Pourquoi des établissements culturels québécois s’allient à Wikipédia?

«Le bateau à glace», Québec (détail) (vers 1860), Cornelius Krieghoff
Illustration: Collection du Musée national des beaux-arts du Québec «Le bateau à glace», Québec (détail) (vers 1860), Cornelius Krieghoff

Le nouveau site sur les collections du Musée national des beaux-arts du Québec, lancé en novembre, comprend évidemment une page sur Cornelius Krieghoff (1815-1872). Le célèbre artiste est présenté comme « un peintre canadien d’origine néerlandaise ». La suite déballe l’essentiel : « Il était l’un des peintres canadiens les plus populaires du XIXe siècle. Krieghoff est surtout connu pour ses peintures de paysages canadiens. Il peignait particulièrement à l’automne et en hiver. »

On dirait une notice de l’encyclopédie en ligne Wikipédia… parce que c’en est une. D’ailleurs, pour lire d’autres infos sur Krieghoff, il suffit de cliquer sur un lien menant soit au monumental et irréprochable Dictionnaire biographique du Canada, soit vers la page Wikipédia qui lui est consacrée.

Capture écran de la fiche descriptive de Cornelius Krieghoff sur le site du Musée national des beaux-art du Québec

La fiche Krieghoff a besoin d’un peu d’amour et d’ajustement, ne serait-ce que pour préciser qu’il peignait surtout des scènes d’automne et d’hiver. Ce sont des détails. Les ajustements viendront.

L’essentiel reste dans l’alliance non fortuite entre le site du MNBAQ et Wikipédia. Le musée national a décidé de s’engager à fond dans ce chantier en prenant acte et cause pour l’encyclopédie gratuite et participative de plus en plus populaire : le site arrivait en cinquième position dans le monde (et sixième au Canada) dans la liste des plus visités en 2018.

Un plan numérique

 

Le chantier Wikipédia du musée, lancé il y a deux ans, bénéficie d’une aide ponctuelle du Plan culturel numérique du Québec. « De plus en plus, ce qu’on souhaite, c’est rendre accessibles nos données et nos images au plus large public possible », explique Nathalie Thibault, responsable de la gestion documentaire et des archives du MNBAQ. C’est elle qui pilote le chantier de collaboration avec Wikipédia. « Dans le cas de Krieghoff, nous avons aussi intégré l’image du peintre à sa page de l’encyclopédie. »

Elle ajoute que Wikipédia fournit visibilité et transparence. « Tout est lié, dit-elle. Dans notre planification stratégique, nous disons que le citoyen a autant sa place que l’expert dans la construction des connaissances. »

Les liens sont faits sur les articles savants. Les conservateurs de l’établissement participent à la bonification du site sur les collections. Le musée offre maintenant des ateliers d’écriture pour l’encyclopédie. Le premier a été organisé la semaine dernière.

« Nous encourageons le public à retravailler les fiches, dit encore Mme Thibault. Nous sommes dans un virage. Le but de tout ça, c’est aussi de démocratiser l’accès aux informations et de nourrir l’encyclopédie de données fiables. »

La série Collections en ligne compte maintenant 2500 artistes représentés au MNBAQ avec au total déjà environ 27 000 images correspondantes sur les 40 000 oeuvres que l’établissement possède. Le musée va aussi numériser des archives qui seront également versées sur l’encyclopédie si les droits d’auteur le permettent.

Illustration: Collection du Musée national des beaux-arts du Québec De gauche à droite: «Le bateau à glace», Québec (détail) (vers 1860), Cornelius Krieghoff; «L’Indienne avec un panier» (vers 1860), Cornelius Krieghoff (en haut) ; «Chasseur indien» (1858), Cornelius Krieghoff (en bas); «Andrew John Maxham» (détail) (1856), Cornelius Krieghoff

Un chantier national

 

Nathalie Thibault confie que les autres grands musées (MACM, MCQ et MBAM) s’intéressent à son laboratoire. « Nous sommes pionniers, dit-elle. Nous avons suivi l’exemple d’autres musées américains et britanniques. Certains musées étrangers ont même des collaborateurs en résidence pour améliorer les contenus en ligne. » Ce sera aussi bientôt le cas à l’Université Concordia (voir encadré).

