La restauration de lacs révèle de nouveaux sites archéologiques autochtones

Un cristal de quartz qui témoigne d’échanges sur de longues distances trouvé au lac La Pipe.
Photo: Parcs Canada Un cristal de quartz qui témoigne d’échanges sur de longues distances trouvé au lac La Pipe.

Des découvertes archéologiques fortuites risquent de modifier notre compréhension de l’histoire : plusieurs sites archéologiques autochtones ont été mis au jour au cours de l’été à la suite de simples travaux destinés à redonner une nouvelle vie à des lacs du parc de la Mauricie, a appris Le Devoir.

Depuis juin, les découvertes intéressantes et prometteuses se sont en effet multipliées à l’occasion de ces travaux de restauration des niveaux d’eau des lacs et de réaménagement de terrains de camping du parc. La dernière découverte date d’il y a trois semaines à peine.

On se doutait depuis longtemps du riche potentiel des lieux, explique Marc-André Valiquette, coordonnateur du projet de restauration des lacs dans cet immense espace protégé de 536 km2. « À l’ouverture du parc de la Mauricie, au début des années 1970, on avait fait plusieurs fouilles archéologiques, mais on cherchait sur des plages sans prendre en compte que les niveaux de l’eau avaient été modifiés par des barrages de drave construits pour la plupart au XIXe siècle. »

Pour favoriser le transport des billots — la « pitoune » —, l’univers des draveurs avait rehaussé les niveaux d’eau pour que, porté par celle-ci, le bois puisse descendre jusqu’aux lieux destinés à l’équarrissage. « Les archéologues du temps n’étaient pas forcément au fait de ces changements, parce que les barrages, depuis le temps, sont parfois cachés. Certains ont tout simplement été réinvestis par des castors ! »

Une pointe de projectile en chert, des bifaces, un outil à usages multiples, des coins, des ébauches d’outils divers, de nombreux éclats de débitage ont été exhumés par hasard des sols, ou tout simplement recueillis à leur surface, à l’occasion de travaux pour débrider les cours d’eau de ces anciens barrages. « Les objets trouvés témoignent du façonnage in situ d’outils il y a quelques millénaires », explique Elisabeth Caron, responsable des relations publiques pour la région à Parcs Canada.

Parmi les découvertes préliminaires les plus notables, on note aussi des cristaux de quartzite de Mistassini qui témoignent d’échanges avec des régions plus éloignées. Ce fut un corridor de passages intenses, croient les spécialistes.

Des documents du sol

 

La restauration écologique des lacs du parc de la Mauricie révèle donc des possibilités archéologiques nouvelles. Là où des milliers de pitounes avaient coulé pour, par l’effet de leur décomposition, abîmer la qualité des eaux, cette remise à niveau des lacs à leur état naturel change soudain tout. « Ça réécrit l’utilisation du territoire au complet ! L’occupation est beaucoup plus importante que ce que l’on présumait », explique Marc-André Valiquette en entrevue au Devoir.

Selon l’archéologue Martin Perron de Parcs Canada, les sites découverts datent de la période dite archaïque. En ces temps-là, c’est-à-dire dans une fourchette que l’on pourrait situer entre 4000 ou 3500 ans avant notre ère, la région était parcourue par des groupes nomades qui cheminaient dans une vallée postglaciaire, trouvant là un passage naturel entre la vallée du Saint-Laurent et le Bouclier canadien.

« Cinq nouveaux sites répartis sur trois lacs nous sont apparus. Le rétablissement des eaux à leur ancien niveau au lac Caribou, à la baie de Cobb, au lac Waber et au lac Dauphinais nous a permis de faire des découvertes inattendues. On s’attend à en découvrir d’autres. Avant d’annoncer des fouilles archéologiques, on va aller marcher sur les plages, regarder par terre, chercher des structures. Il y en a pour plusieurs années. Mais on espère débuter dès l’été prochain, en collaboration avec les communautés autochtones avoisinantes et des universités », précise l’archéologue Martin Perron. « On regarde pour l’instant du côté des lacs La Pipe, Anticagamac, Dauphinais et des Cinq. » Dans le parc, une trentaine de sites étaient déjà connus.

