Quelle sentence pour un meurtrier de masse?

Alexandre Bissonnette a été reconnu coupable de six meurtres commis dans l’attentat à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017.
Photo: Mathieu Bélanger La presse Canadienne Alexandre Bissonnette a été reconnu coupable de six meurtres commis dans l’attentat à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017.

Appelé à prononcer l’une des sentences les plus sévères de l’histoire du Canada, le juge chargé du dossier d’Alexandre Bissonnette se demande notamment si les meurtriers de masse comme lui doivent être punis avec la même sévérité que les tueurs en série ou les tueurs à gages.

« Considérez-vous que, toutes choses étant égales par ailleurs, le meurtrier de masse a un état d’esprit blâmable comparable à un meurtrier en série ? » a demandé le juge François Huot au procureur de la Couronne, mercredi, lors d’un ultime échange en cour sur les enjeux constitutionnels liés à la cause.

« Est-ce que l’état d’esprit blâmable de Bissonnette est comparable, par exemple, à un Picton ? » a-t-il ajouté en allusion au meurtrier en série Robert Picton. Et ce, a-t-il précisé, « dans un événement d’une minute trente secondes » à la différence d’un tueur en série qui tue six personnes « sur une période de six mois au rythme d’une par mois dans un climat de planification et de préméditation ».

Robert Picton a été condamné à la prison à vie en 2007 pour les meurtres de six prostituées et on le soupçonne d’avoir tué des dizaines d’autres personnes. Alexandre Bissonnette a quant à lui arraché la vie à six fidèles au Centre culturel islamique de Québec en plus d’avoir bouleversé celle de dizaines d’autres.

Or, entre la condamnation des deux meurtriers, le Code criminel a été modifié. Depuis 2011, pour les cas de meurtres multiples, les juges peuvent tenir compte de chaque meurtre dans leurs sentences. Normalement, la peine à perpétuité s’accompagne d’une possibilité de libération conditionnelle après 25 ans. Or, pour six meurtres, le juge peut multiplier la période de 25 ans par six, ce qui veut dire qu’Alexandre Bissonnette n’aurait pas droit à la libération conditionnelle avant 150 ans, c’est-à-dire jamais.

Reste à savoir où on mettra la limite, s’est demandé le juge François Huot. « Si le ministère public demande 150 ans pour M. Bissonnette, qu’est-ce que vous allez me demander un jour pour ces meurtriers en série, ces tueurs à gages ? »

Aux yeux de la Couronne, Alexandre Bissonnette est aussi blâmable qu’un tueur en série.

« Il m’apparaît excessivement dangereux et néfaste d’envoyer le message par les tribunaux que le meurtrier multiple qui tue une multitude de personnes en un seul événement a une culpabilité morale moindre qu’un individu qui va en tuer autant sur une période beaucoup plus longue », a notamment répondu le procureur Thomas Jacques.

Si les nouvelles règles du Code criminel sur les meurtres multiples avaient été en vigueur quand Robert Picton a été condamné, elles auraient dû s’appliquer, a-t-il poursuivi. Même chose pour Clifford Olsen, reconnu coupable de nombreux meurtres d’adolescents durant les années 1980.

« Souvenez-vous que nous vous avons invité à être prudent sur le message qui pourrait être envoyé, a-t-il aussi dit. Parce que malheureusement […] les meurtres multiples semblent faire partie de l’air du temps. Bissonnette en a tué six. Un individu est actuellement accusé à Toronto d’en avoir tué 10. Malheureusement, chez nos voisins aux États-Unis, c’est horreur après horreur après horreur », a-t-il fait valoir.

Me Jacques a en outre souligné le caractère islamophobe et haineux des crimes commis par Alexandre Bissonnette et rappelé que, si son arme ne s’était pas enrayée à son arrivée à la mosquée, « c’eût été un carnage », puisque l’homme de 28 ans avait apporté 119 munitions.

Faible marge de manoeuvre

 

Les observations sur la peine sont terminées depuis le printemps, mais le juge François Huot avait prié les avocats de répondre à certaines questions de droit pour alimenter sa réflexion avant de déterminer la sentence.

À nouveau mercredi, le juge n’a pas caché son malaise de devoir procéder par blocs de 25 ans pour l’admissibilité à la libération conditionnelle. « On m’accorde un pouvoir discrétionnaire, sauf que mon pouvoir discrétionnaire est très circonscrit », a-t-il dit à un certain moment.

La Couronne réclame une peine à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 150 ans, alors que la défense a demandé qu’Alexandre Bissonnette y ait droit après 25 ans.

Selon la défense, la loi gagnerait à être clarifiée. L’avocat du tueur, Me Charles-Olivier Gosselin, a souligné que c’était « la première fois au Canada » qu’il fallait statuer sur ce que doit être la période maximale à imposer à une personne « sans possibilité d’allégement de sa situation ». La sentence d’Alexandre Bissonnette sera finalement prononcée le 8 février, soit un peu plus de deux ans après la tuerie.

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