« [Wikipédia est] une plateforme de diffusion extraordinaire pour les institutions qui préservent notre patrimoine, écrit au Devoir Lëa-Kim Châteauneuf, vice-présidente de Wikimédia Canada. Par l’entremise de nos activités GLAM [pour galleries, libraries, archives and museums], nous formons et accompagnons les établissements dans l’utilisation des outils Wikimédia (Wikipédia, Wikimédia Commons, Wikidata, Wikisource, etc.). »

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) demeure le leader et le champion de la collaboration avec l’encyclopédie et ses différentes bases de données, surtout Wikimedia Commons, gigantesque médiathèque de sons et d’images du monde entier libres de droits. L’institution a commencé ses liaisons encyclopédiques avec Wikimédia Canada en 2014.

Elle a par exemple fourni 1852 formidables images du photographe Conrad Poirier et continue de verser régulièrement des archives dans Wiki Commons.

 

BAnQ a fourni environ 5000 images au total à des articles qui génèrent entre 3 et 5 millions de vues par mois dans 120 langues différentes. Un exemple : les pages sur le hockeyeur Émile « Butch » Bouchard en français, en anglais, en russe, en finnois et en suédois sont illustrées par une photo de Bibliothèque et archives.

« Nous avons le mandat de diffuser le patrimoine documentaire et de faire connaître la culture du Québec, et c’est ce que nous faisons en collaborant avec des plateformes de diffusion, dit Claire Séguin, directrice de la recherche et de la diffusion des collections patrimoniales à BAnQ. Au début, dans mes équipes, il y avait une réticence à cause de sa fiabilité mise en doute. Maintenant, il n’y en a plus et le personnel participe à l’amélioration des plateformes avec enthousiasme. C’est notre métier de bibliothécaire de le faire. »

BAnQ organise aussi des séances de rédaction, « Mardi, c’est Wiki ! » à Montréal et « Jeudi, c’est Wiki ! » à Québec.

Des wikipédiens de France ont récemment vérifié et corrigé la numérisation d’écrits du journaliste et écrivain Arthur Buies (1840-1901). Il s’agirait d’une retombée surprenante de la diffusion de la série Les pays d’en haut, où Buies est un personnage.

Les collections de BAnQ permettent de verser des contributions visuelles libres de droits d’auteur. Ici, la limite est fixée à 50 ans après le décès du créateur, mais le nouvel accord de libre-échange avec les États-Unis devrait étendre la protection à 70 ans, comme c’est la règle aux États-Unis, où se trouve d’ailleurs le siège mondial de Wikimédia.


Université cherche wikipédien

L’Université Concordia sera la première au Québec à embaucher un wikipédien en résidence. L’Université de Toronto n’a devancé sa concurrente montréalaise que de quelques semaines pour devenir la première au Canada à s’engager sur ce chemin numérique et collaboratif.

L’offre d’emploi toujours active (le concours de Concordia se termine le 15 février) précise que le mandat « consistera à promouvoir les compétences numériques chez les membres de la communauté universitaire ». Il s’agira aussi bien d’intégrer des collections universitaires aux bases de données de la galaxie Wiki que de participer à l’intégration critique des contenus dans les enseignements. L’université offrira en retour un encadrement supervisé, un espace de travail et un accès aux infrastructures technologiques.

Le contrat d’un an, à raison d’une journée par semaine, prévoit une rémunération totale de 10 000 $. Les fonds proviennent de dons du public et d’anciens diplômés.

« Cette embauche constitue une excellente façon de redonner à la communauté et aux donateurs », explique Guylaine Beaudry, vice-rectrice adjointe responsable de la stratégie numérique et bibliothécaire en chef de Concordia.

Mme Beaudry connaît mieux que quiconque les critiques adressées à l’encyclopédie en ligne, mais aussi son immense popularité. « Sauf exception, on ne recommande pas à nos étudiants et chercheurs de citer Wikipédia, dit-elle. Mais pour des informations factuelles de départ, pour être redirigé vers d’autres sources, c’est une source extrêmement utilisée et très, très, très utile. »


À voir en vidéo