

Un grand saut vers l’inconnu
À quatre jours de la légalisation du cannabis, les incertitudes font oublier une acceptabilité sociale un peu trop...
Ballet de pinceaux sur fond de scie sauteuse dans un commerce anonyme en rénovation au coeur d’un îlot commercial de la montée Masson à Mascouche. De l’autre côté de la vitrine, cachée derrière du papier brun, peintres et électriciens s’activent pour fignoler l’intérieur d’un nouveau venu dans le secteur.
L’enseigne n’a pas encore été posée. Elle va trouver sa place entre celles d’un restaurant vietnamien et d’un optométriste, pas très loin du Party Expert, temple du déguisement et de l’accessoire festif, qui s’affiche avec ostentation face au vaste stationnement de cet espace commercial aussi prévisible que tranquille en ce milieu de semaine.
« Ça va attirer du monde dans le secteur », se réjouit Maria Ranallo, assistante-optométriste qui vient de découvrir avec surprise, de l’autre côté de ses étagères de lunettes, pour qui tous ces bruits de construction sont orchestrés : la Société québécoise du cannabis (SQDC), dont les portes vont s’ouvrir aux premiers clients le 17 octobre prochain.
Comme dans d’autres villes du Québec, c’est là que la nouvelle société d’État va ouvrir une de ses 15 premières succursales pour faire passer le commerce du cannabis dans la légalité.
« C’est une bonne idée de l’avoir située à cet endroit, ajoute Marc-Olivier Parisien, qui répare des cellulaires quelques portes plus loin. C’est un commerce qui devient nécessaire dans le contexte de la légalisation. Autant le placer là où il y a des gens qui passent et où il n’y a pas trop d’écoles autour, comme ici. »
Pas encore ouvert, le nouveau pourvoyeur de pot au Québec ne semble pas induire de sentiments négatifs chez ses voisins immédiats. Ce qui est loin d’être le cas plus loin dans cette ville de la banlieue nord de Montréal où, paradoxalement, les habitants redoutent depuis plusieurs mois la légalisation du cannabis au pays.
Un sondage en ligne mené par la municipalité entre le 24 août et le 7 septembre dernier a fait ressortir cette peur : 58 % des répondants ont appelé à l’interdiction complète de la consommation du cannabis dans les espaces publics de la ville, comprenant les parcs et les trottoirs. La mesure est plus contraignante que pour la cigarette. La banalisation du geste, la fumée secondaire, l’accessibilité du produit chez les jeunes, les enjeux liés à la sécurité routière ont nourri cette mise au ban. Entre autres.
La municipalité, comme 30 autres sur tout le territoire du Québec, a donc modifié ses lois pour répondre aux préoccupations citoyennes. À Mascouche, se trouver dans un lieu public avec les facultés affaiblies par le cannabis ou flâner près d’un point de vente de marijuana devient illégal. Des amendes de 200 à 400 $ sont prévues en cas d’infraction.
Émotions à fleur de peau
« Nous sommes très fiers de notre règlement, dit Guillaume Tremblay, maire de cette ville un peu dortoir, mais surtout familiale, de 50 000 âmes, dont 30 000 adultes. Quelque 5000 personnes ont répondu au sondage. C’est une participation importante. Nous avons voulu, avec ce règlement, mettre notre population en sécurité. »
Il est passé midi aux abords du parc du Grand-Coteau, en plein coeur de Mascouche. Par petits groupes, des élèves de l’école secondaire juste à côté déambulent et crient sous un soleil de septembre aux tonalités encore estivales. L’adolescence s’y expose dans son exubérance, son profil sociodémographique homogène, et ce, sans odeur ni fumée vraiment apparentes. « Après le 17 octobre, ça ne va pas être le chaos à Mascouche, laisse tomber Marylou Lemay, responsable des services à La Barack, une maison des jeunes qui a pignon sur la rue Sainte-Marie. Le cannabis, il s’en consomme déjà dans les parcs à Mascouche. Et les gens qui le font sont très respectueux des autres autour. C’est un geste social, pas une activité pour troubler la paix. »
« La politique de Mascouche sur le cannabis témoigne bien plus d’une grande peur que d’un grand problème de consommation, résume Manon Massé, directrice générale d’Uniatox, un organisme local de prévention de la toxicomanie et de réinsertion sociale. Dans le sud de Lanaudière, la consommation de cannabis a un peu diminué ces dernières années. Le 17 octobre, tout le monde ne va pas descendre dans la rue pour fumer. La consommation est déjà là. Elle ne va que devenir légale. »
Dans son bureau, Mme Massé insiste. « On oublie que c’est dans une optique de protection de la jeunesse que la décision de légaliser le commerce du cannabis a été prise. Mais la toxicomanie est quelque chose de très émotif et nous avons ici l’expression de beaucoup d’émotions. »
Écran de fumée
Sur la terrasse d’un café montréalais, Dominic Desroches, professeur de philosophie au collège Ahuntsic, éclaire cette épidémie de la peur du cannabis qui s’est emparée des petites villes du Québec, dans les banlieues et les régions principalement.
« Beaucoup de gens trouvent que tout ça se fait rapidement, dit-il. Or, cette rapidité est une illusion, puisque les moeurs évoluent plus vite que les lois.
Il y a un décalage entre le temps des institutions, très lent, et le temps des individus, qui adaptent leur jugement sur un objet de manière plus rapide », comme cela a été le cas sur le cannabis. Un décalage qui donne l’impression, à l’approche du 17 octobre, de disparaître à certains endroits dans la société derrière un écran de fumée.
