsque cela est nécessaire, en nourrissant les poissons et en prenant les décisions au quotidien.
« La population du Honduras a envie de changer la réalité du pays pour vivre dignement, et les femmes et les jeunes ont un rôle important à jouer pour y arriver », croit Nalitha Paradis.
Ouvrir les coopératives aux femmes et aux jeunes
De son côté, Serge Lantagne dirige le Projet Canada-Honduras de valorisation agroforestière (CAHOVA) de la Société de coopération pour le développement international (SOCODEVI). Financé par Affaires mondiales Canada, le projet intervient auprès des 4000 membres de 42 coopératives honduriennes actives dans les filières bois et ébénisterie, café, cacao, ramboutan (aussi appelé litchi chevelu) et miel.
La moyenne d’âge des coopératives agricoles au Honduras est de 47 ans. Cela peut sembler jeune aux yeux d’un Québécois, mais il faut savoir qu’au Honduras plus de la moitié de la population a moins de 25 ans. Il devient donc crucial d’intégrer les jeunes. « Le milieu agricole hondurien a un problème de relève, et le rôle de la femme, pourtant réel, reste plutôt invisible, explique Serge Lantagne. Le projet CAHOVA vise à relever ces deux défis. »
Cela passe par un assouplissement de certaines règles des coopératives, lesquelles réservent la possibilité d’être membres aux seuls propriétaires terriens. Cela exclut d’office la plupart des femmes et des jeunes. Les instigateurs du projet CAHOVA souhaitaient d’abord convaincre les hommes de vendre un lopin de leur terre à leur épouse, afin que celle-ci puisse devenir membre de la coopérative. Ils se sont toutefois heurtés à une grande résistance de la part des hommes devant la perspective de céder légalement une parcelle de leur terre.
Une solution originale a donc été élaborée. Il s’agit des commodats. Plutôt que de vendre un lot de leur terre, les agriculteurs le cèdent en usufruit pour une période minimale de cinq ans. La plupart des 200 commodats signés jusqu’à maintenant portent sur une période de 10 ans, et certains vont même jusqu’à 20 ans. « C’est important, car cela permet aux femmes d’investir dans leur terre en sachant qu’elles en auront encore l’usage dans plusieurs années », précise Serge Lantagne. Le projet a débuté en 2016 et prendra fin en 2021. Au terme de cette période, M. Lantagne espère que 400 commodats auront été signés. Cela permettrait d’atteindre une parité hommes-femmes au sein des coopératives.
Ces dernières ont par ailleurs fait un effort de leur côté en assouplissant certaines règles. Plutôt que de devoir être propriétaires pour devenir membres, il faut maintenant simplement travailler la terre. Les femmes et les jeunes voient donc leur accès grandement facilité.
Il leur reste à prendre leur place dans les instances, comme les conseils d’administration. Les femmes reçoivent des formations pour apprendre à lire des états financiers, à s’exprimer en public et à développer une confiance suffisante pour accepter de siéger à ces instances. Des comités de genre ont aussi été mis en place dans les coopératives. Composés de femmes, ils recensent les besoins des membres féminins et rédigent des plans d’action pour favoriser l’égalité des sexes dans ces organismes. Des avancées se font, par exemple, sur le plan de l’équité salariale.
Et c’est loin d’être fini. Après avoir travaillé sur l’accès aux terres et aux moyens de production, SOCODEVI s’attelle maintenant au financement de la production des femmes. Elle pourrait passer par des programmes de crédits offerts dans le cadre des coopératives. « Nous nous pencherons aussi sur la commercialisation de leurs produits, qui pourrait, par exemple, bénéficier d’une certification “produit par des femmes”, comme nous l’avons déjà fait pour des productrices de café en Colombie », conclut M. Lantagne.
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