Selon l’historien Alain Beaulieu de l’UQAM, spécialiste de l’histoire des Autochtones, les berges sont des endroits riches pour documenter l’exploitation du territoire. De nouveaux chantiers archéologiques peuvent ainsi, en théorie, nous en apprendre beaucoup. « C’est comme si les historiens tombaient sur des dépôts d’archives inexploités pour confirmer ce dont ils pouvaient par ailleurs se douter. »

« Dès les années 1960, on voyait un énorme potentiel archéologique dans ces lieux, dit Martin Perron, de Parcs Canada. Mais les archéologues ont cherché loin des sites originels. » Les travaux des dernières années changent tout. « Ça permet de rêver que tous les lacs en aval pourraient livrer eux aussi des sites importants, pratiquement jusqu’à la rivière Saint-Maurice. »

Selon Marc-André Valiquette, il faudra aller revoir de près les lacs libérés de leurs barrages au cours des dernières années pour mieux évaluer leur potentiel. « Il est très possible qu’on n’ait pas vu, dans ces lieux-là, ce que nous avons découvert maintenant par hasard. Il faudra retourner sur place et procéder à un nouvel examen. »

Le monde du draveur

 

Au XIXe siècle, la topographie des environs fut considérablement modifiée par la construction de barrages capables d’accélérer le commerce du bois. Les chemins d’eau, dans un territoire qui n’était pas cartographié, constituaient des voies naturelles. La région est mise sous pression très tôt par l’exploitation du bois. « Le plus vieux barrage est daté de 1827, au lac Wapizagonke. Il y avait alors un poste de traite à la Rivière-aux-Rats. Mais en théorie, les documents nous disent qu’il n’y avait rien ici… » Au début, ces ouvrages pour juguler les cours d’eau étaient construits en bois. « Il n’existait pas de route. Le bois était plus facile à transporter. »

Ne faut-il pas conserver des traces aussi de cette activité humaine ? « Tout à fait. Au départ, il était question de faire disparaître ces ouvrages pour retrouver le potentiel écologique original des lieux. Mais les historiens nous ont fait comprendre qu’il valait mieux en laisser des traces qui témoignent des changements survenus. C’est ce que nous faisons. Nous laissons des enrochements et des portions de construction pour qu’on comprenne bien ce qu’il y avait là, tout en redonnant une nouvelle vie aux cours d’eau. »

Au seul lac Dauphinais, où se trouvait aussi un imposant barrage de drave, plus de 150 tonnes de roche ont été retirées du centre du cours d’eau afin de restaurer le niveau du lac. « Nous n’avons pas la date de construction précise pour ce barrage, mais la présence de camps de bûcherons à quelques kilomètres dans la décennie 1850 laisse présumer qu’il date au moins de cette époque », explique Marc-André Valiquette.

Les glissoires pour les billots, qui vont des rives aux lacs, étaient aussi fabriquées en bois. La plupart des barrages de la Mauricie, chantée pour ses histoires de draveurs, apparaissent entre 1850 et 1880. « Les barrages se comptent par dizaines. » Les plus récents datent des années 1920. Ils ont été entretenus jusque dans les années 1950, puis abandonnés.

« Le bois mort échoué devant le barrage est typique des lacs où nous retrouvons des barrages de drave. Le rehaussement de l’eau ennoie les arbres riverains, qui finissent par mourir et tomber dans l’eau. Un grand nombre d’entre eux flottent et vont un jour s’échouer à la décharge du lac, où est situé le barrage. » Depuis quinze ans, le parc de la Mauricie tente de restaurer les espaces affectés par ces pratiques longtemps utilisées par l’industrie forestière.

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