« Une substance bannie, honnie, dangereuse et taboue depuis des décennies va intégrer le champ du permis et donc de l’acceptable, dit-il. La symbolique est forte. Elle peut faire peur et vient ainsi alimenter cette démesure » qui fait ce spectacle contemporain auquel le présent aime s’abreuver. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui, la peur de quelques individus, par les réseaux sociaux, accélère le sentiment de peur chez les autres. »
À Repentigny, ville voisine de Mascouche où le conseil municipal a aussi choisi la ligne dure à l’endroit du cannabis en septembre dernier, trois retraités discutent et rigolent à côté d’une rampe de mise à l’eau sur le fleuve. « Je suis d’accord avec le règlement, résume Gilles Brown, ex-soudeur à la retraite qui loge pas très loin du parc Saint-Laurent. Il y a assez de problèmes avec les jeunes comme ça. Ils n’ont pas besoin de la légalisation du cannabis pour être fous. »
Dans son commerce de lunettes de la rue Masson, Maria Ranallo, elle, écoute tout ça avec amusement. « Mascouche, c’est une ville propre et tranquille. Après le 17 octobre, rien de tout ça ne va changer », si ce n’est qu’après une visite chez l’optométriste ou un lunch dans un resto vietnamien, il va être possible d’acheter du cannabis légalement. Un recul pour les uns. Un progrès pour d’autres.
La multiplication de villes qui se braquent contre la légalisation du cannabis a déclenché en effet une riposte des responsables de la santé publique. En choeur, ils ont souligné les effets pervers possibles de telles réglementations. « Interdire la consommation au-delà des emplacements [déjà prescrits par la loi, soit les lieux publics intérieurs, les terrains sportifs et de jeux, les établissements d’enseignement, les garderies…] pourrait forcer les gens à fumer dans leur domicile », où ils vont s’exposer, eux, et exposer leur entourage à des fumées secondaires délétères, a résumé l’Association des spécialistes en médecine préventive du Québec (ASMPQ) fin septembre.
Au congrès de la Fédération québécoise des municipalités, en septembre, Horacio Arruda, directeur national de santé publique, a rappelé l’importance de ne pas adopter des règlements qui viendraient entraver le droit de consommer une substance devenue légale. Une mesure dont les plus faibles pourraient faire les frais. « Pour les personnes marginalisées qui vivent et dorment dans la rue, consommer du cannabis les gardera en situation d’illégalité, soit le contraire de l’intention visée par la légalisation », a dit l’ASMPQ. L’Institut national de la santé publique a réitéré sa recommandation : que les restrictions de l’usage de cannabis dans les lieux publics intérieurs et extérieurs demeurent celles prévues par la loi.
Une version précédente de cet article, qui indiquait qu’Uniatox était un centre de traitement de la toxicomanie, a été corrigée.
À quatre jours de la légalisation du cannabis, les incertitudes font oublier une acceptabilité sociale un peu trop...
Au Colorado, le cannabis est en baisse chez les ados.
Les corps policiers sont prêts à faire face aux impacts de la légalisation sur les routes.
Pas moins de 7% des travailleurs canadiens ne faisant pas partie de la direction prévoient de consommer du cannabis...
Le resserrement des règles entourant la conduite avec les facultés affaiblies pourrait multiplier les poursuites.
Gatineau veut permettre comme Montréal la consommation de cannabis dans ses rues.
L’approvisionnement pourrait être houleux pendant quelques mois.
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Mariane Hébert - Abonné 13 octobre 2018 23 h 01
Semer la confusion
Votre article résume bien les divergences d'opinion sur cette loi fédérale imposée aux provinces. Cela va de l'intervenante, amie des toxicomanes, pour qui rien ne changera vraiment le 17 octobre, aux maires dûment élus qui doivent prévoir et gérer le bien commun dans leurs municipalités.
Justin Trudeau a certainement fait de "Diviser pour mieux régner" sa devise personnelle et non, cette loi n'a pas été conçue pour protéger la jeunesse mais bien pour enrichir le Canada, qui voit pâlir l'étoile du pétrole, et en particulier les amis du Parti libéral.
Simon Ruelland, Baie-Comeau
Jeanne M. Rodrigue - Abonnée 14 octobre 2018 08 h 50
Cannabis et gouvernance du pays...
Si les agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et les différents corps de police du pays devront à l'avenir, de pas fumer ou consommer du cannabis avant de remplir leur fonction ou leur service, qu’en est-il des interdictions et des consignes concernant, le et les premiers ministres du pays, et les principales personnes en autorité, dont les juges et les magistrats, les hauts comme les petits fonctionnaires de l’État sur qui repose les destinés des citoyens ?
Qu’en est-il des restrictions et des interdictions concernant le cannabis sur ces administrateurs du pays qui doivent tous les jours prendre des décisions cruciales pour la bonne gouvernance quand nous savons pertinemment (voir «les effets du cannabis» sur Portal Québec) que les effets du cannabis sont entre autres: (1re phase, high) d’accentuer l’insouciance, diminuer la mémoire et l’attention à court et à moyen terme ainsi que la capacité du jugement, ralentit le temps de réaction et pour finir (2 e phase, down) état de torpeur caractérisé par un ralentissement physique et mental?
Robert Daignault - Abonné 14 octobre 2018 22 h 05
o québec...
La pensée magique s'accouplant à l'hypocrisie produirait qqc de semblable à ce qui se passe au Québec face à la légalisation du pot.
Premièrement l'alcool présente déjà les mêmes risques et problèmes en bien pire et personne ne s'en inquiète. Secundo, les gens fument du pot aujourd'hui, qu'on le veuille ou non. Imaginez ceci:
cela fait 4 ans que je suis en condo et que je fume comme je veux, mais voilà qu'à partir du 17 octobre ca deviendra illégal de fumer chez moi! Certains corps de police ne pourront plus fumer 28 jours avant de travailler!!!!
https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/538903/le-cannabis-devient-illegal-le-17-octobre