Les crimes haineux envers les musulmans en forte hausse au Canada

Le nombre de crimes haineux déclarés a explosé au Québec en 2017, une hausse attribuable aux méfaits contre les musulmans, qui ont presque triplé, selon un rapport de Statistique Canada divulgué jeudi.
Un sommet a été atteint en février, soit le mois suivant la fusillade au Centre culturel islamique de Québec, qui concentre à lui seul le quart (26 %) de tous les crimes haineux envers les musulmans déclarés à la police.
Denise Helly, chercheuse à l’INRS et spécialiste des questions sur les crimes haineux, n’est pas étonnée par cette augmentation, car il s’est créé un certain terreau fertile à la haine.
« Il y a depuis un certain temps une atmosphère malsaine, notamment sur le Web, créée par les groupes d’extrême droite, même si ce ne sont pas eux qui commettent les crimes haineux. Et ça peut encourager les jeunes, qui pour des raisons psychologiques ou sociales sont mal dans leur peau, à dire de telles choses offensantes, totalement impunément », a-t-elle constaté.
La hausse peut s’expliquer par une plus grande « visibilité » des minorités visibles et parce que les corps policiers, après s’être fait pointer cette lacune, enregistrent désormais les crimes, depuis au moins trois, quatre ans, en fonction des critères permettant de les associer à la haine et la discrimination.
Ce qui étonne toutefois la chercheuse, c’est que ses plus récents travaux ont démontré que les musulmans, dont les récents chiffres montrent qu’ils sont particulièrement ciblés, sont l’un des groupes qui ont très peu tendance à dénoncer à la police, contrairement à des lobbys mieux organisés, comme ceux des communautés juive et noire. « Les victimes se tournent généralement vers la mosquée, vers l’imam, qui juge ce qui est aberrant ou pas, s’en remettant au fatalisme. Ça ne va pas toujours jusqu’à la dénonciation. »
Un problème de sous-dénonciation
Encore plus étonnant : le premier volet d’une recherche sur les crimes haineux contre les musulmans qu’elle mène avec ses collègues Ahmed-Mahdi Benmoussa et Simon Bachand dans six grandes villes du Canada révèle un important phénomène de sous-dénonciation. Ces crimes seraient donc, en réalité, plus nombreux que les nouvelles données le laissent paraître.
En 2014, selon une enquête de Statistique Canada récoltant le point de vue des victimes, 330 000 incidents criminels motivés par la haine auraient été vécus par les répondants — les « incidents » ont toutefois une définition moins stricte que les « crimes », qui sont des gestes de violence où la preuve doit être faite qu’il y a une intention haineuse. Et de ce nombre, au moins les deux tiers n’auraient pas été rapportés à la police par crainte de représailles. Au bout du compte, à peine 1295 crimes se sont vu attribuer le qualificatif « haineux ».
Pourquoi une telle sous-dénonciation ? Mme Helly cite le nombre encore relativement faible de campagnes de sensibilisation, un peu à la manière de celles du mouvement #MoiAussi, incitant les victimes à dénoncer. Certains organismes communautaires disposent également de peu d’outils de sensibilisation, comme des lignes téléphoniques de plaintes.
De plus, encore beaucoup de gens ignorent ce qu’est un crime haineux. « Si on vous bouscule dans la rue et qu’on vous dit “maudite Canadienne française”, c’est en principe un crime haineux, car on s’attaque à votre origine nationale », explique la chercheuse, qui donnera une conférence le 5 décembre prochain sur le premier volet, à saveur juridique, de sa recherche.
D’autres victimes hésitent encore à dénoncer, même si la plupart des services de police ont maintenant une section pour les « crimes haineux ». Mais au-delà du travail des policiers, encore faut-il que les procureurs généraux estiment que les preuves permettant de conclure à ce type de crime sont suffisantes pour porter des accusations au criminel. « C’est le procureur qui décide s’il y a poursuite. Or, très peu acceptent d’aller jusque-là. »
Les politiciens doivent agir
Selon la chercheuse, il faudrait qu’il y ait une prise de parole publique, notamment de la classe politique, pour rappeler ce que sont les crimes haineux et qu’il faut les dénoncer. Or, elle constate que les gouvernements sont très frileux à l’idée d’aborder la question, comme si cela allait davantage attiser la haine. « C’est le moment de sortir sur la place publique, mais aucun politicien ne va parler, surtout pas François Legault », croit-elle. « Le seul qui aurait pu s’insurger contre ce genre de chose est le premier ministre Trudeau, mais je suis à peu près certaine qu’il ne le fera pas. C’est une patate chaude, et les politiciens ne veulent pas donner l’impression qu’il y a des conflits et de la haine dans la société canadienne. Alors, on met la tête sous l’oreiller. »
Au Canada comme aux États-Unis, la liberté d’expression, érigée en droit fondamental quasi inaliénable, est une valeur de plus en plus intouchable. « Certains ont peur qu’on encombre les tribunaux si on élargit la définition de crime haineux pour y faire entrer les propos humiliants et méprisants », soutient Denise Helly. « Mais c’est pourtant au Parlement d’intervenir. »