Le pacte migratoire de l'ONU sous la loupe

Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, adopté par plus de 160 pays à Marrakech, a suscité beaucoup de critiques ces dernières semaines, tant à Ottawa qu’ailleurs dans le monde. Certains craignent que le Canada n’abdique ses pouvoirs en matière d’immigration, ou que le Pacte n’infléchisse le droit canadien. Qu’en est-il vraiment ? Le Devoir a consulté deux avocats, l’un spécialiste du droit constitutionnel et de droit international, et l’autre du droit de l’immigration, pour faire le point.
D’où vient l’idée d’un pacte mondial sur les migrations ?
« Ce document n’arrive pas de nulle part, c’est en lien direct avec la crise migratoire de 2015, qui a mené à une conscientisation de la communauté internationale », explique l’avocat Stéphane Beaulac, professeur titulaire de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Lors d’une rencontre des Nations unies, en 2016, les pays membres ont décidé de se doter d’une approche commune des migrations internationales et de mettre par écrit les bonnes pratiques à adopter. C’est ce qu’on a appelé la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants.
Après 18 mois de négociation, ils se sont entendus sur le texte en juillet dernier. 163 pays (sur 193 pays membres de l’ONU) l’ont adopté lors d’une conférence intergouvernementale à Marrakech, au Maroc, le 10 décembre dernier. Le Pacte a enfin été entériné par l’assemblée générale de l’ONU le 19 décembre.
Il existe un deuxième pacte, issu de la même déclaration de New York de 2016, qui porte de manière plus précise sur les réfugiés. Le Pacte mondial sur les réfugiés a fait beaucoup moins de vagues que celui sur les migrations. Il a été adopté le 17 décembre par l’assemblée générale de l’ONU.
Que contient le pacte mondial sur les migrations ?
Le pacte mondial sur les migrations, aussi connu sous le nom de « pacte de Marrakech », est le premier accord global des Nations unies sur les flux migratoires internationaux. Il reprend de grands principes visant « une meilleure gestion des migrations aux niveaux local, national, régional et mondial ». Parmi les 23 objectifs, on retrouve :
— Collecter et utiliser des données précises et ventilées qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits.
— Fournir dans les meilleurs délais des informations exactes à toutes les étapes de la migration.
— S’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations et les réduire.
— Prévenir, combattre et éliminer la traite de personnes dans le cadre des migrations internationales.
— Ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et chercher des solutions de rechange.
— Assurer l’accès des migrants aux services de base.
— Éliminer toutes les formes de discrimination et encourager un débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues.
— Investir dans le perfectionnement des compétences et faciliter la reconnaissance mutuelle des aptitudes, qualifications et compétences.
— Coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité.
Et qu’en est-il du Pacte mondial sur les réfugiés ?
Le Pacte mondial sur les réfugiés, lui, permet de mieux aider les pays qui accueillent la plus grande part du flot migratoire. « On estime à environ 25 millions le nombre de réfugiés dans le monde. Or, une dizaine de pays accueille plus de 60 % des réfugiés », explique Me Beaulac.
Et non, ce ne sont pas les pays d’Europe qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés, mais bien les pays limitrophes de zones de conflit, comme la Turquie, le Pakistan et l’Ouganda, trois pays qui reçoivent à eux seuls le tiers des réfugiés du monde.
« L’idée, c’est d’alléger les pressions exercées sur les pays d’accueil : ça se traduit par de l’aide financière, mais aussi logistique […] de même que par l’amélioration des conditions dans le pays d’origine », résume l’avocat.
Quelles sont les obligations des pays signataires de ces pactes ?
Le pacte mondial sur les migrations, tout comme celui sur les réfugiés, est non contraignant : c’est-à-dire qu’un pays qui ne respecte pas ses engagements ne subira aucune conséquence. Le Pacte n’impose aucun quota aux pays signataires et ne remet nullement en cause la souveraineté des États sur les questions d’immigration.
« À lui seul, le Pacte est une déclaration de bonne volonté, il n’a rien de contraignant. Ce sera donc intéressant de voir comment les États vont vouloir donner ou non de la force à cette déclaration », soutient Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats en droit de l’immigration.
À lui seul, le Pacte est une déclaration de bonne volonté, il n’a rien de contraignant
« Mais dans la mesure où on a signé, même si c’est non contraignant, ça laisse présager des budgets et des mesures qui iront dans le sens du Pacte, ajoute-t-il. On s’attend à des actions, à ce que les gouvernements posent des gestes en conséquence. »
Mais certains disent que ça pourrait infléchir le droit canadien ?
« Ils n’ont pas tort, répond Stéphane Beaulac de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Ce n’est pas parce qu’à l’international, ce n’est pas contraignant, qu’à [l’échelle nationale], ces deux pactes ne pourront pas avoir des effets sur l’application du droit canadien. »
Celui-ci fait la distinction entre « droit mou » et « droit dur ». Le pacte sur les migrations est un instrument de droit mou, ce qui signifie qu’il est sans conséquence juridique en droit interne. Toutefois, il peut infléchir la loi dans la mesure qu’il peut servir à interpréter certains principes. « Dans l’interprétation et l’application d’un règlement sur l’immigration [qui ne serait pas clair], un juge ou un fonctionnaire pourrait très bien se référer au Pacte », explique Me Beaulac.
Mais attention : s’il peut servir à interpréter le droit, le Pacte en lui-même ne peut servir de base pour porter une cause devant les tribunaux. Le Pacte, par exemple, prévoit qu’il faut assurer des services de base aux migrants, mais aucun migrant ne pourrait poursuivre le gouvernement du Canada sur cette base. « Pour que ça soit possible, il faudrait que le Parlement adopte le Pacte comme une loi canadienne, explique Guillaume Cliche Rivard. On va pouvoir utiliser le Pacte de la même façon que j’utilise la Convention relative aux droits de l’enfant : ça vient donner du poids à mes arguments, mais ça ne crée pas un nouveau droit. »
Pourquoi alors adopter un pacte mondial s’il n’y a aucune obligation ?
« Dans plusieurs domaines, comme l’environnement, l’économie ou l’immigration, on a souvent des instruments non contraignants, soutient Stéphane Beaulac. En droit international, on arrive souvent à de meilleurs résultats en passant par des mesures plus souples, car ça se fait sur une base de bonne volonté. »